Congédiement administratif pour incompétence : ajout au test classique?

Publication Novembre 2017

Le 4 octobre 2017, la Cour supérieure a rendu une décision1 qui aura certainement une incidence sur les employeurs souhaitant se départir des services d’un salarié pour des motifs administratifs d’incompétence ou de rendement insatisfaisant. En effet, s’inspirant de la jurisprudence des provinces de common law en la matière, le juge Pierre‑C. Gagnon (juge) a décidé qu’en plus de respecter les cinq critères énoncés par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Costco2, un employeur doit par ailleurs déployer des efforts raisonnables pour réaffecter un employé dans un poste compatible avec ses compétences avant de mettre fin à son emploi pour de tels motifs.



Les faits

Au moment de son congédiement administratif, l’employé (plaignant) occupait un poste de technicien en administration à l’éducation des adultes depuis 10 ans et était à l’emploi de la même commission scolaire depuis 14 ans. Il était reconnu qu’il n’avait jamais accompli l’ensemble des tâches du poste de technicien et qu’il s’était vu confier des tâches allégées. Son salaire était toutefois au maximum de l’échelle pour ce poste.

À la suite de changements à la direction, on a procédé à une révision de la description des tâches du plaignant et décidé d’y ajouter des tâches administratives, l’objectif étant de rehausser ses tâches à un niveau plus compatible à un titre de technicien.

Peu après avoir confié ces nouvelles tâches au plaignant, l’employeur a constaté de sérieuses lacunes sur le plan de sa productivité. Un programme d’amélioration de la performance a donc été mis en place pour une période de trois mois, lequel s’est avéré infructueux.

On propose alors au plaignant de le muter à un poste de réceptionniste, poste qu’il avait occupé lors de ses premières années d’emploi au sein de la commission scolaire. On lui demande de donner une réponse dans un délai de trois jours; au terme de ce délai, le plaignant a refusé l’affectation proposée. Il sera congédié quelques semaines plus tard.

L’arbitre chargé d’entendre le grief du plaignant a conclu que l’employeur avait agi abusivement en contrevenant à son obligation de trouver une solution alternative raisonnable au congédiement. Celui-ci a donc été annulé et l’arbitre a réservé sa compétence sur le remède. L’employeur a demandé la révision judiciaire de cette décision devant la Cour supérieure.

La décision de la Cour supérieure

D’abord, le juge réitère les cinq critères applicables en matière de congédiement administratif, tels qu’ils ont été repris par la Cour d’appel dans l’affaire Costco, à savoir :

  • le salarié doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par l’employeur à son égard;

  • ses lacunes lui ont été signalées;

  • il a obtenu le support nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs;

  • il a bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster;

  • il a été prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration de sa part.

Toutefois, le juge mentionne que cet énoncé omet un passage crucial du « test Edith Cavell », tel qu’il a été énoncé par la Cour suprême en 20043. Ce test, élaboré par un tribunal d’arbitrage en Colombie-Britannique en 19824 et appliqué dans toutes les autres provinces canadiennes, inclut un passage imposant à l’employeur de déployer des efforts raisonnables pour réaffecter l’employé dans un autre poste compatible avec ses compétences.

Selon le juge, il est illogique que les règles régissant tant les employeurs que les employés, en situation possible de congédiement administratif pour incompétence, soient différentes au Québec par comparaison avec le reste du Canada. En l’espèce, l’arbitre de griefs a donc eu raison de conclure que le congédiement du plaignant constituait une mesure abusive, principalement en raison du fait que l’employeur avait failli à son obligation de trouver une solution alternative.

Décidant ainsi que la décision de l’arbitre de griefs était raisonnable, le pourvoi en révision judiciaire de l’employeur a été rejeté.

Quoi retenir

On entend souvent dire que de mauvais faits engendrent du mauvais droit. Ici, plusieurs aspects du dossier n’aidaient pas la cause de l’employeur. Nous retenons par exemple l’ancienneté du plaignant, le fait que son « incompétence » semble avoir été « tolérée » pendant des années et le court délai offert au plaignant (par ailleurs plus court que la procédure formelle d’affichage) pour considérer l’offre de relocalisation au poste de réceptionniste.

Quoi qu’il en soit, les employeurs québécois doivent désormais garder en tête cet ajout d’importance au test usuel : lorsque l’on désire mettre fin à l’emploi d’un employé pour des motifs administratifs d’incompétence ou de rendement insuffisant, l’on doit, selon la Cour supérieure, être en mesure de démontrer que des efforts raisonnables ont été déployés pour réaffecter l’employé au sein de l’organisation.

Il s’agit évidemment d’une obligation de moyens plutôt que de résultat. Dans le présent cas, le juge a également bien pris soin de mentionner qu’elle ne s’appliquera pas dans tous les cas et que les caractéristiques du poste et de l’entreprise doivent être prises en compte. En attendant de futurs développements jurisprudentiels en pareille matière, mieux vaut garder ce critère à l’esprit et procéder à une évaluation raisonnable, au cas par cas!

Notes

1 Commission scolaire Kativik c Ménard, 2017 QCCS 4686.

2 Costco Wholesale Canada Ltd. c Laplante, 2005 QCCA 788.

3 A.U.P.E. c Lethbridge Community College, 2004 CSC 28.

4 Edith Cavell Private Hospital c Hospital Employees’ Union, Local 180, (1982) 6 LAC (3rd) 229.



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