Condamnation d’un employeur fautif : les limites du « no fault » en matière d’accidents du travail au Québec

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Mondial Publication Décembre 2017

Le 27 novembre 2017, la Cour supérieure a rendu une décision potentiellement lourde de conséquences pour tous les employeurs chez qui des intervenants externes (sous-traitants ou autres) sont appelés à travailler. En effet, la Société de Transport de Montréal (STM) a été condamnée à verser plus de 1 200 000 $ en dommages à deux ambulanciers qui ont subi un stress post-traumatique à la suite d’une intervention dans ses installations. La Cour a ainsi tenu la STM responsable à titre de tiers fautif et a notamment ordonné le paiement de montants substantiels à titre de « perte de capacité de gains future ».



Les faits

Au début de leur quart de travail, les deux ambulanciers en question sont appelés à intervenir auprès d’une personne en détresse dans le métro de Montréal. Lorsqu’ils arrivent sur les lieux, le train est immobilisé, la tension électrique est coupée et les wagons sont évacués. Plusieurs policiers se trouvent également sur la voie lorsque les ambulanciers s’y engagent pour intervenir auprès de la victime.

Alors qu’ils se trouvent coincés sous un wagon, les ambulanciers entendent deux coups de klaxon retentissants dans la station. Ils voient alors les policiers prendre leurs jambes à leur cou et se mettent à paniquer, se croyant menacés par un danger imminent et craignant la remise en marche du train. Ils terminent néanmoins leur manœuvre en vitesse, mais ils sont en état de choc. Ils se rendent à l’urgence où ils sont examinés et mis en congé immédiatement.

La CNESST accepte leur réclamation pour un état de stress post-traumatique – ni l’un ni l’autre ne reprendra par la suite ses fonctions d’ambulancier.

Près de trois ans après les événements, les ambulanciers déposent une action en dommages contre la STM. Ils lui reprochent la faute de son préposé qui a accroché le klaxon alors qu’ils se trouvaient sous un wagon. Ils allèguent également que les employés de la STM auraient dû les avertir immédiatement que le klaxon avait été déclenché par inadvertance et qu’il n’y avait alors aucun danger.

La décision

La Cour reconnaît d’entrée de jeu que la preuve confirme qu’en aucun temps, la vie ou la sécurité des ambulanciers n’a été mise en péril. Toutes les procédures ont été scrupuleusement respectées par les employés de la STM et les autres intervenants. La faute du préposé qui a accroché le klaxon n’est pas davantage retenue, puisque ceci découle plutôt d’un fait accidentel.

Cependant, la Cour mentionne que c’est à bon droit que les ambulanciers se sentent menacés lorsqu’ils voient les policiers s’enfuir après avoir entendu les coups de klaxon, alors que ceux-ci sont pris sous le wagon. Le responsable de la STM (le responsable) sur les lieux de l’accident aurait dû « s’empresser, sans délai, d’aviser les ambulanciers de l’absence de danger et de les rassurer en les informant que le klaxon avait été actionné par accident ».

Ainsi, selon la Cour, la faute de la STM est d’avoir avisé les ambulanciers qu’ils n’avaient jamais été en danger seulement lorsque leur intervention fut terminée. La juge Courchesne écrit à ce sujet que c’était trop peu, trop tard. S’ils avaient été rassurés sans délai quant à leur intégrité physique, la juge est d’avis « que leurs dommages auraient été considérablement moindres sinon inexistants ».

Finalement, s’appuyant sur des rapports d’expertises actuarielle et psychiatrique, la Cour octroie aux demandeurs plus de 870 000 $ à titre de perte de capacité de gains future.

Quoi retenir

Le paiement des sommes auxquelles la STM vient d’être condamnée par la Cour supérieure résulte d’un recours civil intenté par les deux ambulanciers et n’a rien à voir avec celles que ces derniers ont pu recevoir à titre d’indemnité de remplacement de revenu accordée par la CNESST à la suite d’un accident de travail. Ces ambulanciers ont en effet bénéficié d’une exception au principe généralement reconnu voulant qu’un salarié ne puisse intenter une poursuite civile lorsqu’il est victime d’un accident du travail1.

Il en résulte que la responsabilité d’une entreprise peut être retenue au civil à la suite d’un accident de travail ayant eu lieu dans ses installations, et ce, même si l’accident implique un intervenant qui n’est pas à son emploi, dès lors que l’entreprise ou ses représentants ont commis une faute – cette responsabilité doit normalement être limitée à l’excédent de la perte subie sur les prestations reçues de la part de la CNESST.

Dans ce cas-ci, il s’agit d’intervenants externes, certes, mais il est possible de penser que les employés d’un sous-traitant, à titre d’exemple, pourraient intenter un recours similaire. Ce faisant, prévoir les coups et s’assurer d’avoir une procédure adéquate pour bien gérer les situations d’urgence peut être une façon intéressante de minimiser les risques.

Mentionnons de plus que la juge ne s’éternise pas sur la question de la perte de capacité de gains future et s’en remet aux expertises déposées par les demandeurs. Vu les sommes en jeu, il y a fort à parier que cette affaire n’en restera pas là, la perspective d’un appel ayant été évoquée publiquement. Il sera intéressant de suivre le débat parce que son issue aura certainement des répercussions sur les entreprises québécoises.

Note

1 Voir article 441 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles : « un bénéficiaire ne peut intenter une action en responsabilité civile, en raison d’une lésion professionnelle, contre un employeur assujetti à la présente loi, autre que celui du travailleur lésé, que (…) 2° pour recouvrer l’excédent de la perte subie sur la prestation (…) ».



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