La Cour suprême du Canada se prononce sur la clause d’élection de for pour les « non-amis » Facebook : la poursuite pour atteinte à la vie privée peut se dérouler en Colombie-Britannique

Mondial Publication Juin 2017

Dans une décision surprenante et très partagée, la Cour suprême du Canada a déclaré que Facebook n’était pas habilitée à invoquer la clause de l’élection de for en vue de s’opposer à une action collective intentée pour atteinte à la vie privée en Colombie-Britannique.

La décision ouvre la voie à des réclamations devant les tribunaux canadiens, même lorsqu’un consommateur a accepté des conditions d’utilisation, dont l’élection de for, exigeant que les différends soient résolus à l’extérieur du Canada. 

Dans cette affaire, les modalités d’utilisation de Facebook exigeant que les différends soient entendus en Californie en vertu du droit de cet État n’ont pas empêché, en vertu de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Privacy Act, l’audition d’une réclamation en Colombie-Britannique.


L’existence de motifs sérieux ne peut limiter les droits à la vie privée des consommateurs 

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique avait précédemment assuré le respect de la clause d’élection de for et avait suspendu l’action collective en Colombie-Britannique, appliquant le critère bien connu de l’affaire Z.I. Pompey1, selon lequel il doit exister des « motifs sérieux » pour que le tribunal refuse de faire respecter la clause d’élection de for des parties.

Infirmant cette décision, trois juges de la Cour suprême ont conclu que Facebook avait établi que la clause d’élection de for était exécutoire, mais qu’elle ne devait pas empêcher une réclamation dans cette affaire. La Cour a examiné les considérations d’intérêt public touchant « l’inégalité flagrante du pouvoir de négociation »2 exercé « en l’absence de toute possibilité de négocier »3 et la nature des droits en jeu.

La Cour a reconnu un caractère quasi constitutionnel au droit à la vie privée, qui joue un rôle essentiel dans une société libre et démocratique et qui incarne les valeurs canadiennes fondamentales. L’intérêt public à ce que ce soit un tribunal local qui statue sur ce droit a pesé davantage que le caractère exécutoire des dispositions en matière d’élection de for4. La Cour s’est aussi appuyée sur des considérations secondaires, soit l’intérêt de la justice et le fait qu’il est plus pratique de porter le litige devant les tribunaux locaux.

Ces facteurs existeront à l’égard de nombreux contrats types, y compris les conditions d’utilisation standard et les dispositions en matière de vie privée visant plusieurs produits et services électroniques. Cette décision aura par conséquent de grandes répercussions. 

Cette décision jette une ombre sur le caractère exécutoire des clauses d’élection de for dans les contrats d’adhésion en matière de consommation en ligne. La juge Abella, se rangeant à l’opinion de trois juges pour qu’il y ait majorité, est allée plus loin en concluant que la clause d’élection de for était simplement inexécutable en raison de l’inégalité du pouvoir de négociation en jeu5

Un tribunal divisé

Trois juges de la Cour suprême (et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique) ont exprimé un point de vue différent en concluant que les motifs d’intérêt public étaient insuffisants pour passer outre la clause d’élection de for. Plutôt, les clauses d’élection de for procèdent de solides considérations d’ordre public. Pour la minorité, il est plus important d’exiger des parties qu’elles respectent leurs engagements, que ce soit dans un contexte de contrat de consommation ou non.

Étant donné qu’aucune opinion n’a su susciter l’appui de plus de trois juges, la décision est loin de constituer un énoncé clair et définitif sur le droit canadien. Toutefois, pour le moment, toute entreprise au Canada qui cherche à invoquer la clause d’élection de for dans le cadre d’un contrat type doit considérer la possibilité que cette clause ne soit pas exécutoire si des droits constitutionnels et quasi constitutionnels sont en cause.

Notes

1 Z.I. Pompey Industrie c ECU-Line N.V., 2003 CSC 27. 

2 Douez c Facebook, Inc., 2017 CSC 33 aux paragraphes 38 et 53.

3 Au paragraphe 33. 

4 Au paragraphe 59.

5 Au paragraphe 117.



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