La ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada a été chargée de revoir les processus d’évaluation environnementale prévus par la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012). Pour ce faire, un Comité d’experts a été créé pour mener une consultation à l’issue de laquelle un rapport présentant ses recommandations a été remis à la ministre. Ce rapport, intitulé Bâtir un terrain d’entente : une nouvelle vision pour l’évaluation des impacts au Canada1, a été rendu public le 5 avril 2017 et peut faire l’objet de commentaires jusqu’au 5 mai 20172. Des modifications législatives et réglementaires pourraient ensuite être présentées à la fin de 2017 ou au début de 2018.

Malgré des déclarations à l’effet contraire, les recommandations du Comité d’experts proposent des modifications profondes au processus d’évaluation environnementale au Canada – même le terme « évaluation environnementale » disparaîtrait. Quelques recommandations judicieuses ont été faites, mais si toutes ces recommandations étaient adoptées, le processus d’évaluation au Canada deviendrait plus complexe et plus imprévisible et exigerait plus de temps. Le principe « un projet – une évaluation » est mis de l’avant, mais abandonné en pratique, puisqu’une coordination intergouvernementale et « tri-partite » est favorisée. La vérification des effets environnementaux négatifs importants serait remplacée par l’examen des contributions à la durabilité – maintenant définie par cinq piliers, plutôt que trois. On propose un nouvel organisme administratif quasi judiciaire pour diriger les audiences, avec un plus grand recours aux ressources fédérales, allant jusqu’à obliger les scientifiques à archiver les données d’études sur les projets. Le critère de « l’intérêt requis » introduit en 2012, semblable à celui d’autres processus des tribunaux administratifs, disparaîtrait, mais des mécanismes informels de participation seraient favorisés. De même, les échéanciers de processus normalisés seraient supprimés et remplacés par des échéances établies en fonction de chaque projet.

En plus de transformer les mécanismes fondamentaux d’évaluation environnementale, les modifications proposées par le Comité auraient une incidence importante sur la consultation fédérale auprès des peuples autochtones. Par exemple, le processus d’examen chercherait explicitement le consentement des autochtones, sous réserve d’un appel auprès d’un comité d’examen en cas de refus, lequel évaluerait le caractère raisonnable d’un consentement qui aurait été refusé. Le nouvel organisme dirigerait aussi la consultation de la Couronne à titre de mandataire de celle-ci, malgré sa qualité d’organisme quasi judiciaire chargé d’évaluer le caractère adéquat de cette consultation.

Dans l’ensemble, les changements radicaux proposés offrent au gouvernement une grande variété de possibilités lorsqu’il déposera la législation plus tard cette année ou au début de l’année prochaine. Nous pensons que la rédaction s’appuiera aussi sur des examens en cours similaires visant la Loi sur l’Office national de l’énergie, la Loi sur les pêches et la Loi sur la protection de la navigation.

Nous présentons ci-dessous des détails sur les modifications proposées.

Le rapport du Comité d’experts s’articule autour des trois sections principales suivantes.

La vision du Comité d’experts

Le Comité ne souhaite pas proposer un processus d’évaluation environnementale complètement nouveau, mais plutôt un processus qui se situerait entre celui qui existait lors de l’adoption de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale en 1992 et celui qui existe depuis l’adoption de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012).

Une approche plus globale est envisagée, qui remplacerait l’évaluation environnementale (EE) par une évaluation des impacts (EI) et accorderait la préséance aux impacts possibles d’un projet, tant positifs que négatifs, sur l’environnement, la société, l’économie, la santé et la culture (soit les cinq piliers de la durabilité, selon le Comité).
Le nouveau processus devrait aussi être guidé par les quatre principes fondamentaux suivants :

  • un processus transparent : le public doit comprendre comment le processus est mis en pratique, comment les évaluations sont réalisées et comment les décisions sont prises;
  • un processus inclusif : il doit être tenu compte des préoccupations de toutes les parties prenantes qui considèrent qu’elles-mêmes ou leurs intérêts sont touchés par un projet;
  • un processus éclairé : l’information doit être présentée d’une façon compréhensible, les données scientifiques techniques doivent être traduites en langage simple, les renseignements et les données doivent être facilement accessibles et le savoir autochtone ainsi que les connaissances des collectivités doivent être intégrés à la science comme fondement de la prise de décision (considérer les données probantes);
  • un processus significatif : les intervenants au processus doivent être véritablement écoutés et avoir l’occasion d’influer sur les décisions rendues.

La définition de cette vision

Objet de l’évaluation des impacts fédérale

Afin de respecter le partage des compétences prévu dans la Constitution canadienne, le Comité considère que l’EI ne devrait porter que sur un projet, un plan ou une politique qui a un lien net avec les questions d’intérêt fédéral, soit le territoire domanial, le financement fédéral et le gouvernement fédéral en tant que promoteur ainsi que lorsqu’il y a des impacts sur les matières liées à une compétence fédérale3.

Coopération entre les instances gouvernementales

Le Comité est d’avis que le mécanisme de coordination qui devrait être retenu lorsque plus d’un processus d’EI est applicable, que ce soit avec les autorités provinciales, territoriales ou autochtones, est celui de la coopération. Cela signifie que, dans la mesure du possible, les instances visent « un projet – une évaluation », mais mènent leur propre EI. Les accords généraux de coopération et les accords de coopération par projets avec les provinces ou les territoires sont recommandés. Aussi, lorsque les gouvernements autochtones ont des responsabilités en matière d’évaluation, il est recommandé de négocier des accords tripartites.

Le Comité considère que la substitution4 pourrait demeurer si les normes les plus élevées sont appliquées en matière d’EI. Toutefois, le Comité juge que l’équivalence5 n’est pas une option viable.

Considérations autochtones

Il est recommandé d’accroître la participation et la consultation autochtones, en particulier lorsqu’il est question des impacts sur les droits ancestraux et issus de traités et autres intérêts autochtones. Le nouveau régime d’EI devrait être essentiellement fondé sur un consentement concerté, tant des peuples autochtones que des autres ordres de gouvernement, et les peuples autochtones devraient pouvoir adapter le processus afin qu’il reflète leurs traditions, coutumes, lois et aspirations.

Participation publique

Le Comité recommande que la participation du public débute tôt dans le processus d’EI et se poursuive tout au long de celui-ci. Les occasions de participer au processus devraient être annoncées à l’avance et des sommaires accessibles et non techniques devraient être disponibles pour faciliter la compréhension des projets soumis à une EI. Il est également proposé de rendre les renseignements accessibles dans un registre permanent, interactif et facile à consulter.

Évaluation des impacts fondée sur des données probantes

Il est recommandé de créer une base de données fédérale centralisée et accessible au public qui intégrerait l’ensemble des données de référence et de surveillance recueillies lors de toute EI. L’autorité responsable fédérale devrait superviser les études réalisées dans le cadre du processus et pouvoir en vérifier la validité. Les décisions rendues devraient faire référence aux principales données probantes sur lesquelles elles s’appuient, ainsi qu’expliquer les critères utilisés et les compromis faits.

Les moyens proposés pour concrétiser cette vision

Modèle de gouvernance

Le Comité considère que l’EI devrait être confiée à une seule autorité (Commission d’évaluation des impacts), qui prendrait des décisions au nom du gouvernement fédéral et pourrait prendre la forme d’un tribunal quasi judiciaire qui aurait les pouvoirs nécessaires pour résoudre les différends rencontrés au cours de toute EI par la facilitation, la médiation et la tenue d’audiences. Les décisions prises par la Commission pourraient toutefois être renversées en appel par le Gouverneur en conseil.

Évaluation des impacts par projet

L’EI serait requise lorsqu’un projet figurerait sur une nouvelle liste de projets. Quant aux projets qui ne figureraient pas sur la liste, une EI serait requise s’ils étaient susceptibles d’affecter d’une façon lourde de conséquences les générations présentes et futures (selon une liste de critères à prévoir) ou si une demande d’évaluation était faite à la Commission par le public (des critères devraient également être prévus).

Le Comité recommande que l’EI comporte trois phases, soit une phase de planification, une phase d’analyse et une phase de décision.

La phase de planification permettrait aux parties intéressées, formant un comité de projets, de faire connaître leurs préoccupations au promoteur, de contribuer à la conception du projet et d’établir les termes de référence pour la conduite de l’EI. Un comité des experts du gouvernement serait aussi formé afin qu’une expertise gouvernementale soit disponible tout au long du processus.

La phase d’analyse servirait à l’élaboration de l’étude d’impacts qui serait dirigée par la Commission, par l’entremise d’une équipe d’experts qu’elle aurait retenue. Une étude d’impacts préliminaire serait présentée au comité de projet et au comité d’experts gouvernementaux pour examen et il y aurait également une consultation avec les Autochtones et une période de commentaires du public.

La Commission préparerait ensuite un rapport exposant les questions de consensus; dans le cas où il y aurait consensus sur toutes les questions importantes, une ordonnance établissant les termes du consensus serait rendue et constituerait la décision. Dans le cas où il y aurait des questions importantes sur lesquelles aucun consensus n’aurait été atteint, une commission d’examen serait constituée pour prendre la décision. Cette commission d’examen tiendrait une audience sur chacun des points non consensuels et prendrait une décision sur chacun de ces points. Elle devrait aussi prendre une décision globale sur le projet. 

Surveillance, conformité et application de la loi

Une phase post-évaluation des impacts serait prévue dans la loi pour la surveillance et le suivi des conditions établies et la vérification de la conformité et de l’application de la loi. Pour faciliter cette phase, les conditions imposées pour la réalisation d’un projet devraient être axées sur des résultats. Ces conditions devraient aussi pouvoir être réexaminées et modifiées, le cas échéant, afin de tenir compte de nouvelles normes. Des programmes obligatoires de surveillance et de suivi devraient être prévus et les groupes autochtones et les collectivités locales devraient pouvoir faire une surveillance indépendante. Les données de surveillance et de suivi devraient être versées dans un registre public tout comme un rapport annuel sur le respect des conditions. Enfin, la loi devrait prévoir une gamme d’outils efficaces pour assurer le respect des conditions (pénalités financières, sanctions administratives pécuniaires, suspension et révocation d’une approbation).

Échéanciers et coûts

Il reviendrait à la Commission de fournir un estimé des coûts et des échéances propres au projet pour chacune des trois phases du processus et cet estimé serait rendu public. Le Comité recommande que le calendrier d’une évaluation des impacts soit établi au cas par cas, en tenant compte du contexte et des enjeux précis du projet en question.

Évaluation des impacts régionale

Le Comité d’experts recommande deux situations où des EI régionales seraient requises : 1) lorsqu’il pourrait y avoir des effets cumulatifs sur des terres fédérales ou dans des zones marines; 2) lorsqu’il pourrait y avoir, ou qu’il y a, des effets cumulatifs touchant de nombreux intérêts fédéraux ailleurs que sur des terres fédérales ou dans des zones marines. Ces EI régionales comporteraient également trois phases, soit les phases de planification, d’analyse et de décision.

Lorsqu’une EI régionale aurait déjà été réalisée, l’EI de projet serait alors simplifiée. Les résultats et exigences de l’EI régionale devraient aussi être incorporés dans les autorisations ou permis fédéraux ultérieurs qui ne nécessitent pas d’EI de projet.

Évaluation des impacts stratégique

Le Comité recommande qu’une EI stratégique soit réalisée lorsqu’une politique, un plan ou un programme fédéral, nouveau ou existant : 1) est susceptible d’avoir des incidences sur plusieurs projets assujettis à une EI fédérale; 2) manque d’orientation claire sur la façon dont cette politique, ce plan ou ce programme devrait s’appliquer dans le cas d’une EI régionale ou de projet.

Changements climatiques

Le Comité recommande qu’une EI stratégique soit réalisée pour établir des seuils ou des cibles pour les émissions de gaz à effet de serre pour un secteur, une industrie ou une région en particulier afin que les nouveaux développements correspondent aux engagements du Canada en matière de changements climatiques. Ces seuils et ces cibles pourraient ensuite être rendus exécutoires dans l’EI de projet.

Conclusion

Toute personne souhaitant faire des commentaires sur le rapport et les recommandations du Comité d’experts peut le faire d’ici le 5 mai 2017 via le site Web du gouvernement du Canada à l’adresse suivante : http://www.parlonsee.ca/.

Outre l’examen des processus d’évaluation environnementale, le gouvernement du Canada a aussi entrepris un examen relatif à la modernisation de l’Office national de l’énergie ainsi qu’un examen relatif au rétablissement des mesures de protection éliminées et à l’intégration de mesures de protection modernes dans la Loi sur les pêches et la Loi sur la protection de la navigation6.

Notes

1 Le texte du rapport peut être consulté via le lien suivant : https://www.canada.ca/content/dam/themes/environment/conservation/environmental-reviews/building-common-ground/batir-terrain-entente.pdf.

2 Toute personne souhaitant faire des commentaires sur le rapport et les recommandations du Comité d’experts peut le faire sur le site Web du gouvernement du Canada via le lien suivant : http://www.parlonsee.ca/.

3 Le Comité d’experts énumère les matières suivantes : les espèces en péril, les poissons, les plantes marines, les oiseaux migrateurs, les peuples et les territoires autochtones, les émissions de gaz à effet de serre qui revêtent une importance nationale, les effets sur les bassins hydrographiques et atmosphériques chevauchant les limites provinciales ou les frontières nationales, la navigation et le transport maritime, l’aéronautique, les activités dont l’exercice chevauche les limites provinciales ou les frontières nationales et les ouvrages liés à ces activités ainsi que les activités liées à l’énergie nucléaire. 

4 Il y a substitution quand il y a un seul processus d’EI à l’issue duquel chaque instance conserve son pouvoir décisionnel.

5 Il y a équivalence lorsque, en présence de deux processus considérés comme équivalents, un seul processus d’évaluation est réalisé et seule l’instance qui a mené ce processus rend une décision.

6 De plus amples renseignements sur ces examens sont disponibles sur le site Web du gouvernement du Canada via le lien suivant : https://www.canada.ca/fr/services/environnement/conservation/evaluation/examens-environnementaux.html.



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