Le 8 mai, la Cour suprême du Canada a déposé ses motifs écrits1 dans la cause 9354-9186 Québec inc. c. Callidus Capital Corp.2 

La décision unanime de la Cour suprême renverse la décision de la Cour d’appel du Québec, rétablit l’ordonnance du juge d’instance et consacre la reconnaissance du vaste pouvoir dont dispose un tribunal en matière d’insolvabilité, entre autres, pour approuver un accord de financement de litige à titre de financement temporaire et empêcher un créancier de voter à l’égard d’un plan d’arrangement lorsque le créancier agit dans un but illégitime.

Contexte

Bluberi Gaming Technologies Inc., devenue 9354‑9186 Québec inc., fabriquait, distribuait, installait et entretenait des appareils de jeux électroniques pour casino. Elle offrait aussi des systèmes de gestion dans le domaine des jeux d’argent.

En 2012, Callidus Capital Corporation, à cette époque une division inscrite en bourse de Catalyst Capital Group Inc., prête 24 millions de dollars à Bluberi. Malgré que Bluberi n’atteigne pas les projections, Callidus continue de lui octroyer du crédit et, en 2015, Bluberi doit environ 86 millions de dollars à Callidus, dont près de la moitié est composée d’intérêts et de frais.

En 2015, Bluberi se place sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). Dans sa requête, Bluberi allègue que Callidus a délibérément eu recours à des tactiques abusives dans le but de devenir propriétaire de son entreprise. La requête de Bluberi est accueillie malgré l’objection de Callidus. 

En 2016, Bluberi propose un processus de mise en vente aux termes duquel quatre offres sont présentées et Callidus dépose l’offre gagnante. Selon la convention de vente, Callidus obtiendrait l’ensemble des actifs de Bluberi en échange de l’extinction de la presque totalité de la créance garantie de 135,7 millions de dollars qu’elle détient à l’encontre de Bluberi, à l’exception d’une créance garantie non libérée de 3 millions de dollars. D’autre part, Bluberi est autorisée à se réserver le droit de réclamer des dommages-intérêts à Callidus en raison de l’implication alléguée de celle ci dans les difficultés financières de Bluberi (les réclamations réservées). Depuis la vente, les réclamations réservées sont le seul élément d’actif de Bluberi et représentent donc la seule garantie que possède Callidus pour sa créance restante de 3 millions de dollars.

Le 11 septembre 2017, Bluberi dépose une demande (la demande de financement de litige) par laquelle elle sollicite l’approbation d’un financement provisoire de 2 millions de dollars sous forme de facilité de crédit afin de financer le coût des procédures liées aux réclamations réservées ainsi que l’approbation d’une charge super-prioritaire de 20 millions de dollars en faveur du bailleur de fonds, une société de capital de risque comprenant notamment Bentham IMF et l’ancien président, fondateur et propriétaire ultime de Bluberi, Gérald Duhamel (le bailleur de fonds). Les conditions de l’accord de financement du litige (AFL) comprenaient une rémunération au résultat établie selon un pourcentage des sommes accordées à l’issue du litige. Les sommes engagées n’étaient par ailleurs pas remboursables et ne portaient pas intérêt. 

Une semaine plus tard, soit la veille de l’audience de la demande d’approbation du financement du litige de Bluberi, Callidus propose un plan d’arrangement prévoyant le paiement de 2,63 millions de dollars aux créanciers de Bluberi, sauf elle même, en échange de quoi elle serait libérée des réclamations réservées. Le juge d’instance remet l’audition des deux demandes au 5 octobre 2017. Entre-temps, Bluberi dépose son propre plan d’arrangement dans lequel elle propose que la moitié des sommes provenant des réclamations réservées, après paiement des dépenses, soit distribuée aux créanciers, pourvu que la somme nette ainsi obtenue soit supérieure à 20 millions de dollars.

Après le défaut de Bluberi de déposer les fonds nécessaires pour couvrir les dépenses découlant de la présentation de son plan, seul le plan de Callidus est présenté aux créanciers. Le 15 décembre 2017, SMT Hautes Technologies, le deuxième créancier en importance de Bluberi après Callidus, vote contre le plan de Callidus (en sa version modifiée), empêchant ainsi le plan de Callidus d’obtenir la majorité de deux tiers nécessaire pour que le plan soit approuvé.

La demande de financement du litige est reportée de nouveau et entendue finalement le 6 février 2018. En réponse, le 12 février 2018, Callidus dépose un nouveau plan d’arrangement, augmentant sa contribution aux recouvrements des autres créanciers de 250 000 $. En outre, Callidus évalue sa garantie à zéro et demande au juge d’instance la permission de voter en tant que créancier non garanti à l’égard de sa preuve de réclamation de 3 millions de dollars. Avec la permission de voter sur son propre plan, il est permis de croire que Callidus obtiendrait la majorité de deux tiers nécessaire pour obtenir l’approbation de son plan d’arrangement.

La Cour supérieure du Québec3

Le juge Michaud de la Cour supérieure approuve l’AFL, concluant que dans un contexte d’insolvabilité, les arrangements de financement de litige par des tiers doivent généralement être approuvés et qu’il n’est pas nécessaire de les soumettre à l’approbation des créanciers4, sous réserve des principes suivants :

  • L’accord de financement par un tiers doit être nécessaire pour que le demandeur puisse avoir accès à la justice, accès dont il n’aurait pas bénéficié autrement;
  • Le droit du demandeur de donner des instructions aux conseillers juridiques et de contrôler le litige ne doit pas être diminué par l’accord de financement du litige par un tiers;
  • L’accord de financement par un tiers ne doit pas nuire à la relation entre l’avocat et son client ou aux devoirs de confidentialité de l’avocat;
  • La rémunération du tiers bailleur de fonds doit être juste et raisonnable; et
  • Le tiers bailleur de fonds doit s’engager à préserver la confidentialité de l’information confidentielle et des renseignements privilégiés.

Le fait que le bailleur de fonds n’ait exigé aucuns frais ou intérêts sur les sommes avancées, ait affecté des ressources considérables à l’évaluation du bien-fondé de la réclamation en soi et n’avait aucun intérêt à retarder indûment les procédures afin d’en retirer davantage de frais ou d’intérêts a joué un rôle de toute évidence important. Le contrôleur a également souligné que le recours contre Callidus représentait la seule option pouvant donner lieu à un recouvrement pour les créanciers.

Le juge Michaud, citant principalement la décision de 1998 de la Cour d’appel de la Nouvelle Écosse dans l’affaire Laserworks5, a souligné en outre que le comportement de Callidus était contraire aux [TRADUCTION] « exigences d’opportunité, de bonne foi et de diligence qui sont des considérations de base que la cour doit garder à l’esprit lorsqu’elle exerce le pouvoir discrétionnaire conféré par la LACC ». Il fait remarquer que Callidus :

  • A contesté initialement que les procédures en vertu de la LACC étaient indiquées pour empêcher Bluberi de poursuivre sa demande de dommages-intérêts contre Callidus;
  • A permis au contrôleur et aux débiteurs de travailler à une évaluation de l’entreprise, puis de nommer un chef de la restructuration, pour finalement adopter une position différente devant le tribunal pour épuiser les ressources financières de M. Duhamel; et
  • A déposé son plan d’arrangement, prévoyant des quittances des réclamations contre elle à 15 h la veille de l’audience prévue de la demande de financement de litige. De fait, Callidus [TRADUCTION] « achetait des quittances de créanciers sans intérêt aucun dans l’octroi de celles ci ». 

La Cour d’appel du Québec6

Dans une décision unanime, la Cour d’appel a renversé le jugement du juge d’instance, concluant que :

  • Le tribunal chargé de l’application de la LACC a commis une erreur de principe et exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable en s’appuyant sur [TRADUCTION] « des allégations d’une instance qui n’a pas encore été introduite » pour empêcher Callidus, en tant que promoteur du plan, d’exercer son droit fondamental de vote à l’égard de son plan;
  • Dans le cas en l’espèce, l’AFL n’est pas équivalant à un financement temporaire, dont le but est de permettre à un débiteur de poursuivre ses activités pendant sa restructuration. L’AFL équivaut plutôt à un plan d’arrangement aux termes duquel Bluberi ferait des paiements à ses créanciers non garantis si elle réglait ou gagnait une poursuite contre Callidus. Par conséquent, l’AFL doit être soumis au vote des créanciers; et
  • Le financement de litige à la base d’un plan d’arrangement en vertu de la LACC doit être divulgué dans son entièreté aux créanciers, sous réserve uniquement du privilège relatif au litige. Il revient aux créanciers de décider s’ils acceptent les risques associés à l’AFL en toute connaissance du niveau de recouvrement selon différents scénarios quant à l’issue du litige. 

La Cour d’appel a donc ordonné qu’une assemblée des créanciers soit tenue pour permettre aux créanciers de voter relativement au plan de Callidus ou, si Bluberi déposait un plan sous forme de l’AFL (en sa version modifiée), de voter pour approuver le plan de Callidus ou celui de Bluberi, Callidus disposant du droit de vote à l’égard des deux plans.

La Cour suprême du Canada 

Plutôt que de traiter toutes les questions juridiques soulevées dans cette affaire, la Cour suprême s’est concentrée sur deux questions : le juge d’instance a-t-il commis une erreur 1) en empêchant Callidus de voter sur son propre plan et 2) en approuvant l’AFL en tant que plan de financement temporaire selon les termes de l’art. 11.2 de la LACC?

Avant de plonger au cœur du sujet, la Cour a donné des précisions utiles sur i) l’évolution des objectifs de la LACC; ii) le pouvoir discrétionnaire du juge d’instance chargé de la supervision d’un dossier de restructuration en vertu de la LACC; et iii) le degré de déférence de la part des tribunaux d’appel envers les décisions rendues par le juge d’instance.

Considérations préliminaires

En ce qui a trait à l’évolution des objectifs réparateurs généraux de la LACC, la Cour a souligné que « ces objectifs incluaient les suivants : régler de façon rapide, efficace et impartiale l’insolvabilité d’un débiteur; préserver et maximiser la valeur des actifs d’un débiteur; assurer un traitement juste et équitable des réclamations déposées contre un débiteur; protéger l’intérêt public; et, dans le contexte d’une insolvabilité commerciale, établir un équilibre entre les coûts et les bénéfices découlant de la restructuration ou de la liquidation d’une compagnie ». 

La Cour a reconnu que « les procédures intentées sous le régime de la LACC ont évolué de telle sorte qu’elles permettent des solutions qui évitent l’émergence, sous une forme restructurée, de la société débitrice qui existait avant le début des procédures, mais qui impliquent plutôt une certaine forme de liquidation des actifs du débiteur ».

La Cour a indiqué « [que] les affaires types qui relèvent de cette loi ont historiquement facilité la restructuration de l’entreprise débitrice qui n’a pas encore déposé de proposition en la maintenant dans un état opérationnel, c’est à dire en permettant qu’elle poursuive ses activités. [L]orsque la restructuration d’une société débitrice qui n’a pas déposé de proposition est impossible, une liquidation visant à protéger sa valeur d’exploitation et à maintenir ses activités courantes peut devenir l’objectif réparateur principal. En outre, lorsque la restructuration ou la liquidation est terminée et que le tribunal doit décider du sort des actifs résiduels, l’objectif de maximiser le recouvrement des créanciers à partir de ces actifs peut passer au premier plan »7.

Confirmant une fois de plus le vaste pouvoir discrétionnaire du juge surveillant, la Cour a indiqué que l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire doit tendre à la réalisation des objectifs réparateurs de la LACC en gardant à l’esprit trois considérations de base : 1) l’ordonnance demandée est indiquée dans les circonstances, 2) le demandeur a agi de bonne foi et 3) avec la diligence voulue. La considération de la diligence décourage les parties de rester sur leur position et fait en sorte que les créanciers n’usent pas stratégiquement de ruse ou ne se placent pas eux-mêmes dans une position pour obtenir un avantage. Cela comprend faire preuve de diligence raisonnable dans l’évaluation de leurs propres réclamations et sûretés.

Conséquemment, la Cour a soutenu que les décisions discrétionnaires des juges surveillants commandent un degré élevé de déférence, les cours d’appel ne seront justifiées d’intervenir que si le juge surveillant a commis une erreur de principe ou exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable.

Les questions en appel

Compte tenu des indications qui précèdent, la Cour a reconnu la primauté du droit de vote d’un créancier en l’assujettissant néanmoins au pouvoir discrétionnaire du juge surveillant d’empêcher un créancier de voter lorsque les circonstances l’exigent. Par exemple, le juge surveillant peut empêcher un créancier de voter dans la même catégorie que d’autres créanciers en l’absence d’intérêts communs (par. 22(1) et (2) LACC) ou si le créancier agit dans un but illégitime. 

Pour en venir à cette conclusion, la Cour a établi des parallèles avec le pouvoir discrétionnaire qui existe en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI) et qui a été reconnu dans Laserworks8. La Cour a donc importé ce pouvoir discrétionnaire dans la LACC étant donné que « la LACC établit un mécanisme plus souple, dans lequel les tribunaux disposent d’un plus grand pouvoir discrétionnaire » que la LFI et en raison des « bienfaits de l’harmonisation [...] des deux lois » et « afin d’écarter les embûches pouvant découler du choix des créanciers de “recourir à la loi la plus favorable” ».

Bien qu’elle ait souligné l’adoption de l’art. 18.6 de la LACC et la codification de l’obligation de bonne foi, la Cour a jugé que le pouvoir du juge surveillant d’empêcher un créancier de voter provenait de l’art. 11 de la LACC et de son analyse factuelle à savoir si ledit créancier a fait preuve de diligence ou s’il a agi de manière à contrecarrer, à miner les objectifs de la LACC et l’équité fondamentale qui imprègne le droit et la pratique en matière d’insolvabilité ou à aller à l’encontre de ces objectifs. 

Étant donné le vaste pouvoir discrétionnaire dont le juge surveillant dispose, la Cour s’en est remise à l’analyse du juge Michaud pour savoir s’il y a lieu d’approuver l’AFL à titre de financement provisoire dans les faits de l’espèce, compte tenu du libellé de l’art. 11.2 de la LACC et des objectifs réparateurs de la LACC de façon plus générale. La Cour a choisi de ne pas donner d’indication définitive aux tribunaux d’instance inférieure relativement aux conditions d’approbation des accords de financement de litige, mais a reconnu que la jurisprudence portant sur de tels accords continue d’évoluer et, « dans la mesure où les accords de financement de litige par un tiers ne sont pas illégaux en soi, il n’y a aucune raison de principe qui permet d’empêcher les juges surveillants d’approuver ce type d’accord à titre de financement temporaire dans les cas qui s’y prêtent ».

La Cour a convenu que l’AFL et la charge en faveur du bailleur de fonds ne constituaient pas un plan d’arrangement et que l’approbation officielle des créanciers à la double majorité n’était par conséquent pas requise. La Cour est d’accord avec l’analyse de la Cour d’appel de l’Ontario dans Crystallex et sur le fait que le juge surveillant se soit fondé sur cette cause pour conclure que Callidus devait être empêchée de voter sur son nouveau plan proposé. Dans Crystallex, tout comme dans l’affaire en l’espèce, le seul élément d’actif important du débiteur était une réclamation d’arbitrage contre le Venezuela. Comme Callidus, certains créanciers dans l’affaire Crystallex alléguaient que l’accord de financement de litige en cause représentait un plan d’arrangement et non pas un financement temporaire. 

La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté leur argument et déclaré que l’art. 11.2 [TRADUCTION] « n’empêche pas le juge surveillant d’approuver, s’il y a lieu, avant qu’un plan soit approuvé, l’octroi d’une charge garantissant un financement qui pourra continuer après que la compagnie aura émergé de la protection de la LACC »9.

En conclusion

Devant le nombre croissant de restructurations et de liquidations à l’échelle mondiale et l’accès de plus en plus difficile aux liquidités, la décision de la Cour suprême dans l’affaire Bluberi apporte un soutien au rôle de plus en plus interventionniste confié au juge surveillant sous le régime de la LACC, à la légitimité des procédures de liquidation sous le régime de la LACC et à l’utilisation des accords de financement de litige comme financement temporaire. Parallèlement, la reconnaissance officielle de la doctrine du but illégitime dans le cadre de procédures en vertu de la LACC donnera vraisemblablement lieu à un examen plus approfondi par les tribunaux du comportement des parties prenantes. Étant donné les défis économiques à venir, les avocats dans le domaine devront continuer à trouver des solutions innovatrices guidées par les objectifs réparateurs de la LACC, en gardant à l’esprit les principes sous-jacents d’équité qui sous-tendent le droit en matière d’insolvabilité au Canada.


Notes

1   Le jugement oral avait été précédemment rendu sur le banc le 23 janvier 2020. 

2   2020 CSC 10 [Bluberi].

3   Arrangement relatif à 9354-9186 Québec inc. (Bluberi Gaming Technologies Inc.) -and- Ernst & Young Inc., 2018 QCCS 1040.

4   Citant Re Crystallex, 2012 ONCA 404 [Crystallex].

5   3004876 Nova Scotia Ltd v. Laserworks Computer Services Inc., 1998 CanLII 2550 (NS CA) [Laserworks].

6   Arrangement relatif à 9354-9186 Québec inc. (Bluberi Gaming Technologies Inc.), 2019 QCCA 171.

7   Bluberi aux paras 41 et 46.

8   Voir, par exemple, les paras 43(7), 108(3) et 187(9) de la LFI.

9   Crystallex au para. 68.



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