Insurtech : l’AMF précise les règles applicables à la distribution de produits d’assurances par Internet à partir de juin 2019

Mondial Publication Novembre 2018

Le 17 octobre dernier, l’Autorité des marchés financiers (AMF) tenait une séance d’information publique sur le projet d’encadrement de la distribution par Internet et de la distribution sans représentant de produits d’assurance et de services financiers. Cette séance publique avait lieu dans le cadre de la période de consultation lancée récemment par l’AMF et se terminant le 10 décembre 2018. Cette période de consultation vise, notamment, à recueillir les commentaires des personnes intéressées sur le projet de Règlement sur les modes alternatifs de distribution (le Projet de règlement) devant encadrer la distribution de produits d’assurance et de services financiers sans l’entremise d’une personne physique et la distribution sans représentant. En effet, suivant l’adoption du projet de loi 141 et tel qu’il appert du Projet de règlement, l’AMF entend préciser les modalités de la distribution de produits et services financiers par deux modes alternatifs de distribution, soit i) la distribution sans l’entremise d’une personne physique (distribution par Internet), et ii) la distribution par l’entremise d’un distributeur conformément au Titre VIII de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF) (distribution sans représentant).

La présente se veut un compte rendu de certains éléments importants abordés lors de la séance publique d’information qui sont d’intérêt relativement à la distribution par Internet et à la distribution sans représentant.


Offre de produits et services et services financiers par un cabinet sans l’entremise d’une personne physique

Quels produits peuvent être distribués par l’Internet sans l’entremise d’une personne physique?

D’entrée de jeu, soulignons que l’AMF a confirmé lors de la séance qu’elle n’entend pas limiter la nature des produits d’assurance qui pourront être distribués sans l’entremise d’une personne physique. Cette latitude offerte par l’AMF nous apparaît en partie atténuée par le fait que les cabinets qui désirent se prévaloir de la distribution par Internet sans l’aide d’un représentant devront s’assurer de mettre en place des outils technologiques capables de conseiller les clients sur leurs besoins, de la même façon qu’un représentant serait tenu de le faire, et également fournir aux clients les mêmes renseignements et documents qu’un représentant doit normalement fournir à son client en fonction des produits offerts et de la réglementation applicable. Ainsi, rencontrer ce fardeau pour certains produits d’assurance plus complexes uniquement par l’entremise d’outils technologiques n’apparaît pas, a priori, une mince tâche. Par ailleurs, lorsque les analystes de l’AMF ont été questionnés par certains intervenants quant à savoir comment les cabinets qui pratiqueront la distribution par Internet pourront respecter certaines obligations spécifiques, ceux-ci ont répondu que l’objectif du Projet de règlement est de mettre en place un cadre législatif permettant l’innovation technologique, mais qu’il sera de la responsabilité des cabinets de développer les outils technologiques permettant de rencontrer les exigences applicables.

À la lumière de ces commentaires, il nous apparaît que le nouveau cadre législatif et réglementaire dans sa forme actuelle favorisera les acteurs de l’industrie qui auront la capacité financière de développer rapidement des outils technologiques performants permettant la distribution adéquate d’une variété de produits tout en respectant l’ensemble des exigences habituellement applicables à un représentant.

De quelle façon les produits doivent-ils être distribués par un cabinet?

Un cabinet qui désire se prévaloir de la distribution par Internet devra s’assurer de développer et mettre en place une « plateforme », soit un espace numérique, permettant d’interagir directement avec le client. La plateforme devra respecter plusieurs exigences réglementaires prévues au Projet de règlement et devra donc, à notre avis, être nécessairement le fruit d’une collaboration entre des ressources technologiques et juridiques. À titre d’exemple, la plateforme devra être conçue de façon à permettre au cabinet de détecter et, lorsque nécessaire, de suspendre ou mettre fin automatiquement à une action initiée sur la plateforme lorsque le produit envisagé ne convient pas aux besoins du client ou encore lorsqu’une contradiction ou une irrégularité dans les renseignements fournis par le client peut mener à un résultat inapproprié pour celui-ci. Il va sans dire que cette obligation fait reposer un fardeau important sur les cabinets, d’autant plus qu’il sera de la responsabilité de ceux-ci de démontrer à l’AMF que leur plateforme est en mesure de rencontrer les obligations réglementaires applicables aux produits distribués.

Par ailleurs, le Projet de règlement prévoit également l’obligation pour les cabinets de développer et d’adopter des procédures quant à la conception, à l’utilisation et à la maintenance de leur plateforme et d’en assurer la mise en œuvre. Les procédures doivent notamment décrire le fonctionnement de la plateforme et les mesures de contrôle applicables. Elles doivent en outre permettre l’identification, la gestion et la mitigation des risques internes et externes liés à la plateforme.

Enfin, le Projet de règlement prévoit certaines obligations quant aux renseignements qui doivent être transmis au client par l’entremise de la plateforme. Tandis que certains renseignements doivent seulement être transmis à certaines étapes spécifiques de la transaction, d’autres renseignements doivent être visibles en tout temps sur la plateforme. A priori, il nous apparaît que ce volume important de renseignements qui devra être visible en tout temps rendra difficile l’utilisation dans certains contextes d’une application pour appareils cellulaires d’autant plus que l’AMF a confirmé que les renseignements prescrits doivent absolument être visibles et qu’ils ne peuvent pas être audibles. Le cabinet doit également rendre disponible en tout temps sur sa plateforme un spécimen de la police pour chaque produit offert. Il sera intéressant d’observer de quelle façon l’AMF réagira à certains commentaires formulés lors de la consultation quant aux enjeux concurrentiels que soulève cette exigence, notamment quant à la disponibilité en ligne de certains avenants exclusifs.

Quel sera le rôle du représentant lors de la distribution de produits financiers par Internet?

L’AMF a confirmé lors de la consultation qu’un représentant devra prendre les moyens nécessaires afin que des représentants, rattachés au cabinet et autorisés à agir dans la discipline requise pour offrir le produit ou le service en question, agissent en temps utile auprès des clients qui en expriment le besoin. Quoique l’AMF ne recommande pas d’exiger la disponibilité des représentants en tout temps, elle est cependant d’avis que les cabinets devront prendre des mesures d’atténuation des risques de transactions qui ne respecteraient pas les obligations législatives et réglementaires en dehors des heures de disponibilité des représentants. La nature de ces mesures n’a pas été précisée, mais il nous apparaît qu’un client qui requiert les services d’un représentant à l’extérieur des heures de disponibilité et qui, par conséquent, n’est pas en mesure d’obtenir les réponses à ses interrogations ne devrait pas être en mesure de souscrire au produit ou au service en question avant d’avoir obtenu les réponses à ses interrogations auprès du représentant adéquat.

Soulignons que le représentant qui interviendra auprès d’un client devra, bien entendu, s’assurer de respecter l’ensemble de ses obligations déontologiques habituelles. En effet, celui-ci pourra, selon le niveau et l’incidence de son intervention auprès du client, engager sa responsabilité. Par ailleurs, les cabinets doivent s’assurer de consigner au dossier du client l’ensemble des renseignements qui lui ont été présentés par l’entremise de la plateforme et, le cas échéant, d’un représentant. En demandant aux cabinets de colliger ces informations, l’AMF s’assure de pouvoir départager les responsabilités du représentant de celles de la plateforme.

Notons également que l’AMF a confirmé lors de la séance que les réponses aux questions techniques relatives à l’utilisation de la plateforme pourront être fournies par des intervenants qui ne se qualifient pas à titre de représentants. Nous sommes cependant d’avis que les cabinets devront être extrêmement prudents et s’assurer qu’aucun conseil n’est fourni par ces intervenants, de sorte qu’un client qui requiert de tels services auprès d’un intervenant soit immédiatement redirigé auprès d’un représentant rattaché au cabinet et autorisé à agir dans la discipline requise.

Offre de produits et services financiers par l’entremise d’un distributeur 

Quelles sont les modifications applicables au cadre législatif et réglementaire applicable à la distribution sans représentant?

Quoique la distribution sans représentant soit déjà permise sous le Titre VIII de la version actuelle de la LDPSF, il importe de souligner que le cadre réglementaire applicable sera substantiellement modifié par l’entrée en vigueur du Projet de règlement prévue pour le 13 juin 2019.

D’entrée de jeu, notons que le Projet de règlement propose de remplacer le guide de distribution actuel par deux documents, soit la fiche de renseignements et le sommaire. D’une part, la fiche de renseignements vise essentiellement à transmettre au client des renseignements relatifs à des obligations prévues à la LDPSF et à répondre à des sources d’insatisfaction des consommateurs. Le modèle de fiche de renseignements devant être utilisé a été développé par l’AMF et est disponible à l’annexe II du Projet de règlement. D’autre part, le sommaire porte sur le produit offert par l’entremise du distributeur. Celui-ci doit répondre à certaines conditions précises et présenter certains renseignements spécifiques qui s’apparentent essentiellement à ceux exigés dans le guide de distribution actuellement utilisé.

Nous sommes d’avis que le Projet de règlement augmente considérablement le fardeau imposé aux assureurs qui désirent distribuer des produits d’assurance par l’entremise d’un distributeur. En effet, en vertu du Projet de règlement, l’assureur sera responsable de contrôler et de superviser l’offre de produits d’assurance par ses distributeurs. Pour ce faire, il devra notamment adopter et mettre en œuvre des procédures permettant la supervision et la formation de ses distributeurs et des personnes physiques à qui ces derniers confient la tâche de traiter avec des clients, afin de s’assurer du respect des exigences prévues par la LDPSF et le Projet de règlement. La formation offerte par les assureurs devra notamment couvrir le produit d’assurance, son public cible, la garantie offerte, les critères d’admissibilité et les exclusions et limitations applicables, les obligations légales du distributeur, la politique de traitement des plaintes de l’assureur, les pratiques favorisant le traitement équitable du client et la présentation d’une réclamation. L’assureur doit également veiller à la conformité du site Internet utilisé par son distributeur. Un service d’assistance permettant de répondre aux questions d’un distributeur à l’égard de chaque produit offert devra être mis en place par l’assureur. A priori, il nous apparaît que ces nouvelles dispositions auront pour effet d’augmenter de façon significative le risque de responsabilité éventuelle des assureurs et, par conséquent, que les assureurs devront s’assurer de mettre en place des procédures adéquates leur permettant de démontrer qu’ils ont rempli leurs obligations de supervision convenablement.

Nous sommes également d’avis que le nouveau cadre réglementaire applicable à la distribution sans représentant requerra un niveau élevé de coordination entre les assureurs et les distributeurs. En effet, l’assureur devra être en mesure de fournir en tout temps, à la demande du client ou de l’AMF, l’ensemble des renseignements et documents présentés au client au moment où celui-ci s’est vu offrir le produit d’assurance par le distributeur. De plus, l’assureur devra, dès que le client souscrira un contrat d’assurance auprès d’un distributeur, lui fournir un résumé des renseignements recueillis auprès du client et la police, l’attestation d’assurance ou l’assurance provisoire. En réponse à une question à ce sujet, les analystes ont d’ailleurs souligné que ces obligations devront être remplies immédiatement après que le client aura souscrit un contrat d’assurance auprès d’un distributeur. Quant à lui, le distributeur devra notamment s’assurer de transmettre au client un avis de résolution conforme au formulaire prévu à l’annexe 5 du Projet de règlement.

Enfin, le nouveau cadre réglementaire entend également imposer aux assureurs des obligations de divulgation initiales et annuelles à l’attention de l’AMF relativement à certains renseignements prescrits dans le Projet de règlement. Ces obligations visent notamment à permettre à l’AMF d’exercer pleinement son rôle de surveillance.

De quelle façon les produits doivent-ils être distribués par un cabinet?

Un assureur qui pratique la distribution sans représentant pourra permettre à un distributeur d’offrir ses produits d’assurance en ligne, c’est-à-dire sur le site Internet de ce distributeur. Il appartiendrait alors à l’assureur de veiller à la conformité du site utilisé par son distributeur, notamment en s’assurant que la fiche de renseignements et le sommaire sont remis au client au moment prévu au Projet de règlement. Par ailleurs, les règles spécifiques applicables aux cabinets qui effectuent de la distribution par Internet ne seraient pas applicables aux distributeurs qui offrent leurs produits par Internet. Par contre, rappelons que l’assureur est responsable des actes posés visant la souscription d’un contrat d’assurance par les distributeurs ou les personnes physiques à qui ces derniers confient la tâche de traiter avec des preneurs ou des adhérents. De plus, l’assureur devra s’assurer de rendre disponibles, en tout temps, sur son site Internet le sommaire du produit et un spécimen de police pour chaque produit offert par un distributeur.

Conclusion

Tel qu’il est mentionné précédemment, ce bulletin ne constitue pas une analyse intégrale du cadre législatif et réglementaire applicable à la distribution par Internet et la distribution sans représentant, mais se veut plutôt un résumé de certains points qui nous apparaissent particulièrement d’intérêt. Par ailleurs, à la lumière de plusieurs commentaires et réponses formulés lors de la séance publique d’information, il nous apparaît probable que le Projet de règlement sera appelé à évoluer au terme de la période de consultation. À cet égard, il sera intéressant de mesurer l’impact de la consultation publique sur le libellé définitif du Projet de règlement.



Personnes-ressources

Associé principal, chef canadien, Gouvernance
Conseiller juridique
Avocat senior

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