Les financements maritimes ou l’habitude de la crise

Publication Avril 2018

Depuis quelques années, il n’est question que de prudence et d’incertitude dans le monde du financement maritime. La crise financière de 2008 a en effet exacerbé l’aura négative entourant le financement des navires en raison de la nature même de ces derniers, catalogués « actifs à risque ». Pourquoi cette crise perdure-t-elle et quelles sont les alternatives du secteur pour inverser cette tendance à l’international, mais aussi en France ?

Plusieurs facteurs expliquent cette crise du financement, en première place desquels la crise financière de 2008 qui a entraîné une surcapacité après une période de prospérité spectaculaire entre 2003 et 2008. Les taux de fret ont alors lourdement chuté et ne sont jamais revenus à leurs niveaux d’avant crise, déjà biaisés par la réalité déconnectée de l’offre de transport liée à des comportements spéculatifs. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si beaucoup d’entreprises historiques et familiales sont encore parmi les acteurs les plus actifs dans ce domaine où la mémoire, l’expertise et l’expérience sont des données essentielles de réussite et de pérennité.

La réglementation bancaire en Europe, très exigeante en fonds propres et liquidité sur ces financements de long terme est également un facteur important. Le Comité de Bâle, qui traite des sujets relatifs au contrôle bancaire, travaille pourtant sur de nouvelles mesures (Bâle IV) visant à imposer le renforcement du niveau de la rémunération des fonds propres des banques, durcissant ainsi les règles déjà contraignantes de Bâle III pour l’ensemble des activités de financement d’actifs. Ces règles, qui doivent entrer en application en 2019, impliqueront pour les banques une analyse encore plus fine du niveau de risque des prêts, et le financement maritime sera forcément impacté par leur application. Le financement maritime, il faut le rappeler, est d’abord un financement d’actif pour lequel la sûreté principale est l’hypothèque, là où le financement dit « corporate » s’appuie essentiellement sur la bonne santé de l’entreprise.

Le financement des navires a pourtant évolué au cours de ces dix dernières années. Mais, en dépit de ces changements dans l’industrie, une étude récente de Norton Rose Fulbright (The Way ahead Transport Survey) indique que la majorité des acteurs ne s’attendent pas à ce que le financement devienne plus accessible. Seulement 27 % des personnes interrogées pensent que la capacité de financement va augmenter. La dette bancaire reste la première source de financement pour 23 %, suivi par l’appel aux fonds privés d’investissement pour 15 %, les prêts d’actionnaires pour 14 % et l’appel aux marchés de capitaux et les émissions obligataires pour 13 % des sondés.

Dans les faits, le financement par les banques traditionnelles a fortement diminué. Le volume des transactions pour les prêts syndiqués était estimé par Dealogic à environ 50 Md$ en 2016, une réduction significative par rapport au chiffre de 120 Md$ en 2007. Cette tendance à la baisse s’est confirmée en 2017 : le volume total des transactions (y compris l’offshore) a atteint 3,8 Md$ (sur la base de 26 transactions) au premier semestre 2017, contre 10,2 Md$ (sur la base de 41 transactions) au premier semestre 2016. Un certain nombre de banques historiques qui dominaient le marché, particulièrement en Europe, ont annoncé leur intention de quitter le financement maritime en vendant leurs portefeuilles ou en se concentrant uniquement sur l’existant et d’investir sur d’autres lignes de métier. À titre d’illustration, le portefeuille combiné de Commerzbank, NordLB and HSH, qui était de 77,2 Md$ en 2012, est passé à 27,8 Md$ en 2016, et RBS, qui était un acteur incontournable du marché grec, a annoncé son intention de vendre la majorité de ses lignes restantes d’ici la fin de l’année.

Il est cependant intéressant de noter que, si un certain nombre de banques s’écartent de ce marché, d’autres continuent de prêter, certes de manière sélective, en se concentrant sur les armateurs de large taille ou sur des marchés liquides (larges porte-conteneurs, VLCC...). Les ratios de financement, et notamment l’augmentation du ratio fonds propres sur investissement, a considérablement augmenté, pouvant atteindre jusqu’à 40 %, entraînant une pénurie de financement pour les armateurs de plus petite taille, ou sur des marchés moins porteurs.

Des financements sélectifs pour les armateurs de grande taille

Les armateurs, de manière générale, sont ainsi amenés à considérer des structures alternatives de type obligations à haut rendement, obligations convertibles ou crédit-bail. Au cours de ces dernières années, certains acteurs (parmi les plus importants en taille) ont en effet pu se porter sur l’activité marché de capitaux pour trouver du financement. La plupart de ces transactions concernaient les marchés de New York, d’Oslo et, dans une moindre mesure, de Londres. Le financement supporté par les agences de crédit export est également une composante majeure des financements d’envergure soit par des prêts directs, soit avec la mise en place de garantie ou de police d’assurance. En France, la combinaison de ces structures avec des mécaniques fiscales telles que le dispositif d’investissement décrit par l’article 39C du code général des impôts ou le mécanisme de l’intégration fiscale a permis aux banques françaises de continuer à jouer un rôle important. Les banques chinoises restent également actives, notamment dans le cadre du projet Obor (One Belt, One Road) par lequel la Chine veut créer une route de la soie moderne qui contribuera, entre autres, à favoriser l’industrie de la construction des navires en Chine.

Les fonds privés sont également entrés dans le jeu récemment en acquérant des portefeuilles de banques, à moindre coût, pour en tirer profit. Ces acteurs, dont la connaissance et l’expertise du secteur peuvent être discutées, coûtent plus cher que les banques et ne sont généralement pas des partenaires long terme, faisant ainsi planer un risque non négligeable pour les acteurs de l’industrie.

Notons qu’en France, l’association professionnelle Armateurs de France alerte sur toutes ces problématiques depuis quelque temps déjà et que des travaux sont en cours au sein de divers organismes professionnels pour essayer de trouver des solutions. La loi sur l’économie bleue de juin 2016 a ouvert la voie à des réformes en simplifiant l’enregistrement des hypothèques maritimes et, en application cette loi, des mesures ont été prises pour simplifier et moderniser l’immatriculation des navires. Le financement de la flotte est également une préoccupation très actuelle. En effet, quelques mois après la signature du décret actant la création d’une flotte de marine marchande stratégique française, les armateurs ont fait le point sur l’évolution de ce dossier et une réflexion est menée sur son financement, notamment au sein du Conseil supérieur de la Marine marchande.

Il faut rester optimiste et intégrer des nouvelles données, faire preuve d’innovation dans les montages et s’appuyer sur de nouveaux acteurs, comme par exemple la Banque européenne d’investissement qui, avec Société générale, est intervenue récemment dans le financement du navire Honfleur qui sera le premier ferry français fonctionnant au gaz naturel liquéfié, exploité par Brittany Ferries. Bien sûr, le verdissement de la flotte n’est qu’un élément de réponse adapté pour certains navires et pas la totalité de la flotte, mais il représente tout de même un point positif. 2018 ne devrait pas proposer de retournement spectaculaire, mais il est clair que des développements sont attendus dans le monde du financement maritime. Reste à évaluer l’ampleur de ces changements qui seront certainement progressifs et plus ou moins virulents selon les secteurs. Comme évoqué plus haut, le traitement n’est pas le même selon la taille de l’armement et le secteur d’activité, il faudra donc bien veiller à ne pas laisser certains acteurs à quai.

Cette article a été publié par Le Journal de la Marine Marchande dans son édition d’avril 2018.


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