Sapin II : un texte équilibré sur les lanceurs d'alerte ?

Publication January 2017

Si l’ONG Transparency International est globalement satisfaite de la définition du lanceur d'alerte, le cabinet d’avocats d’affaires Norton Rose Fulbright a quelques réserves, notamment en ce qui concerne la médiatisation directe des alertes.

La perfection n’existe pas. Et le régime de protection des lanceurs d’alerte, prévu par le projet de loi Sapin II entaché d'un recours devant le Conseil constitutionnel, n’échappe pas à cette règle. En effet, ONG ou cabinet d’avocats d’affaires ont à peu près le même sentiment sur ces nouvelles dispositions. Même sentiment général, mais, évidemment, pas pour les mêmes raisons… La définition du lanceur d'alerte est suffisamment protectrice pour Transparency international même si elle regrette les moyens accordés au Défenseur des droits pour le soutenir. De leur côté, les associés du cabinet d'avocat Norton Rose Fulbright

auraient aimé ajouter un élément de plus au profil du lanceur, pour éviter toute possibilité de nuisance visà-vis de son entreprise, quand bien même le pire aurait été évité. Me Christian Dargham est avocat associé au sein de ce cabinet, qui a réalisé un guide sur les legislations mondiales en matière de lanceurs d’alerte : A global guide to whistleblowing laws. Pour lui, les dispositifs d’alerte peuvent être « nécessaires et importants » pour les entreprises, qu’il s’agisse d’alertes internes ou externes.

En outre, l’avocat trouve le mécanisme aux trois étapes prévu par la nouvelle loi « logique ». Pour rappel, le lanceur d’alerte devra d’abord informer son supérieur hiérarchique (art. 8, al. 1er). Ensuite, « en l’absence de diligence » (art. 8, al. 2), il pourra saisir les autorités judiciaires, administratives ou les orders professionnels. Enfin, dans un délai de 3 mois, si cette deuxième étape se révèle inefficace, le lanceur d’alerte pourra alors rendre son signalement public (art. 8, al. 3). Le recours aux médias et à la presse pourra être utilisé directement, sans passer par les deux premiers échelons, « en cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles » (art. 8, II°).

C’est cette dernière disposition qui inquiète particulièrement Me Christian Dargham : « Qui va juger ce qui est un dommage grave et imminent ? », demande l’avocat. Il poursuit : « Iil y a souvent des personnes qui ont des comptes à régler avec leur entreprise. Or, une fois qu’un signalement sera rendu public, la machine médiatique risque de s’emballer ». Un emballement que l’entreprise aura du mal à maîtriser et rattraper : « Le mal sera fait », estime Me Dargham, qui regrette l’absence de « garde-fou », tel que le juge, pour statuer sur les caractères grave et irréversible du dommage concerné par l'alerte, avant que celle-ci ne fasse la une.

Pour Me Marc d’Haultfoeuille, également avocat associé chez Norton Rose Fulbright, le point positif majeur de la future loi Sapin II est que le lanceur d’alerte « doit agir de manière désintéressée » : « La France rattrape son retard en la matière, tout en marquant sa différence vis-à-vis du monde anglo-saxon ». En effet, certains lanceurs d’alerte, américains notamment, reçoivent des primes pouvant atteindre plusieurs millions de dollars pour une seule dénonciation.

L'alerte : une « situation paradoxale »

Pendant les discussions, les sénateurs, eux, craignaient les lanceurs d’alerte mal intentionnés. C'est pour cela qu'ils voulaient intégrer un rappel aux dispositions du code pénal relatives à la denunciation calomnieuse, en ajoutant un alinéa après la définition du lanceur d’alerte (voir l’art. 226-10 du code pénal, ainsi que le texte rendu par le Sénat en dernière lecture, art. 6A, al. 3). L’Assemblée nationale a décidé de ne pas retenir cette lettre en lecture définitive, ce que regrette Me Dargham : « Je pense que c’était important de le rappeler. Les lanceurs d’alerte doivent savoir que lorsqu’ils ont des mauvaises intentions, ils risquent de tomber sous le coup du droit pénal ».

Nicole-Marie Meyer, chargée de mission « lanceurs d’alerte » à Transparency International France, une ONG qui a participé aux travaux en la matière, que ce soit avec le Conseil d’État ou le Conseil de l’Europe, a un autre avis sur cette proposition : « Ce n’était pas sa place. Si on avait inscrit la notion de "signalement déloyal", comme l’avait écrit le Sénat, la loi se serait auto-détruite. » La porte-parole de Transparency insiste sur la « situation paradoxale » née de l’alerte. L’alerte est, par nature, déloyale. Mais la déloyauté vis-à-vis d’une entité, peut provoquer une forme de loyauté envers une autre. La solution, c’est la notion d’intérêt général, retenue dans la définition. Pour pouvoir protéger efficacement le lanceur d’alerte, « il faut toujours choisir le niveau de loyauté le plus haut », insiste Nicole-Marie Meyer.

Pour Me d’Haultfoeuille cette protection, issue du texte définitif, est excessive en ce qu’elle garantit de manière absolue l’anonymat du lanceur d’alerte : « Avant Sapin II, tout était fait pour que la personne soit identifiée. L’anonymat était exceptionnel afin d’éviter "radio corbeau". Avec ce texte, on risque de rentrer dans un système qui n’est pas bon, philosophiquement. S’il veut, le lanceur d’alerte va pouvoir conserver le secret de son identité. Mais les enquêteurs ont besoin de l’identifier pour s’assurer de la crédibilité de son histoire ». Comme une réponse, Nicole-Marie Meyer ajoute : « Il faut quand même des éléments de preuve », pour bénéficier de la protection.

Plusieurs originalités par rapport aux voisins européens

La porte-parole de Transparency ne cache pas sa satisfaction sur le texte finalement voté, et relève plusieurs originalités du régime de protection des lanceurs d’alerte à la française, par rapport aux voisins européens. En la définissant comme « menace ou préjudice graves pour l’intérêt général, le législateur a retenu une définition conceptuelle de l’alerte », élargissant considérablement son champ d'application. Le juge aura à sa charge l'appréciation de cet élément.

De plus, la définition retenue par le législateur français ne conditionne pas la protection du lanceur d'alerte à l'existence d'une relation de travail, condition pourtant intégrée dans celle du Conseil de l’Europe (voir page 7 de la recommandation du 30 avril 2014 relative à la protection des lanceurs d’alerte). Nicole-Marie Meyer relève également « l’avance des frais de procédure et le soutien financier » parmi les elements d’originalité du projet de loi. Elle regrette, cependant, que les nouvelles compétences du Défenseur des droits en matière de protection du lanceur d’alerte ne soient pas accompagnées d’un « abondement des moyens ».

The article was first published on Actuel direction juridique



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