La Commission européenne vient de publier des orientations (la Guidance) sur les critères d’utilisation du renvoi de l’article 22. Malgré ce titre technique et peu parlant, il ne faut pas sous-estimer l’impact de ce document, qui annonce un changement majeur dans le traitement des dossiers de concentration. De quoi s’agit-il, pourquoi tant de bruit, et comment s’adapter à ce nouveau cadre en pratique ?

1. L’article 22 devient un outil de contrôle extensif des opérations de concentration non notifiables

  • L’article 22 permet aux autorités nationales de concurrence de demander à la Commission de se saisir d’une opération de concentration, même lorsque les seuils communautaires ne sont pas atteints. Ce renvoi est possible si l’opération risque d’affecter (i) le commerce entre Etats membres et (ii) la concurrence sur le territoire de l’Etat (ou des Etats) demandant le renvoi.

  • Quelle nouveauté ? L’article 22 n’est pas nouveau, mais en pratique, la Commission n’acceptait de se saisir de l’opération que lorsque les Etats membres demandant le renvoi étaient compétents, c’est-à-dire lorsque les seuils nationaux étaient atteints. La nouveauté réside dans le changement d’approche de la Commission qui ouvre l’utilisation du renvoi à toute opération, y compris lorsqu’aucun seuil n’est rempli.

  • Ce mécanisme est donc lourd de conséquences car il implique désormais, pour toute opération de concentration, de ne plus se cantonner à une « simple » analyse des seuils de contrôle prévus par les réglementations nationales des Etats membres, mais aussi de mener une analyse prospective des impacts potentiels de l’opération sur la concurrence même lorsque l’opération n’est pas notifiable.

2. Un outil laissé à la discrétion des autorités nationales, sans critères précis

Très attendue, la Guidance de la Commission génère en définitive plus de questions qu’elle n’apporte de réponses :

  • Elle confirme qu’aucun secteur n’est précisément visé par ce mécanisme, même si les secteurs innovants (digital et pharma notamment) figurent au premier rang des préoccupations. La logique derrière ce changement d’approche est que, dans les secteurs où l’innovation est un facteur important de concurrence, le rachat d’une entreprise innovatrice peut avoir un impact concurrentiel important, même si le chiffre d’affaires de la cible est encore limité, et ne permet pas par conséquent de déclencher les seuils de notification. C’est le phénomène qui a été désigné par le terme de « killer acquisitions ».

  • Les deux critères d’affectation du commerce entre Etats membres et de risque d’affectation significative de la concurrence sont d’appréciation large.

    Pour le risque d’affectation significative de la concurrence, rien de très différent de l’analyse concurrentielle prospective qui doit être menée lorsqu’une opération est notifiable, sauf que le standard de preuve est allégé : les Etats membres doivent apporter des indices « prima facie » de l’affectation de la concurrence et non pas des preuves fermes.

    Par ailleurs, la nature prospective de l’analyse prend une importance particulière, puisqu’il s’agira souvent d’analyser l’évolution potentielle des cibles innovatrices.
    Mais tout type de risque concurrentiel « classique » peut être pris en compte, notamment création ou renforcement de position dominante, élimination d’un concurrent important ou d’un nouvel/futur entrant, réduction de la faculté ou de l’incitation des concurrents à exercer une pression concurrentielle (par exemple si la cible détient un actif, une infrastructure, des intrants ou des débouchés clés sur le marché), risques d’effets de levier en cas de position forte sur un marché connexe (ventes liées, couplage, pratiques d’exclusion).

  • Un critère additionnel, mais illustratif : le chiffre d’affaires d’au moins une des parties ne reflète pas son potentiel concurrentiel. La valeur d’acquisition sera un indice important si elle apparaît beaucoup plus élevée que le chiffre d’affaires de la cible.

    Tel pourra être le cas en particulier des start-ups ou nouveaux entrants à fort potentiel (business model prometteur), ou des cibles ayant des projet de R&D importants. A cet égard, le paragraphe 19 de la Guidance fournit des exemples intéressants.

3. Quel timing ?

  • Le renvoi pourra être demandé même si l’opération a déjà été réalisée.

  • En principe, pas de renvoi si 6 mois se sont écoulés après la réalisation, ou si l’opération n’était pas publique, 6 mois après la date à laquelle elle est devenue publique.

  • Exception : la Commission laisse ouverte la possibilité d’intervenir plus tard si des problèmes de concurrence ou impacts négatifs sur les consommateurs apparaissent.

4. Qui peut saisir la Commission ?

  • Normalement, la procédure de renvoi de l’article 22 est à l’initiative des Etats membres, mais la Commission peut également prendre l’initiative de contacter le ou les Etats membres concernés.

  • Surtout, la Guidance précise que les parties notifiantes peuvent se rapprocher des autorités de concurrence. Cet élément est en réalité au cœur de cette nouvelle approche : en pratique, les parties à une opération non notifiable devront systématiquement évaluer la possibilité de se rapprocher des autorités. Ce sera en effet la seule manière de sécuriser les opérations.

  • Par ailleurs, la Guidance souligne également la possibilité pour des tiers (par exemple, des clients mécontents) de se rapprocher des autorités.

  • Cela pose la question de savoir quand les parties à l’opération seront informées du fait qu’une demande de renvoi est en cours – sur ce point, la Guidance reste vague (« dès que possible »).

5. Recommandations pratiques :

  • Porter une attention particulière aux objectifs économiques de l’opération : pourquoi cette cible en particulier, quelles synergies sont envisagées, quels sont les bénéfices attendus, etc. ?

  • Faire un 360 de la cible se focalisant sur ses atouts et sur ce qui pourrait la rendre importante sur le marché (projets R&D, actifs, infrastructure, profil atypique, rôle clé dans la chaîne économique…), que ce soit en tant que pression concurrentielle, fournisseur d’intrants importants pour les concurrents, ou futur débouché.

  • Vérifier si la valeur d’acquisition est cohérente au regard du chiffre d’affaires actuel de la cible.

  • Analyser soigneusement le business plan et le potentiel de croissance qui en résulte.

  • Identifier si l’opération est susceptible d’être contestée par des concurrents, fournisseurs ou clients, et les raisons pour lesquelles ils pourraient s’en plaindre.

  • S’assurer que l’opération n’est pas susceptible de conférer ou de renforcer une position dominante à l’acquéreur.

  • Le cas échéant, envisager un contact informel avec les autorités de concurrence.

En somme, plus que jamais, une analyse conjointe entre les équipes juridiques, la stratégie et les opérationnels seront déterminants pour identifier les zones de risque et mettre en place un plan d’action.



Contacts

Partner
Counsel

Recent publications

Subscribe and stay up to date with the latest legal news, information and events . . .