Avec la propagation de Corona virus (COVID-19) à travers le monde, de très nombreuses sociétés commencent à invoquer des cas de force majeure pour
limiter leur responsabilité contractuelle face aux difficultés
d’exécution qu’elles rencontrent envers leurs co-contractants.
L’expansion du virus pourrait ainsi multiplier le recours à la notion de force
majeure, avec un effet « domino ».
Dans la continuité de l’annonce du Ministre de l’Economie
français en date du 28 février 2020 qui reconnaît le Corona virus comme un
cas de force majeure pour les entreprises dans le cadre de contrats passés avec
l’Etat, serait-il possible que cela s’applique dans les relations contractuelles
entre personnes privées ? Ce sera au juge judiciaire de trancher au cas par cas,
étant précisé que ce type de positions ministérielles pourra
vraisemblablement influencer son appréciation souveraine.
La question de l’application de la notion de force majeure s’est
déjà posée lors d’épidémies
précédentes, comme le SRAS en 2003, le H1N1 en 2009, ou encore Ebola en 2014.
Application légale de la force majeure
Pour mémoire, selon l’article 1218 du Code civil, la force majeure est
caractérisée cumulativement par :
- un événement échappant au contrôle du débiteur
(extériorité) ;
- qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du
contrat (imprévisibilité) ;
- dont les effets ne peuvent être évités par des mesures
appropriées (irrésistibilité).
La seule existence d’une épidémie ne suffit pas à elle seule
à constituer un cas de force majeure. En toute hypothèse, les conditions
précédentes doivent être respectées.
Par le passé, la jurisprudence française a eu l’occasion
d’écarter la qualification de force majeure invoquée pour cause
d’épidémie (i) lorsqu’aucun lien de causalité
n’était caractérisé entre le virus Ebola et la baisse
d’activité de la société1, (ii) lorsque
le virus Ebola n’avait pas rendu l’exécution des obligations
impossibles2, (iii) lorsque l’épidémie de
Dengue était récurrente et donc prévisible3,
et (iv) lorsque la présence du virus H1N1 avait été largement
annoncé même avant la mise en place de réglementations sanitaires4.
Il incombera au contractant qui l’invoque de démontrer que les conditions de la force majeure sont réunies, et notamment l’impossibilité de mettre en oeuvre des mesures appropriées permettant l’exécution de ses obligations, ainsi que le lien de causalité entre le Coronavirus et l’impossibilité d’exécuter ses obligations.
S’agissant de l’imprévisibilité, il serait possible de
considérer que cette condition est respectée pour les contrats passés
avant la déclaration de la propagation du virus. Pour les contrats passés
à compter de ce jour, il pourrait être opposé à la partie invoquant
un cas de force majeure que la condition d'imprévisibilité n’est pas
respectée.
Définition conventionnelle de la force majeure
Il est important de noter que les parties demeurent libres d’aménager la
définition de la force majeure dans leur contrat, en précisant ce qui sera
expressément considéré ou non comme un cas de force majeure par les
parties. Il pourrait ici être fait référence à une notion plus
générale, telle que « toute épidémie impactant
l’exécution du contrat » ou alors un virus spécifique, tel que
le COVID-19.
Durée de l’Événement de force majeure
Selon les dispositions de l’article 1218 alinéa 2 du Code civil : «
Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue
à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du
contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein
droit et les parties sont libérées de leurs obligations ».
A la différence du Code civil qui ne prévoit pas de délai
précis pour distinguer un empêchement temporaire d’un empêchement
définitif , les clauses de force majeure stipulent très fréquemment un
délai au-delà duquel chacune des parties pourra librement résilier le
contrat, après une période de négociation pour éviter la
résiliation. Compte tenu de ce qui précède, il conviendra de
prévoir dans une clause de force majeure un délai adapté aux enjeux de
l’opération et aux intérêts des parties avant d’autoriser la
résiliation du contrat.
Imprévision
Si le Corona virus est susceptible de constituer une cause de force majeure selon
l’article 1218, il y a lieu de considérer que certaines sociétés
tenteront d’invoquer un cas d’imprévision, permettant aux parties de
renégocier leur contrat dans les conditions de l’article 1195 du Code civil. On
ne parle d’imprévision que si l’exécution de l’obligation
n’a pas été rendue impossible, mais seulement plus difficile par le
débiteur, soit parce qu’il n’obtiendra en contrepartie qu’une
prestation dont la valeur aura considérablement diminuée, soit encore parce que
l’exécution, sans être impossible, exigera de lui des efforts plus grands,
un temps plus long que ce qui avait été envisagé. L'imprévision a
donc vocation à jouer un rôle préventif, le risque d'anéantissement
ou de révision du contrat par le juge devant inciter les parties à
négocier5.
Il est toutefois rappelé que les parties peuvent contractuellement exclure
l’application de l’article 1195 du Code civil relatif à
l’imprévision ou peuvent aménager ses conditions d’application, en
aménageant notamment les conditions de la renégociation et du recours au juge
pour la révision / résiliation du contrat.