Introduction
La légalisation du cannabis est un débat récurrent en France qui franchit aujourd’hui une nouvelle étape, sous la pression des évolutions en cours dans d’autres pays européens. Plusieurs d’entre eux, à l’instar de la Belgique, des Pays-Bas, du Royaume-Uni ou de l’Allemagne, ont en effet autorisé le cannabis thérapeutique au cours des dernières années.
Les députés européens se sont également emparés de la question. Le 13 février dernier une résolution a demandé à la Commission européenne et aux Etats Membres de (i) lever les obstacles réglementaires, financiers et culturels qui s’opposent à la recherche sur l’utilisation du cannabis à des fins médicales et à la recherche sur le cannabis en général, (ii) définir les domaines prioritaires de la recherche sur le cannabis à usage médical et (iii) réviser leur législation relative à l’utilisation de médicaments à base de cannabis lorsque la recherche scientifique montre que le même effet positif ne peut pas être atteint au moyen de médicaments conventionnels dépourvus d’effets addictifs.
En France, l’utilisation du cannabis, ou de ses dérivés, reste jusqu’à aujourd’hui très largement prohibée par les dispositions du code de la santé publique même si de rares exceptions existent. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (« ANSM ») vient néanmoins d’ouvrir une porte vers une légalisation encadrée du cannabis thérapeutique.
Nous faisons ici le point sur la réglementation de ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas, et sur les évolutions à venir.
L’interdiction de principe du cannabis par la législation
Le code de la santé publique réglemente l’utilisation des « substances et préparations vénéneuses » lesquelles comprennent les « substances stupéfiantes » telles que le cannabis.
A ce titre, l’article R. 5132-86, I du code de la santé publique interdit spécifiquement : (i) la production, (ii) la fabrication (iii) le transport, (iv) l’importation, (v) l’exportation, (vi) la détention, (vii) l’offre, (viii) la cession, (ix) l’acquisition ou (x) l’emploi :
- « du cannabis, de sa plante et de sa résine, des produits qui en contiennent ou de ceux qui sont obtenus à partir du cannabis, de sa plante ou de sa résine » ; et,
- « des tétrahydrocannabinols, à l'exception du delta 9-tétrahydrocannabinol, de leurs esters, éthers, sels ainsi que des sels des dérivés précités et de produits qui en contiennent ».
Les exceptions limitées prévues par la législation
L’article R. 5132-86-1 du code de la santé publique liste des exceptions limitées à l’interdiction de principe du cannabis et des tétrahydrocannabinols (« THC »).
Le delta 9-tétrahydrocannabinol
Les termes précités de l’article R. 5132-86-1 I du code de la santé publique précisent que l’utilisation des THC est interdite à l’exception du delta 9-tétrahydrocannabinol (« delta 9-THC »).
Cette dérogation ne concerne que le delta 9-THC de synthèse afin de permettre la délivrance de médicaments, et notamment le Marinol®, utilisé pour soulager des douleurs neuropathiques centrales et périphériques ou après l’échec des traitements de première ligne en matière d’antidépresseurs tricycliques, d’antiépileptiques ou d’opioïdes.
Toutefois, la délivrance de Marinol® n’est autorisée que dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation nominative (« ATUn »)4. Il s’agit d’un mécanisme permettant l’utilisation exceptionnelle d’une spécialité pharmaceutique qui (i) ne s’adresse qu’à un seul patient et (ii) est délivrée sous la responsabilité de son médecin prescripteur lequel doit, dans le cas du Marinol®, obligatoirement exercé dans un centre anti-douleur. La diffusion du Marinol® est ainsi très limitée.
La recherche et le contrôle
L’article R. 5132-86, II alinéa 1 du code de la santé publique prévoit que le directeur général de l’ANSM peut déroger à l’interdiction prononcée par l’article R. 5132-86, I précitée du code de la santé publique à des fins (i) de recherches ou de contrôle ou (ii) de fabrication de dérivés.
Ces dérogations octroyées par le directeur général de l’ANSM ne sont toutefois pas publiées.
Le cannabis dépourvu de propriété stupéfiante
L’article R. 5132-86, II alinéa 2 du code de la santé publique prévoit que (i) la culture, (ii) l’importation, (iii) l’exportation et (iv) l’utilisation industrielle et commerciale de cannabis dépourvu de propriété stupéfiante peuvent être autorisées par arrêté ministériel.
L’arrêté ministériel du 22 aout 1990 (NOR : SPSM9001750A)5 autorise ainsi l’utilisation de diverses variétés de cannabis à condition que :
- lesdites variétés soient spécifiquement déterminées, il s’agit entre autre du Carmagnola, du C.S. ou du Delta-Llosa ;
- la teneur en delta 9 THC des variétés de cannabis soit inférieure à 0,2% et déterminée selon une méthode spécifique fondée sur la détermination quantitative par chromatographie en phase gazeuse après extraction par un solvant ;
- seules les graines et les fibres soient utilisées. L’utilisation des fleurs est ainsi interdite.
Cette dérogation existe afin de permettre l’utilisation du chanvre à des fins industrielles et commerciales. Elle permet notamment la commercialisation de produits contenant du cannabidiol (« CBD ») utilisé pour la fabrication de liquides pour cigarettes électroniques, de produits cosmétiques ou de gélules.
Les médicaments à base de cannabis régulièrement autorisés
L’article R. 5132-86, III dispose que les opérations (i) de fabrication (ii) de transport, (iii) d’importation, (iv) d’exportation, (v) de détention, (vi) d’offre, (vii) d’acquisition ou (viii) d’emploi relatives à des spécialités pharmaceutiques contenant du cannabis ou des TCH sont autorisées à condition que ces spécialités fassent l’objet d’une autorisation de mise sur le marché (« AMM ») régulièrement délivrée.
A ce jour, seul le Sativex® bénéficie d’une AMM depuis le 8 janvier 2014 pour le traitement de la sclérose en plaques des patients adultes. Le Sativex® n’est cependant pas commercialisé en France en raison d’une absence d’accord entre le laboratoire Almirral et le gouvernement sur le niveau de remboursement par la sécurité sociale. En effet, la commission de la transparence de la Haute Autorité de la Santé a jugé que le service médical faible et l’absence d’amélioration du service médical rendu du Sativex® ne permettaient un taux de remboursement par la sécurité sociale qu’à hauteur de 15% du prix de vente.
La résurgence du débat relatif au cannabis thérapeutique
Le 10 septembre 2018, l’ANSM a mis en place un Comité scientifique spécialisé temporaire afin d’évaluer la pertinence et la faisabilité de la mise à disposition du cannabis thérapeutique en France (le « Comité »).
Le Comité s’est réuni plusieurs fois et a progressivement défini les modalités permettant d’autoriser l’usage du cannabis thérapeutique. Il a ainsi recommandé la mise œuvre d’une phase d’expérimentation du cannabis à visé thérapeutique.
Les modalités de cette phase d’expérimentation ont été prévues par le Comité afin de définir :
- les médicaments mis à disposition, les modes d’administration, ratios et posologie :
- préparations de cannabis ou d’extraits à spectre complet ;
- médicaments à effets prolongés (sous forme de solution buvable et capsules d’huile) ou immédiats (sous forme d’huile et fleurs séchées pour vaporisation) ;
- cinq ratios de THC/CDB : THC 1 : 1 CBD, THC 1 : 20 CBD, THC 1 : 50 CBD, THC 5 : 20 CBD et THC 20 : 1 CBD ;
- les conditions de prescription et de délivrance :
- prescriptions uniquement par des médecins spécialistes pour : (i) le traitement des douleurs réfractaires aux thérapies (médicamenteuses ou non) accessibles (ii) le traitement de certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes, (iii) les soins de support en oncologie, (iv) les situations palliatives et (v) le traitement de la sclérose en plaques ;
- participation à l’expérimentation sous la forme du volontariat ;
- renseignement obligatoire d’un registre national électrique de suivi des patients ;
- formation préalable obligatoire des médecins prescripteurs ;
- les contre-indications et précautions d’emploi : (i) contre-indication pour les femmes enceintes et (ii) mise en garde de l’ensemble des patients sur leur aptitude à conduire des véhicules ou à utiliser des machines ; et,
- les modalités de suivi des patients traités : (i) mise en place d’un registre national électrique de suivi des patients et (i) création un comité scientifique pluridisciplinaire d’évaluation de l’expérimentation.
Cette phase d’expérimentation devrait être initiée au début de l’année 2020 et durer deux ans : (i) 6 mois de mise en place, (ii) 6 mois d’inclusion des patients, (iii) 6 mois de suivi des patients avec remise d’un rapport intermédiaire, et (iv) 6 mois d’analyse des données et remise du rapport d’évaluation au comité scientifique pluridisciplinaire.
Le gouvernement n’a pas encore précisé quels seront les ajustements législatifs ou réglementaires pour permettre cette phase d’expérimentation. Il sera à tout le moins nécessaire de modifier les dispositions de l’article R. 5132-86 du code de la santé publique.
Enfin, lors de sa dernière séance du 26 juin 2019, le Comité a indiqué que la question du remboursement des spécialités pharmaceutiques contenant du cannabis pendant et après la période d’expérimentation restait en suspens. Il s’agit pourtant d’un sujet déterminant pour permettre le développement du cannabis thérapeutique.