Qu’est-ce qui va changer ?
Nouveaux seuils
Outre le seuil de part de marché de 40%, qui est maintenu, deux seuils de chiffre d’affaires ont été introduits par la nouvelle réglementation :
- 1er seuil : les entreprises réalisent un chiffre d’affaires cumulé de plus de 750 millions de dirhams au niveau mondial ;
- 2e seuil : au moins deux entreprises réalisent un chiffre d’affaires individuel de plus de 250 millions de dirhams au Maroc.
Ces seuils de chiffre d’affaires et de part de marché sont alternatifs. Il suffit donc qu’un seul de ces seuils soit rempli pour que l’opération soit soumise à notification.
Cependant, conformément à l’article 1 de la loi n°104-12, il est nécessaire que l’opération puisse avoir un effet sur le marché marocain. Il serait donc possible d’argumenter que ne seraient pas soumises à notification les opérations impliquant des parties sans aucune présence ni chiffre d’affaires au Maroc, même si elles atteignent le seuil mondial de 750 millions de dirhams.
En pratique, en revanche, devraient être soumises à notification :
- les opérations atteignant le 2e seuil de chiffre d’affaires (local), indépendamment du chiffre d’affaires réalisé par les parties au niveau mondial ;
- les opérations atteignant le 1er seuil de chiffre d’affaires (mondial) sans remplir le 2e seuil (local), mais dont l’une au moins des parties est implantée ou réalise un chiffre d’affaires au Maroc.
Définition de la notion de concentration
Désormais calquée sur la définition adoptée par de nombreuses juridictions, la notion de concentration couvrira les fusions, acquisitions de contrôle (exclusif ou conjoint) et créations d’entreprises communes dites "de plein exercice" (c’est-à-dire accomplissant de manière durable toutes les fonctions d’une entité économique autonome).
A ce stade, aucunes lignes directrices n’ont encore été publiées, mais nul doute que cela figurera parmi les premières tâches du Conseil, dont les membres actuels ont déjà exprimé leur volonté de placer le droit de la concurrence marocain au niveau des standards internationaux.
Procédure
Une fois nommé, le Conseil de la concurrence sera compétent pour recevoir les notifications et statuer sur les opérations dans les délais prévus par la loi n°104-12, à l’exception de celles concernant des entreprises actives dans le secteur des télécommunications qui relèvent de la compétence de l’ANRT selon le décret n°2-16-347 du 31 mai 2016. Par ailleurs, s’agissant des opérations concernant des établissements financiers (ou organismes agréés assimilés), le Conseil devra saisir la Bank Al-Maghrib pour avis préalable avant toute décision, conformément à la loi n°113-12.
Toutefois, la Primature conservera un droit d’évocation, qui permettra au Chef du gouvernement de se saisir d’opérations pour des motifs d’intérêt général, autres que le maintien de la concurrence, notamment, le développement industriel, la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale ou la création ou le maintien de l’emploi. Bien que peu utilisé dans certains pays (notamment en France où il n’a jamais été mis en œuvre), il ne faudra pas perdre de vue ce pouvoir au Maroc, en particulier pour les opérations sensibles.
Les dossiers de notification devront répondre au formalisme prévu par le décret n°2-14-652 du 1er décembre 2014, substantiellement plus exigeant que ce qui était requis par l’ancien décret n°2-00-854.
Aucune procédure de pré-notification n’est prévue. Toutefois, on peut espérer que le Conseil acceptera de recevoir des contacts informels avant notification, comme le fait parfois la Primature.
Que faire pendant la période transitoire ?
En attendant que le nouveau régime puisse pleinement recevoir application par le Conseil de la concurrence, les entreprises parties à une opération de concentration ne semblent avoir d’autre choix que de notifier leurs opérations à la Primature sous l’égide de l’ancienne loi n°06-99.
Et pour cause, la Primature n’a pas compétence pour recevoir des notifications en vertu de la nouvelle réglementation. A l’inverse, le Conseil de la concurrence n’étant pas nommé, il ne peut en pratique instruire de dossiers de notification sur la base des nouvelles lois et ne peut que renvoyer les dossiers qui lui sont soumis à la Primature.
Cette situation bancale soulève des questions aussi bien pour l’appréciation des seuils de notification que pour la procédure de notification :
- S’agissant des seuils de notification :
En vertu de l’ancienne loi n°06-99, seules sont soumises à notification les opérations concernant des entreprises atteignant ensemble une part de marché de 40% au Maroc. L’appréciation du seuil de 40% reste source de difficultés dans la mesure où les services de la Primature considèrent qu’il peut être atteint même si une seule des parties est active au Maroc, que ce soit l’acquéreur ou la cible. Cette interprétation est contestable dès lors qu’on peine à voir quel serait l’impact d’une telle opération sur le marché marocain. Dans ce cas, faute de pouvoir faire l’économie d’une notification, il est toutefois possible en pratique de se limiter à un dossier succinct et simplifié, que la Primature s’efforce de traiter rapidement.
Pour autant, que faire des seuils de chiffre d’affaires prévus par la loi n°104-12 pendant la période transitoire ? Un certain nombre d’entreprises ont déjà fait le choix de notifier leurs opérations sur ce fondement à titre de précaution. Ces notifications ont généralement abouti à un courrier de la Primature concluant que l’opération n’était pas soumise à notification faute de remplir les critères fixés par la loi n°06-99, notamment le seuil de 40% de parts de marché. Pour autant, une telle approche prudente a au moins le mérite d’apporter une sécurité juridique aux parties, ce qui n’est pas négligeable.
- S’agissant de la procédure de notification :
En pratique, les dossiers de notification restent déposés à la Primature dans les formes prévues par la loi n°06-99, jusqu’à ce que le Conseil soit finalement nommé.
Une grande question demeure toutefois : que se passerait-il si une opération soulevait des préoccupations de concurrence ? Selon la loi n°06-99, la Primature devrait saisir le Conseil de la concurrence pour avis, ce qui n’est pas envisageable en l’absence d’un Conseil… Un tel cas de figure ne s’est a priori pas encore présenté. Cette situation pourrait inciter des entreprises à profiter de la période transitoire pour notifier des opérations sensibles. Il ne faut cependant pas oublier que la Primature a le pouvoir d’interdire une opération, même si elle n’en a jamais fait usage.
Dans l’hypothèse où le Conseil serait nommé alors qu’une opération est en cours d’examen par la Primature sous l’empire de l’ancienne loi, rien n’est prévu par les textes. Cependant, compte tenu de l’approche pragmatique dont font preuve les autorités, il est probable que l’opération resterait examinée jusqu’à son terme dans les conditions prévues par la loi n°06-99.