Des avis reconnus comme s’imposant aux autorités auxquelles ils sont destinés …
La Cour des comptes, dans son rapport de septembre 2017, a conclu sans appel que les avis de la Commission de la Transparence « lie[nt] les négociateurs »3.
C’est parfaitement juste et ni le CEPS, ni l’UNCAM, ni le ministre de la Santé (DGOS, DSS) ne le contestent.
Pour s’en convaincre, on peut constater que la LOM 2016, adressée au président du CEPS en charge de la fixation du prix, indique clairement que le niveau de prix doit directement être fonction du niveau d’ASMR fixé par les avis de la Commission de la Transparence4. L’ASMR n’est donc pas un critère alternatif parmi d’autres pour déterminer le prix mais bien le premier critère que le CEPS doit prendre en compte avant d’entamer ses négociations de prix avec les industriels.
Dans son dernier rapport d’activité de décembre 20175, le CEPS reconnaît par ailleurs, que « cet avis [de la Commission de la Transparence] est suivi par le comité dans la quasi-totalité des cas. Avant 2016 le comité a pu exceptionnellement fonder la décision qu’il prenait sur une appréciation différente de celle de la commission. […] Cette pratique n’a désormais plus cours, notamment afin que le Comité ne s’immisce pas dans le champ de l’expertise sanitaire qui ne relève pas de ses missions ».
L’article R.163-5, 2° du code de la sécurité sociale prévoit en outre qu’un médicament ayant reçu une ASMR V aux termes d’un avis de la Commission de la Transparence ne peut être remboursé que s’il permet de faire des économies dans le coût du traitement médicamenteux.
Enfin, l’article R. 162-37-2 du code de la sécurité sociale conditionne l’inscription sur la liste « en sus » au niveau d’ASMR accordé par la Commission de la Transparence à ces médicaments. Cette inscription est déterminante pour la mise à disposition des médicaments innovants.
Les autorités administratives n’ont ainsi aucun doute sur le fait que les avis de la Commission de la Transparence s’imposent à elles.
… mais considérés par le juge comme de simples « actes préparatoires », insusceptibles de recours
Pourtant, le Conseil d’Etat dans son arrêt du 17 novembre 2017 Laboratoire Abbvie, a maintenu que les avis de la Commission de la Transparence sont de simples « actes préparatoires » qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours direct6.
Il précise que, si le CEPS « peut, pour apprécier l’appréciation du service médical rendu apporté par une spécialité, s’appuyer sur les éléments que comportent [les avis de la Commission de la Transparence] » il n’est pas tenu par les avis qu’elle rend lorsqu’il décide de la saisir avant de déterminer le prix d’un médicament7.
A première vue, cette position s’inscrit dans la continuité des décisions rendues par le Conseil d’Etat en matière d’avis. Celui-ci considère, en effet, que (i) lorsqu’un texte n’indique pas expressément qu’une autorité est tenue de saisir une commission, sa saisie est facultative et (ii) que lorsque ces textes ne précisent pas non plus que les avis rendus par une commission lient les autorités administratives, ils ne sont que des actes préparatoires dont la légalité ne peut être contestée que si l’autorité administrative décide de s’approprier les motifs y figurant8.
Un état du droit difficile à cerner
D’autres décisions rendues en matière de santé avaient pourtant laisser espérer que le Conseil d’Etat tirerait les conséquences juridiques de la portée réelle des avis rendus par la Commission de la Transparence. Il semble néanmoins s’être arrêté en chemin.
Ainsi, il a énoncé clairement que les ministres « dev[aient] tenir compte » de cette évaluation pour décider d’inscrire ou non un médicament sur la liste en sus9, mais sans considérer que le ministre était lié.
Il a reconnu que l’évaluation du service médical rendu (SMR) liait le directeur général de l’UNCAM10. Pourtant, il laisse perdurer une situation où les avis de la Commission de la Transparence sont des avis « conformes », avec force obligatoire s’agissant de l’évaluation du SMR mais demeurent des avis « simples », sans portée contraignante, pour ce qui concerne l’évaluation de l’amélioration du service médical rendu (ASMR). Pareille différence de régime interroge d’autant que l’évaluation du SMR et de l’ASMR résulte souvent d’une analyse commune où les critères de l’un et de l’autre se confondent, comme l’a fort pertinemment relevé l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) dès 201311.
La qualification de simple « actes préparatoires » pour les avis rendus par la Commission de la Transparence étonne d’autant plus que le Conseil d’Etat avait admis les recours contre d’autres décisions de moindre portée telles que les fiches de bon usage des médicaments, certains communiqués communs diffusés par la HAS et l'Agence Nationale de Sécurité des Médicaments et des produits de santé (ANSM) ou encore les informations de pharmacovigilance élaborées par l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS).
Le Conseil d’Etat estimait que ces actes étaient directement attaquables en considération de l’impact de ces décisions sur les prescripteurs12.
Etrangement, le Conseil d’Etat reconnait l’impact des avis de la Commission de la Transparence sur les prescripteurs de médicaments mais n’en tire pas les mêmes conséquences. Il considère que « ces avis […] ont ainsi, quelle que soit la procédure dans laquelle ils s'inscrivent et alors même que, étant communiqués aux médecins prescripteurs, ils peuvent être un élément influant sur les choix opérés par ceux-ci, le caractère d'actes préparatoires qui ne constituent pas par eux-mêmes des décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir »13.
L’autorité reconnue aux avis de la Commission de la Transparence par le juge est donc difficile à cerner.
Une situation insatisfaisante pour l’ensemble des acteurs
Le régime contentieux des avis de la Commission de la Transparence ne correspond plus à la portée réelle que ces derniers ont acquise. Véritables décisions qui s’imposent à l’ensemble des autorités intervenant dans la suite de la procédure d’inscription au remboursement, ils sont encore qualifiés de simples « actes préparatoires » dont la régularité ne peut être contestée, qu’en toute fin de procédure, une fois que les ministres ou le directeur général de l’UNCAM s’en sont appropriés les motifs. Cet état du droit n’est satisfaisant pour personne.
Ainsi, lorsque le juge est amené à annuler un avis de la Commission de la Transparence, il remet en cause près de deux ans de procédure et de négociations.
Les autorités administratives (CEPS, UNCAM, DGOS, DSS) conduisent, quant à elles, leurs négociations ou prennent leurs décisions avec le risque que les fondements mêmes sur lesquels leur travail s’appuie soient in fine déclarés irréguliers et annulés.
Enfin, les industriels ne sont, dans certains cas, définitivement fixés sur la validité des conditions de mise à disposition de leurs médicaments que plusieurs années après le début de la phase d’accès au marché, cette incertitude ayant nécessairement un coût.