Avis de cautionnements pour salaires, matériaux et services : la Cour suprême affirme qu’il faut (parfois) faire quelque chose

Mondial Publication Février 2018

Pour faire suite à notre numéro de janvier 2018 portant sur l’audition par la Cour suprême du Canada de l’affaire Valard Construction Ltd. c Bird Construction Company, la Cour a maintenant publié son arrêt, qui pourrait toucher tous les intervenants du secteur de la construction au Canada.



Contexte

Pour résumer, la Bird Construction Company a engagé Langford Electric Ltd. pour que celle-ci exécute des travaux sur un chantier de sables bitumineux en Alberta et a exigé que Langford dépose un cautionnement pour salaires, matériaux et services (cautionnement de paiement) désignant Bird comme fiduciaire, ce qui est usuel pour ce type de cautionnement. Langford a confié une partie de son mandat en sous-traitance à Valard Construction Ltd., mais ne lui a pas payé des travaux d’une valeur supérieure à 600 000 $. Valard a poursuivi Langford pour rupture de contrat et a obtenu un jugement lui accordant la somme due, mais ce jugement était peu utile puisque Langford était insolvable. Valard n’a appris qu’après coup l’existence du cautionnement exigé de Langford et a alors immédiatement présenté une réclamation relative au cautionnement. La caution a refusé la réclamation en alléguant que plus de 120 jours s’étaient écoulés depuis la fin des derniers travaux exécutés par Valard sur le chantier, de sorte que le délai pour déposer une réclamation à l’égard du cautionnement de paiement était expiré.

Valard a poursuivi Bird pour manquement à son obligation de fiduciaire en invoquant que Bird, à titre de fiduciaire désigné, avait l’obligation positive de l’aviser de l’existence du cautionnement de paiement avant l’expiration de la période de notification. La majorité des juges de la Cour suprême a été d’accord.

Nouvelles obligations en matière d’avis

La décision de la majorité des juges insiste principalement sur deux points, à savoir le fiduciaire désigné dans un cautionnement de paiement a-t-il l’obligation d’informer les bénéficiaires éventuels de l’existence du cautionnement et, si c’est le cas, quelle est l’étendue de cette obligation d’information?

Sur le premier point, la Cour a insisté sur le fait que les fiduciaires n’étaient pas toujours tenus de divulguer l’existence d’une fiducie. Habituellement, les bénéficiaires d’une fiducie connaissent son existence lorsque la fiducie est constituée. Dans certains cas, toutefois, le contexte commercial fait en sorte que les bénéficiaires éventuels d’une fiducie ne savent pas, et ne peuvent pas savoir, que la fiducie existe si personne ne les en informe. La Cour a jugé que, dans ces circonstances, le bénéficiaire « subirait un désavantage déraisonnable s’il n’était pas informé de l’existence de la fiducie » et, par conséquent, que « le devoir du fiduciaire comport[ait] l’obligation de divulguer l’existence de celle‑ci ». C’est la première fois qu’un tribunal de common law canadien reconnaît l’obligation qui incombe à un fiduciaire d’aviser des bénéficiaires inconnus.

Valard ne connaissait pas l’existence du cautionnement et était « désavantagée déraisonnablement » par l’omission, de la part de Bird, de l’aviser du cautionnement. Plus particulièrement, Valard ne pouvait exercer ses droits de bénéficiaire en vertu du cautionnement sans connaître l’existence de celui-ci avant l’expiration du délai de 120 jours.

La Cour s’est ensuite penchée sur le deuxième point, à savoir, dans le cas où une obligation d’information existe : que doivent faire les propriétaires et les entrepreneurs désignés comme fiduciaires dans les cautionnements de paiement pour porter l’existence du cautionnement à l’attention des réclamants éventuels? La réponse est : cela dépend.

La question de savoir si le fiduciaire d’un cautionnement de paiement a l’obligation de porter l’existence du cautionnement à l’attention des réclamants éventuels et la mesure dans laquelle il a cette obligation dépendent de ce qui est « raisonnable » eu égard aux circonstances. Lorsque le fiduciaire d’un cautionnement « peut raisonnablement présumer » que les réclamants éventuels en vertu du cautionnement connaissent l’existence de celui-ci, ou lorsqu’il est impossible en pratique de notifier les éventuels réclamants, « le fiduciaire pourrait n’avoir à prendre que peu ou pas de mesures ». Toutefois, si le fiduciaire a des raisons de croire que les éventuels bénéficiaires ne connaissent pas l’existence du cautionnement et qu’il existe des moyens pratiques de porter son existence à leur attention sans que ce ne soit trop onéreux, le fiduciaire « ne peut s’acquitter de son devoir en ne prenant absolument aucune mesure ».

Dans cette affaire, les principaux faits suivants ont convaincu la Cour que Bird avait omis de s’acquitter de son devoir de fiduciaire en vertu du cautionnement :

  • La preuve a démontré que les cautionnements de paiement n’étaient pas courants dans les chantiers de construction privés dans le secteur des sables bitumineux, de sorte que Bird n’avait aucune raison de croire que Valard connaissait l’existence d’un cautionnement de paiement dans cette affaire. De fait, dans son témoignage, le directeur de projet de Valard a affirmé qu’au cours de ses 10 ans d’expérience dans le secteur, il n’avait jamais vu de cautionnement de paiement utilisé sur un chantier privé de sables bitumineux; et
  • Bird exigeait que Valard assiste à des « réunions de chantier » quotidiennes dans la remorque de Bird sur le chantier, remorque dans laquelle se trouvait un tableau où de l’information sur le chantier était régulièrement affichée, mais où aucune copie du cautionnement n’était pourtant affichée.

Vu ces faits, la majorité des juges ont conclu que Bird avait l’obligation de porter l’existence du cautionnement à l’attention de Valard et qu’il lui aurait été facile de le faire.

Souscrivant au résultat, la juge Côté en vient néanmoins à des conclusions un peu différentes. Tout en rejetant l’obligation qui incomberait aux fiduciaires d’agir de manière proactive pour informer les éventuels réclamants de l’existence d’un cautionnement, elle a conclu que Bird aurait dû notifier Valard de l’existence du cautionnement lorsqu’elle a appris, avant l’expiration de la période de préavis de 120 jours, que Valard n’avait pas été payée par Langford. Pour la juge Côté, le fait que Valard avait envoyé un courriel à Bird pour l’informer qu’elle n’avait pas été payée et lui demander des indications sur la façon d’agir était une conclusion de fait essentielle. Selon la juge Côté, cela suffisait à déclencher pour Bird l’obligation de divulguer l’existence du cautionnement de paiement, compte tenu de l’obligation générale qui incombe au fiduciaire de répondre correctement aux demandes des bénéficiaires éventuels.

Dans sa dissidence, la juge Karakatsanis a exprimé l’avis que les bénéficiaires éventuels devaient faire preuve de diligence raisonnable pour protéger leurs propres intérêts directs en demandant s’il existe un cautionnement. Elle a exprimé la crainte que l’obligation imposée aux fiduciaires par la majorité des juges se révèle onéreuse et engendre une incertitude inutile et qu’elle puisse amenuiser l’importance de l’obtention d’un cautionnement de paiement.

Recommandations

Dorénavant, les propriétaires et les entrepreneurs généraux qui sont les fiduciaires de cautionnements de paiement doivent faire preuve de prudence et prendre des dispositions raisonnables pour notifier les bénéficiaires éventuels de l’existence de cautionnements. Cette notification peut comprendre l’affichage d’une copie des cautionnements de paiement bien en vue sur les chantiers et la divulgation de leur existence aux réunions de lancement ou à d’autres réunions (et la consignation de la notification dans les procès-verbaux des réunions).

De plus, les propriétaires et entrepreneurs généraux fiduciaires peuvent faciliter la notification des bénéficiaires éventuels en exigeant dans les contrats que les débiteurs principaux qui se sont procuré des cautionnements de paiement donnent un avis en ce sens. Par exemple, un contrat pourrait exiger que la partie ayant obtenu le cautionnement donne sans délai un avis écrit de l’existence du cautionnement à chaque bénéficiaire éventuel.

En outre, si vous êtes le fiduciaire en vertu d’un cautionnement de paiement et que vous apprenez qu’un sous-traitant ou un fournisseur ayant fourni des services ou des produits pour votre chantier affirme ne pas avoir été payé par l’entrepreneur ou le sous-traitant qui a fourni le cautionnement, vous devez aviser le sous-traitant immédiatement de l’existence du cautionnement et lui en fournir une copie.

Si vous êtes un sous-traitant ou un fournisseur, vous devez toujours demander au propriétaire et à chacun des entrepreneurs ou des sous-traitants dont vous dépendez dans la chaîne contractuelle s’il existe un tel cautionnement. La common law impose aux fiduciaires l’obligation de fournir une copie de tout cautionnement de paiement sur demande, parce que celui-ci est considéré comme un acte de fiducie. Faites-en donc la demande et faites-le sans tarder. N’oubliez pas que les délais impartis pour présenter une réclamation en vertu d’un cautionnement sont courts et assurez-vous de donner un avis bien avant l’expiration du délai.

Du point de vue de la caution, l’arrêt Valard pourra également entraîner la modification des cautionnements de paiement types qui sont actuellement offerts sur le marché. Les principes de la fiducie sur lesquels s’est appuyée la Cour peuvent permettre l’inclusion, dans les futurs cautionnements types, de termes définissant les dispositions raisonnables qu’un fiduciaire doit prendre pour s’acquitter de son obligation de notifier les réclamants éventuels.



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