Entente de principe au Saguenay–Lac-St-Jean : la fin d’une longue saga?

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Mondial Publication Janvier 2016

Les faits

Le lock-out qui sévit depuis bientôt trois ans dans le secteur de l’automobile au Saguenay–Lac-Saint-Jean, un des plus longs conflits de travail au Québec – ayant généré 49 jugements de la Cour supérieure, dont 44 jugements en matière d’outrage au tribunal, sept jugements de la Commission des relations du travail et un jugement du Tribunal d’arbitrage de même que l’adoption d’une loi spéciale – est terminé. En effet, une entente de principe est intervenue le 14 janvier 2016 entre le Syndicat démocratique des employés de garage du Saguenay–Lac Saint Jean (CSD) (Syndicat), représentant dans le présent conflit environ 400 salariés de garage et la Corporation des concessionnaires d’automobiles du Saguenay–Lac-Saint-Jean-Chibougamau (Corporation), une association d’employeurs dont 25 concessionnaires d’automobiles sont impliqués dans le conflit.

L’entente de principe intervenue entre les parties a été présentée aux membres du Syndicat lors d’une assemblée générale le 23 janvier. Ceux-ci l’ont approuvée à 94 %. Quelque 150 salariés de garage sont retournés au travail le 25 janvier. Les autres salariés de garage bénéficient d’une compensation monétaire pendant six semaines. Ils pourront être rappelés au travail par l’employeur en fonction des besoins et du marché.

Rappelons que devant l’impasse dans laquelle se trouvait le présent conflit, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, M. Sam Hamad, est intervenu en novembre 2015 pour faire adopter une loi spéciale visant à favoriser un règlement des différends opposant les concessionnaires d’automobiles et les salariés de garage. Le 3 décembre 2015, l’Assemblée nationale du Québec a ainsi adopté à l’unanimité la Loi portant sur le règlement de certains différends dans le secteur de l’automobile de la région du Saguenay–Lac Saint Jean (Loi). Celle-ci prévoit une dernière période de médiation et, à défaut d’entente entre les parties, deux arbitrages à l’issue desquels les modalités de retour au travail des salariés et les conditions de renouvellement des conventions collectives doivent être déterminées. L’adoption de cette Loi a suscité une vive réaction chez les concessionnaires d’automobiles impliqués dans le conflit.

Considérant que la Loi contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés (Charte canadienne) et à la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise) en ce qu’elle viole le droit des concessionnaires d’automobiles au lock-out et le droit de négocier collectivement, la Corporation a intenté, le 11 décembre 2015, un recours devant la Cour supérieure afin d’obtenir un jugement déclaratoire visant à faire déclarer la Loi nulle, invalide et inopérante.

La Corporation a également institué en Cour supérieure une demande visant à ce que la Cour ordonne la suspension de l’application de la Loi jusqu’à ce qu’elle se prononce sur le fond de l’affaire, soit le statu quo, c’est-à-dire la poursuite de la libre négociation entre les parties et le maintien du droit au lock-out jusqu’à ce que la Cour tranche définitivement la question de la constitutionnalité de la Loi.

Or, le 30 décembre 2015, la Cour a rejeté cette demande, confirmant que les 25 concessionnaires d’automobiles impliqués dans le conflit étaient tenus de se plier à la Loi jusqu’à ce que la Cour tranche définitivement la question de sa validité.

La décision de la Cour supérieure

Pour obtenir la suspension de l’application de la Loi jusqu’à ce que la Cour supérieure tranche définitivement la question, la Corporation devait démontrer que les trois critères suivants étaient respectés :

  • l’existence d’une question sérieuse à juger;
  • l’exposition à un préjudice irréparable advenant que la Loi soit ultérieurement annulée;
  • la balance des inconvénients penche en sa faveur.

Sur le premier critère, la Cour a conclu que déterminer si le droit des employeurs au lock-out est un droit protégé par les Chartes canadienne et québécoise, au même titre que l’est le droit de grève pour les salariés, est effectivement une question sérieuse à juger.

Quant au second critère, la Cour devait s’interroger sur les conséquences que subiront les concessionnaires d’automobiles pendant la période comprise entre l’entrée en vigueur de la Loi et son éventuelle annulation, alors qu’elle tranchera la question de fond. Les concessionnaires d’automobiles allèguent notamment qu’ils subiront des pertes financières auxquelles le jugement final de la Cour supérieure ne pourra remédier. Pour la Cour, ce préjudice allégué s’avère théorique et hypothétique à ce stade-ci. Il n’est pas certain que les problèmes appréhendés vont se matérialiser d’ici le jugement final. La Cour souligne que la Loi n’impose pas en soi les modalités de retour au travail et les conditions de renouvellement des conventions collectives. C’est plutôt un arbitre qui sera appelé à en juger, après que les deux parties auront eu l’occasion de se faire entendre. En outre, la Corporation plaide que l’atteinte alléguée à un droit constitutionnel constitue en soi un préjudice irréparable. La Cour ne retient pas cet argument et réitère qu’il est nécessaire de démontrer la nature de ce préjudice. Au final, la Cour conclut que dans l’éventualité où la Loi serait considérée invalide, le droit de négocier collectivement et le droit au lock-out renaitraient et les concessionnaires d’automobiles ne subiraient donc pas de préjudice irréparable.

En ce qui concerne le dernier critère, la Corporation alléguait que la balance des inconvénients penchait en sa faveur. Elle soutenait que la Loi revêt un caractère purement privé en ce qu’elle ne s’applique qu’à un nombre restreint de concessionnaires d’automobiles ainsi qu’à environ 400 salariés. La Cour souligne que la Loi en l’espèce n’est pas une loi d’intérêt privé et qu’au contraire elle vise le bien commun. La Loi est d’intérêt public et est donc présumée valide. Son application ne sera suspendue que si ce même intérêt public le justifie. Or, en l’espèce, la Cour conclut que la suspension de la Loi, et donc le maintien du lock-out, causerait un préjudice plus grave à l’endroit des salariés de garage que le préjudice causé aux concessionnaires d’automobiles de par l’application de celle-ci.

À la lumière de cette analyse, deux des trois critères n’étant pas remplis, la Cour supérieure, sous la plume de l'honorable Daniel Dumais, a rejeté la demande de la Corporation visant à suspendre l’application de la Loi jusqu’à ce qu’un jugement final soit rendu sur la question de la constitutionnalité de la Loi.

Conclusion

Considérant l’entente de principe intervenue le 14 janvier dans le cadre du processus de médiation, les parties n’ont pas été forcées de recourir aux procédures d’arbitrage prévues par la Loi dans l’éventualité où l’ultime période de médiation n’aurait pas porté ses fruits.

La perspective de « forcer » le règlement du conflit par l’application de la Loi semble avoir constitué un levier de négociation suffisant pour dénouer l’impasse et générer une entente de principe entre les parties.

Considérant l’entente intervenue entre les parties, la Corporation se désistera-t-elle de son recours en Cour supérieure visant à trancher la question de la constitutionnalité de la Loi? Ce dossier est à suivre. En effet, la question de la protection du droit des employeurs au lock-out en vertu des Chartes canadienne et québécoise eu égard à la protection reconnue au droit de grève, dont bénéficient les salariés syndiqués, est une question importante pour tous les employeurs syndiqués au Québec.

L’auteure désire remercier Kasandra-Rose Villeneuve, stagiaire, pour son aide dans la préparation de cette actualité juridique.



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