La Loi sur les eaux navigables canadiennes rouvre la voie à la protection de la navigation

Publication Mars 2018

Nous poursuivons dans cette mise à jour notre analyse des changements proposés par le projet de loi C-69 déposé en février 2018, projet qui modifie plusieurs lois en matière environnementale, dont la Loi sur la protection de la navigation (LPN) actuellement en vigueur. Le projet de Loi sur les eaux navigables canadiennes (LENC) a pour but de remplir la promesse électorale de « retour vers le futur », soit rétablir les mesures de protection de longue date prévues par la Loi sur la protection des eaux navigables (LPEN). Bien qu’elle n’atteigne pas ce but et qu’elle ne retrouve pas son rôle antérieur quant au déclenchement d’évaluations environnementales fédérales, la LENC apportera des modifications importantes en matière de protection des eaux navigables canadiennes si elle est adoptée.


Élargissement de la définition des « ouvrages » régis par la loi

La LENC propose d’élargir la définition du terme « ouvrage » de deux façons :

  • en élargissant la définition du terme « ouvrage » par rapport à celle prévue dans la LPN prévoyant que ce terme « vise notamment les constructions, dispositifs ou autres objets d’origine humaine, qu’ils soient temporaires ou permanents » pour y inclure « notamment ceux servant à réparer ou à entretenir un autre ouvrage »,
  • en élargissant le type de modifications aux eaux navigables constituant un « ouvrage », c’est-à-dire « les déversements de remblais et les excavations de matériaux tirés du lit d’eaux navigables » pour y inclure également les « dragages de matériaux tirés du lit d’eaux navigables ».

Le projet de loi accorde également au ministre le pouvoir de prendre un arrêté « désignant des ouvrages qui risquent de gêner légèrement la navigation comme ouvrages mineurs » ou « désignant des ouvrages qui risquent de gêner sérieusement la navigation comme ouvrages majeurs ». Aux termes des modifications, des précisions sont apportées sur ce qui constitue des ouvrages régis par la loi. Par ailleurs, le pouvoir discrétionnaire ministériel de classer certains ouvrages est maintenu.

Facteurs multiples déclenchant l’obligation d’approbation d’un ouvrage par le ministre

En vertu de la LENC, pour savoir si l’approbation du ministre est nécessaire pour un ouvrage donné, il faudra déterminer la catégorie à laquelle appartient l’ouvrage et les voies navigables touchées. La LENC exigera que le propriétaire d’un ouvrage proposé ou existant présente une demande d’approbation au ministre s’il se propose « de construire, de mettre en place, de modifier, de reconstruire, d’enlever ou de déclasser » :

  • un ouvrage majeur dans, sur, sous ou à travers des eaux navigables ou au-dessus de celles-ci; ou
  • un ouvrage majeur ou un ouvrage non désigné (c’est-à-dire qui n’est ni un ouvrage majeur ni un ouvrage mineur) dans, sur, sous ou à travers des eaux navigables mentionnées à l’annexe de la Loi ou au-dessus de celles-ci.

Si un ouvrage mineur se trouve dans, sur, sous ou à travers des eaux navigables ou au-dessus de celles-ci, le propriétaire peut construire, mettre en place, modifier, reconstruire, enlever ou déclasser cet ouvrage sans approbation du ministre pourvu qu’il respecte les exigences de la LENC.

Le propriétaire qui projette de réaliser un ouvrage non désigné dans, sur, sous ou à travers des eaux navigables non mentionnées à l’annexe ou au-dessus de celles-ci doit présenter une demande d’approbation au ministre ou, sinon, émettre un avis public de l’ouvrage projeté et prendre en compte les observations publiques qu’il pourrait avoir reçues avant de procéder à la réalisation de l’ouvrage. Le mécanisme entourant la procédure d’avis public sera prévu par règlement.

Adieu « voie de navigation » canadienne

L’adoption de la première loi canadienne visant à protéger la navigabilité des voies navigables remonte à 1882 (LPEN originale). Malgré cette longue tradition, le projet de LENCest sans doute la première mouture présentant une définition complète de la notion d’« eaux navigables ». Dès 1906, le critère du canot était utilisé en common law pour déterminer si une eau canadienne était navigable. Donc, si un canot pouvait flotter sur un cours d’eau, celui-ci était navigable. À la suite d’une modification législative en 2009, Transports Canada a instauré le critère de la voie de navigation pour évaluer la navigabilité1 — c’est-à-dire qu’une eau sur laquelle il était possible de naviguer était navigable.

En vertu du projet de loi, la définition du terme « eaux navigables » est la suivante :

Plans d’eau, y compris les canaux et les autres plans d’eau créés ou modifiés par suite de la construction d’un ouvrage, qui sont utilisés ou vraisemblablement susceptibles d’être utilisés, intégralement ou partiellement, par des bâtiments, pendant tout ou partie de l’année comme moyen de transport ou de déplacement à des fins commerciales ou récréatives ou comme moyen de transport ou de déplacement des peuples autochtones du Canada exerçant des droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et qui, selon le cas :

(a) sont accessibles au public par voie terrestre ou maritime;

(b) sont inaccessibles au public et ont plus d’un propriétaire riverain;

(c) ont pour seul propriétaire riverain Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province.

Nous verrons si la définition du terme « eaux navigables » en vertu de la LENCprojetée apportera vraiment un changement étant donné que la définition proposée comprend les éléments d’usage public à des fins commerciales ou récréatives actuel ou éventuel prévus dans la LPEN; cependant, le libellé de la définition laisse entendre que l’usage historique pourrait être réservé aux usages reconnus en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Une annexe des eaux navigables ayant besoin du degré le plus élevé de protection aux termes de la loi sera encore prévue. Bien qu’il soit possible que la jurisprudence découlant de l’application du critère de la voie de navigation puisse aider à l’interprétation de la nouvelle définition, l’abandon des critères du canot et de la voie de navigation rendra ce secteur du droit un peu moins pittoresque.

Autres modifications dignes de mention

  • Augmentation de la pénalité maximale. La sanction administrative pécuniaire maximale, dans le cas des personnes physiques, passerait de 5 000 $ actuellement à 50 000 $ et, dans le cas des autres personnes, de 40 000 $ actuellement à 250 000 $. La pénalité maximale applicable à une personne physique est plafonnée à 100 000 $ pour une première infraction en vertu de la LENC et à 200 000 $ et/ou un emprisonnement maximal de six mois en cas de récidive. Les personnes morales sont passibles d’une amende maximale d’au plus 500 000 $ pour une première infraction et d’au plus 1 000 000 $ en cas de récidive.

  • Nombreuses dispositions explicites exigeant la reconnaissance des répercussions éventuelles sur les droits et les connaissances traditionnelles des peuples autochtones. Cette exigence est conforme aux obligations du ministre en vertu de la common law.

  • Établissement d’un registre accessible au public. Les détails du registre seront définis par règlement. Il serait toutefois logique que le registre prenne la forme du registre des sites contaminés existant dans plusieurs provinces. Tout comme les lois applicables aux sites contaminés en vigueur au Canada, la LENC accordera au ministre le pouvoir d’exiger d’un propriétaire qu’il remédie aux conséquences de son ouvrage, ce qui peut comprendre le retrait de l’ouvrage ou la hausse du niveau de l’eau lorsqu’il y a eu assèchement du cours d’eau. En cas de refus d’obtempérer, le ministre peut prendre les mesures qui s’imposent et obtenir du propriétaire le recouvrement des coûts.

  • Processus permettant au public de recommander l’ajout d’une mention d’eaux navigables à l’annexe. Cette caractéristique semble répondre à la critique formulée précédemment envers le remplacement du critère du canot par une annexe des eaux navigables. Il sera intéressant de voir si de nombreuses demandes à cet effet seront présentées par les Canadiens intéressés et les organisations environnementales engagées étant donné l’absence d’un lien direct menant au déclenchement d’une évaluation environnementale.

Note

1 Transports Canada, fiche d’information no 5 : Détermination de la navigabilité (octobre 2016)https://www.canada.ca/content/dam/themes/environment/conservation/environmental-reviews/navigation-protection/Fiche_information_5_Determination_de_la_navigabilite.pdf



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