Nombreux sont les territoires qui adoptent des lois prévoyant l’obligation de divulguer publiquement l’identité des bénéficiaires effectifs de biens réels et de conserver ces renseignements dans des registres accessibles au public. Depuis le 30 novembre 2022, en vertu de la Land Owner Transparency Act, les bénéficiaires effectifs et autres bénéficiaires indirects de plusieurs catégories d’intérêts fonciers en Colombie-Britannique doivent déposer, dans un registre du gouvernement provincial, des documents qui contiennent des renseignements personnels.

Au Royaume-Uni, la Companies House (registraire des entreprises) tient un « Register of Overseas Entities » (registre des entités étrangères) et exige des entités étrangères qui possèdent des terrains ou des biens au Royaume-Uni qu’elles déclarent leurs bénéficiaires effectifs et/ou administrateurs délégués. Le registre a été créé il y a peu et les entités qui possèdent ou louent déjà des terrains ou des biens au Royaume-Uni ont jusqu’au 31 janvier 2023 pour effectuer leur dépôt.

L’UE a mis au point des directives antiblanchiment (DAB), qui ont été conçues pour s’assurer que les États membres offrent au public un accès à l’information contenue dans les « registres des bénéficiaires effectifs ». Il existe des inquiétudes légitimes quant à l’existence, dans ces régimes de réglementation, de mesures de protection suffisantes pour préserver les données personnelles contre tout abus; en novembre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu une décision préjudicielle concernant une contestation des DAB mises en place par l’UE.

Décision de la CJUE

Dans sa décision du 22 novembre 2022, la CJUE a invalidé certaines dispositions des DAB. Cet arrêt visait une loi nationale luxembourgeoise adoptée en 2019 à la suite de la mise en place des DAB qui instituait un « registre des bénéficiaires effectifs » (RBE). Ce registre, destiné à recevoir et à conserver des renseignements personnels sur les bénéficiaires effectifs d’entités immatriculées, mettait certains de ces renseignements à la disposition du grand public sur Internet.

En rendant cette décision, la CJUE a établi que les exigences de divulgation pertinentes en vertu des DAB constituaient une ingérence grave dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (Charte de l’UE). Tout en reconnaissant que l’accès public aux renseignements des bénéficiaires effectifs participait à l’atteinte des objectifs d’intérêt général au regard des DAB, la CJUE a estimé que la mise à disposition des renseignements dans une base de données publique ne fournissait pas une protection suffisante aux données personnelles. Les renseignements contenus dans le registre public devenaient potentiellement accessibles à un nombre illimité de personnes et, une fois obtenus, pouvaient être conservés et diffusés.

La Commission européenne et les autorités luxembourgeoises ont indiqué leur volonté de se conformer à la décision de la CJUE. Reste à voir si la loi en cause sera modifiée afin de répondre aux préoccupations liées au respect de la vie privée et à la sécurité ou comment elle le sera. Pour le moment, le Luxembourg ainsi qu’un certain nombre de pays européens ont suspendu l’accès à leur registre en ligne ou l’ont tout simplement fermé.

Land Owner Transparency Act (Colombie-Britannique)

En Colombie-Britannique, la Land Owner Transparency Act (LOTA) exige des bénéficiaires effectifs ou autres bénéficiaires indirects de plusieurs catégories d’intérêts fonciers en Colombie-Britannique qu’ils divulguent des renseignements personnels. Les renseignements fournis sont conservés dans un registre (LOTR) mis au point et exploité par la Land Title and Survey Authority de la Colombie-Britannique, registre provincial des intérêts fonciers, plutôt que dans un registre des entreprises. Les renseignements identificatoires des personnes visées par la divulgation qui sont conservés dans le LOTR sont partiellement accessibles au public; toutefois, la LOTA, à l’instar des DAB, autorise les demandes cherchant à empêcher la divulgation au public de renseignements personnels en de rares circonstances. 

Malgré certaines similarités entre la LOTA et les DAB pour ce qui touche l’accès public aux renseignements personnels, il reste à déterminer si un tribunal britanno-colombien pourrait estimer que la LOTA contrevient aux articles pertinents de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte) et, dans l’affirmative, si cette contravention s’avérerait fondée.

Contrairement à la Charte de l’UE, la Charte canadienne ne reconnaît pas explicitement la protection des données personnelles comme un droit fondamental, bien que les tribunaux canadiens aient admis que la protection de la vie privée constituait un droit quasi constitutionnel auquel on ne devait pas porter atteinte imprudemment. De plus, les lois de la Colombie-Britannique en matière de protection de la vie privée, notamment la Freedom of Information and Protection of Privacy Act, qui s’applique au gouvernement et au secteur public dans son ensemble, autorisent la collecte, l’utilisation et la divulgation de renseignements personnels lorsque cette collecte, cette utilisation et cette divulgation sont expressément autorisées en vertu d’une loi.

Au moment de la rédaction de la présente actualité, nous n’avons connaissance d’aucune décision judiciaire ou réglementaire rendue en Colombie-Britannique qui traiterait des répercussions de la LOTA sur la protection de la vie privée. De plus, le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique, dont le mandat est entre autres d’émettre des commentaires au gouvernement concernant la législation qui a des répercussions sur la protection de la vie privée et l’atteinte déraisonnable à la vie privée des personnes, n’a pas commenté publiquement ni contesté d’une quelconque autre manière la LOTA.

Les voies distinctes qu’empruntent l’UE (avec la décision de la CJUE et les législateurs européens qui revoient leur approche à l’égard d’une telle loi sur la transparence), d’une part, et le Royaume-Uni et le Canada (avec la présentation et l’application de nouveaux projets et textes de loi), d’autre part, soulèvent d’importantes questions de compatibilité entre la recherche de transparence visant les entreprises et l’immobilier et le besoin de protéger raisonnablement les données et renseignements personnels. Compte tenu de ce qui précède, il restera à voir de quelle manière les normes internationales et les pratiques exemplaires en matière de transparence et d’accès public aux renseignements personnels évolueront au fil du temps.



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