Le BC Labour Relations Board (Conseil) peut-il ordonner à un employeur de la Colombie-Britannique de cesser l’exécution du travail à l’extérieur de la province pendant un conflit de travail? Selon la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, c’est possible dans certaines circonstances.

Dans Gate Gourmet Canada Inc. v. Unite Here, Local 40, 2025 BCCA 246, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé que le Conseil peut ordonner à un employeur de cesser l’exécution du travail à l’extérieur de la province si cette exécution enfreint une interdiction législative du recours aux travailleurs de remplacement pendant un conflit de travail.


Interdiction par la Colombie-Britannique du recours aux travailleurs de remplacement 

Le Labour Relations Code (Code) de la Colombie-Britannique interdit aux employeurs de faire appel à des travailleurs de remplacement pendant une grève ou un lock-out légal. Sous réserve d’exceptions limitées, un employeur ne peut pas confier le travail d’une unité de négociation en grève ou en lock-out à des travailleurs temporaires ou à ses propres employés. Cette interdiction s’applique également au transfert du travail habituellement effectué par l’unité de négociation à un autre emplacement exploité par l’employeur. Le recours à des travailleurs de remplacement en contravention au Code est considéré comme une pratique déloyale de travail en vertu du Code.

Avant l’affaire Gate Gourmet, il n’avait pas été établi que cette interdiction s’appliquait également au transfert de travail dans son intégralité à l’extérieur de la province. 

Contexte de l’affaire Gate Gourmet

L’entreprise Gate Gourmet fournit des services traiteurs aux compagnies aériennes. Elle mène ses activités dans plusieurs aéroports au Canada, notamment à l’aéroport international de Vancouver (YVR). Ses employés de Vancouver ont déclenché une grève légale. Pour éviter à l’un de ses principaux clients à qui elle fournit des services à YVR de faire les frais de ces perturbations, Gate Gourmet a donné la consigne à ses employés aux aéroports de Calgary, d’Edmonton et de Toronto de prévoir un « approvisionnement aller-retour » sur les vols à destination d’YVR. L’approvisionnement aller-retour consiste à suffisamment ravitailler un avion en nourriture et en boissons pour un vol aller et un vol retour.

Le syndicat des travailleurs en grève de Vancouver a fait valoir au Conseil que ce travail d’approvisionnement aller-retour constituait une violation de l’interdiction du recours aux travailleurs de remplacement en vertu du Code au motif qu’il équivalait à un transfert du travail de l’unité de négociation d’YVR à d’autres emplacements au Canada. Le Conseil lui a donné raison et a ordonné à Gate Gourmet de mettre fin à cette pratique.

Gate Gourmet a contesté l’ordonnance, portant de ce fait la cause devant la Cour d’appel. Tout au long du parcours judiciaire de l’affaire, la question centrale était de savoir si le Conseil avait le pouvoir, en vertu du Code, de rendre une ordonnance touchant le travail effectué à l’extérieur de la Colombie-Britannique.

L’existence d’effets extraterritoriaux ne prive pas le Conseil de sa compétence

La Cour d’appel a indiqué que les lois provinciales ne pouvaient pas s’appliquer à des questions dépassant les frontières de la province, à moins qu’il n’y ait [TRADUCTION] « un lien réel et étroit » entre ces questions et la législation visée. Elle a estimé que ce lien existait : l’ordonnance du Conseil s’appliquait à Gate Gourmet en tant qu’employeur de la Colombie-Britannique et concernait le réacheminement du travail de l’unité de négociation engagée dans un conflit de travail dans la province. Il ne s’agissait pas d’une situation où le Conseil aurait exercé sa compétence sur une partie située à l’extérieur de la province, mais plutôt sur un employeur et un conflit de travail visés par sa réglementation.

Bien qu’il existe des effets « extraterritoriaux » à l’ordonnance du Conseil, ils ne sont pas suffisamment importants pour être considérés comme une ingérence dans la compétence législative d’autres provinces. L’ordonnance du Conseil interdisant l’approvisionnement aller-retour des vols à destination d’YVR empêchait les employés de l’Alberta et de l’Ontario de faire ce travail et privait un client de Gate Gourmet d’une solution possible au conflit de travail en cours. Ces répercussions découlaient de l’objectif sous-jacent de l’ordonnance du Conseil, qui visait à empêcher la délocalisation abusive du travail de l’unité de négociation pendant un arrêt de travail, en contravention au Code. La Cour a conclu que les répercussions accessoires ne créaient pas de situation de désordre dans le système juridique canadien, le marché du travail ou le marché commercial.

La Cour a conclu en indiquant que selon elle, Gate Gourmet n’avait pas subi d’injustice en n’étant pas autorisée à délocaliser le travail visé par les perturbations à l’extérieur de la province. L’entreprise emploie un personnel syndiqué en Colombie-Britannique et est tenue de respecter les « règles du jeu » dans cette province, ce qui comprend l’interdiction du recours à des travailleurs de remplacement, à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire.

Points à retenir

Les employeurs canadiens qui mènent leurs activités dans plusieurs territoires devraient prêter attention à l’affaire Gate Gourmet. Si, par le passé, les employeurs aux prises avec des conflits de travail en Colombie-Britannique ont pu compter sur leur personnel à l’extérieur de la province pour assurer la continuité de leurs activités, Gate Gourmet et au moins une autre décision récente dans le secteur des matériaux de construction ont montré que les syndicats pouvaient obtenir des ordonnances contre la délocalisation du travail d’unités de négociation à des employés situés en dehors de la Colombie-Britannique. La délocalisation du travail des unités de négociation comme option permettant d’assurer la continuité des activités pourrait donc se révéler limitée à l’avenir.

Il convient également de noter qu’au début de l’affaire Gate Gourmet en 2022, seuls deux territoires de compétence canadienne avaient mis en place une interdiction du recours aux travailleurs de remplacement : la Colombie-Britannique et le Québec. Au cours de la dernière année, le Manitoba et le gouvernement fédéral ont également adopté une telle interdiction. Il reste néanmoins à déterminer si les syndicats dans ces territoires suivront le mouvement en demandant l’application extraterritoriale de ce type d’interdiction. Les employeurs confrontés à cette question dans d’autres provinces ne devraient pas présupposer que le travail peut être délocalisé dans d’autres territoires de compétence canadienne pendant un conflit de travail.



Personne-ressource

Associé, administrateur national canadien, Droit de l’emploi et du travail

Publications récentes

Abonnez-vous et restez à l’affût des nouvelles juridiques, informations et événements les plus récents...