Dans une décision partagée à 6 contre 3 rendue le 25 mars 2021, la Cour suprême du Canada a jugé que la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre (LTPGES) fédérale était constitutionnelle. La décision de la Cour marque l’aboutissement de la principale contestation judiciaire menée par la Saskatchewan, l’Ontario et l’Alberta, qui avaient fait valoir que les provinces devraient avoir le pouvoir de légiférer individuellement les émissions de gaz à effet de serre (GES) sur leur territoire et d’adopter leurs propres stratégies pour faire face aux défis que posent les changements climatiques. La décision de la Cour aura de profondes répercussions sur les lois, la réglementation et la taxation futures en matière d’émissions de GES, ainsi que sur le cadre constitutionnel du Canada, et elle pourrait ouvrir la porte à de futures contestations de la mise en œuvre de la LTPGES, surtout compte tenu des dissidences virulentes exprimées par la Cour et par les cours d’appel avant elle.

Opinion des juges majoritaires

S’exprimant au nom des juges majoritaires, le juge en chef Wagner a conclu que la LTPGES constituait un exercice valide de la compétence constitutionnelle du Parlement en tant que matière d’intérêt national qui l’habilite à faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement (POBG), un octroi de pouvoir important, mais rarement invoqué, qui trouve sa source dans le préambule de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Le juge en chef en a profité pour clarifier le test d’application de la théorie de l’intérêt national, qui n’avait pas été abordé par la Cour depuis l’arrêt Crown Zellerbach il y a plus de 30 ans.

Le juge en chef qualifie l’objet de la LTPGES (son caractère véritable) comme étant « l’établissement de normes nationales minimales de tarification rigoureuse des GES en vue de réduire les émissions de ces gaz ». Cette qualification constitue une validation de l’approche étroite proposée par la Colombie-Britannique et adoptée par certains juges de la Cour d’appel de la Saskatchewan et de la Cour d’appel de l’Ontario. Elle constitue également le rejet de l’approche plus générale en ce qui concerne la qualification de la LTPGES adoptée par les juges majoritaires de la Cour d’appel de l’Alberta et de la Cour d’appel de l’Ontario, ce qui aurait pu mener à la reconnaissance de pouvoirs fédéraux plus considérables en matière d’émissions de GES.

Après avoir élaboré, puis appliqué, une nouvelle analyse en trois étapes visant la théorie de l’intérêt national, le juge en chef a qualifié le caractère véritable de la LTPGES comme relevant du pouvoir POBG du Parlement dans son acception limitée. Selon le juge en chef, 1) l’objet de la LTPGES présente pour le Canada un intérêt suffisant pour justifier sa prise en considération comme possible matière d’intérêt national; 2) l’objet de la LTPGES répond au critère « d’unicité, de particularité et d’indivisibilité », tenant compte de l’incapacité des provinces de s’occuper de la matière dans son ensemble par voie de coopération en raison du risque de « fuite de carbone »; et 3) l’étendue de l’effet de la matière proposée d’intérêt national est compatible avec le partage constitutionnel des compétences au Canada. La notion de « fédéralisme coopératif », qui a mené à des revendications provinciales fructueuses de compétence réglementaire à l’égard d’entreprises fédérales, a également joué un rôle important dans cette analyse.

Opinions des juges dissidents

Les juges Côté, Brown et Rowe ont rédigé des opinions dissidentes distinctes. 

La juge Côté a adhéré à la formulation de l’analyse de la théorie de l’intérêt national du juge Wagner, mais elle s’est dissociée de la conclusion ultime du juge en chef. La juge Côté a conclu que la vaste étendue du pouvoir discrétionnaire réglementaire que confère la LTPGES au gouverneur en conseil « donne à l’exécutif un pouvoir sans limite véritable ». C’est une préoccupation que partagent les autres juges dissidents, et qui avait aussi été exprimée dans les jugements précédents. 

Contrairement à la juge Côté, le juge Brown a rejeté l’intégralité de l’analyse du juge en chef. Dans une dissidence rédigée en termes forts, le juge Brown a conclu que les juges majoritaires n’avaient pas du tout « clarifié » la théorie de l’intérêt national, mais qu’ils avaient plutôt abandonné et réécrit la jurisprudence établie de la Cour. Selon le juge Brown, les juges majoritaires ont non seulement « rompu » l’équilibre constitutionnel qu’ils prétendaient établir entre les pouvoirs législatifs provinciaux et fédéraux, mais ils ont réalisé un « tour de passe-passe » rhétorique pour faciliter les revendications de compétence fédérale.

Enfin, à l’instar du juge Brown, le juge Rowe s’est dissocié de la décision des juges majoritaires pour de nombreux motifs, mettant l’accent sur le fait que la théorie de l’intérêt national est un pouvoir résiduel de dernier recours et que l’élargissement de la théorie de l’intérêt national du POBG préconisé par le Canada aurait dû être rejeté parce qu’il ouvrira largement la voie à d’autres ingérences dans ce qui relève exclusivement de la compétence provinciale.

Points importants à retenir et questions

La décision de la Cour a mis un terme à au moins l’un des aspects du débat en cours sur la tarification du carbone au Canada. Malgré les très fortes opinions dissidentes exprimées par les juges Côté, Brown et Rowe – et malgré les discussions académiques qui suivront – les consommateurs et les acteurs du secteur ont maintenant une meilleure compréhension du cadre législatif qui s’appliquera aux émissions de GES dans l’avenir. 

Bien que la décision de la Cour de confirmer la validité de la LTPGES définira le cadre de la réglementation des émissions de GES au Canada dans un avenir rapproché, les questions entourant la constitutionnalité de la manière dont le gouvernement fédéral exerce les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de la LTPGES demeureront. Les juges majoritaires ont conclu que de telles questions portant sur la validité de règlements particuliers adoptés en vertu de la LTPGES pourraient être traitées dans des affaires ultérieures, au besoin. Cependant, comme l’a mentionné le juge Rowe, « des questions quant à savoir si certains règlements tombent trop dans la politique industrielle, ce qui soulève la question de la constitutionnalité de ceux-ci, se poseront inévitablement ». Deux questions qui demeurent sans réponse sont : quels autres types de réglementation des émissions de GES, s’ils sont imposés aux termes du régime fédéral, peuvent également être constitutionnels compte tenu de l’analyse étroite du caractère véritable, et quel est le seuil que les cibles en matière de GES propres à un secteur établies à la Partie 2 de la LTPGES peuvent atteindre avant de franchir la limite constitutionnelle et entrer dans le domaine de la politique industrielle. 

Les auteurs désirent remercier Kyle Havart-Crans, stagiaire, pour son aide dans la préparation de cette actualité juridique. 



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