D’autres modifications fondamentales touchant la Loi sur la concurrence (Loi) ont été annoncées dans l’Énoncé économique de l'automne de 2023 présenté à la Chambre des communes le 28 novembre dernier. 

Ces modifications supplémentaires surviennent peu de temps après le dépôt du projet de loi C-56, lequel propose, entre autres, l’extension des pouvoirs contraignants du commissaire de la concurrence et l’abrogation de l’exception relative aux gains en efficience entraînés par des fusionnements1.


Le gouvernement du Canada met beaucoup d’emphase sur la modernisation et la modification de la Loi, à commencer par l’annonce faite en 2022 par le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie de son intention de réviser la Loi2 et la consultation menée par le gouvernement du Canada en vue de la modernisation de la Loi plus tôt cette année3. Les premières modifications visant la Loi ont reçu la sanction royale en juin 2022, également dans le cadre d’un projet de loi omnibus4

Les modifications proposées sont les suivantes :

  • Délai plus long pour contester un fusionnement ne devant pas faire l’objet d’un avis
    • Octroi au commissaire d’un délai de trois ans après la clôture de l’opération pour contester un fusionnement ne devant pas faire l’objet d’un avis ou pour lequel un certificat de décision préalable (CDP) n’a pas été délivré. Actuellement, le commissaire ne dispose que d’un délai de contestation de ces fusionnements d’un an après la clôture de l’opération.
  • Nouveaux facteurs permettant de déterminer si un fusionnement pourrait vraisemblablement empêcher ou diminuer sensiblement la concurrence
    • Possibilité pour le tribunal de la Concurrence (Tribunal) de tenir compte i) des effets de la variation de la concentration ou des parts du marché entraînés ou vraisemblablement entraînés par le fusionnement réalisé ou proposé et ii) de la possibilité que le fusionnement entraîne ou puisse entraîner une collaboration expresse ou tacite entre les concurrents dans un marché. 
    • La possibilité que le Tribunal tienne compte de la variation de la concentration ou des parts de marché affaiblit le paragraphe 92(2) de la Loi, qui empêche le Tribunal de conclure qu’un fusionnement pourrait vraisemblablement empêcher ou diminuer sensiblement la concurrence en raison seulement de la concentration ou des parts de marché.
  • Nouvelles sanctions pécuniaires applicables aux collaborations susceptibles d’examen d’un point de vue civil qui ont pour effet de diminuer ou d’empêcher la concurrence
    • Accroissement des sanctions applicables aux collaborations entre concurrents susceptibles d’examen d’un point de vue civil qui ont pour effet de diminuer ou d’empêcher la concurrence afin d’inclure :
      • Des ordonnances demandant de se départir d’éléments d’actif ou d’actions dans la mesure raisonnable et nécessaire pour enrayer les effets anti-concurrentiels de l’accord. 
      • Une sanction administrative pécuniaire qui ne peut dépasser le plus élevé des montants suivants : i) 10 M$ (15 M$ pour toute ordonnance subséquente) ou ii) trois fois la valeur du bénéfice sur lequel l’accord a eu une incidence ou, si ce montant ne peut pas être déterminé raisonnablement, 3 % des recettes globales brutes.
      • Possibilité pour les parties privées (autorisées) de présenter une demande au Tribunal pour l’octroi de dommages intérêts d’un montant correspondant au bénéfice tiré du comportement.
    • Le projet de loi C-56 contient des modifications proposées visant à élargir la portée de l’article 90.1 de la Loi de sorte que cet article s’applique aux accords entre les parties qui ne sont pas des concurrents si l’un des objets importants de l’accord est d’empêcher ou de diminuer la concurrence5.
  • Parties privées et dommages-intérêts pour abus de position dominante, refus de vendre, exclusivité, ventes liées et maintien des prix
    • Possibilité pour les parties privées d’intenter des actions privées en dommages-intérêts en vertu des dispositions relatives aux pratiques du commerce susceptibles d’examen d’un point de vue civil. La permission du Tribunal sera exigée pour qu’une action privée puisse être intentée.
    • Définition des dommages-intérêts comme « une somme — ne pouvant excéder la valeur du bénéfice tiré du comportement visé par l’ordonnance — devant être répartie, de la manière [que le Tribunal] estime indiquée, entre le demandeur et toute autre personne touchée par le comportement ».
    • Élargissement du critère pour l’octroi d’une permission afin que le Tribunal puisse faire droit à une demande s’il croit que cela servirait l’intérêt public. Cette modification élargirait le critère relatif à l’octroi d’une permission.
      • Actuellement, le Tribunal peut faire droit à une demande de permission (pour un ensemble plus restreint de demandes de parties privées), seulement s’il a des raisons de croire que l’auteur de la demande est directement et sensiblement gêné dans son entreprise en raison du comportement mentionné dans l’article pertinent qui pourrait faire l’objet d’une ordonnance.
    • Les parties privées peuvent présenter des demandes au Tribunal pour des abus de position dominante allégués depuis les modifications apportées à la Loi en juin 2022. Actuellement, les parties privées n’ont pas droit à des dommages intérêts et toute sanction administrative pécuniaire imposée est versée au gouvernement.
      • À ce jour, une seule partie privée a demandé la permission de présenter une demande pour abus de position dominante, mais s’est désistée peu après avoir fait cette demande6.  
  • Actions privées pour pratiques commerciales trompeuses
    • Possibilité pour les parties privées de demander la permission au Tribunal de présenter une demande en vertu des dispositions civiles relatives aux pratiques commerciales trompeuses. 
    • Le Tribunal saisi d’une demande présentée par une partie privée ne peut tirer quelque conclusion que ce soit du fait que le commissaire a accompli un geste ou non à l’égard de l’objet de la demande.
    • Les sanctions comprennent des ordonnances d’interdiction, des ordonnances de restitution ainsi que le paiement d’une sanction administrative pécuniaire maximale de i) 750 000 $ ou ii) trois fois la valeur du bénéfice tiré par une personne physique, ou le plus élevé des montants suivants : i) 10 M$ ou ii) trois fois la valeur du bénéfice tiré ou, si ce montant ne peut pas être déterminé raisonnablement, 3 % des recettes globales brutes annuelles de la personne morale.
    • Même si le Tribunal pourra imposer une sanction administrative pécuniaire s’il le juge pertinent, celle ci sera payable au gouvernement – autrement dit, d’un point de vue financier, les parties privées qui ont gain de cause pourront recouvrer une partie ou la totalité de leurs frais juridiques, mais n’auront pas droit à des dommages intérêts. 
  • Prétentions trompeuses relativement à des avantages environnementaux interdites
    • Précision selon laquelle les indications données au public sous la forme d’une déclaration ou d’une garantie visant les avantages d’un produit pour la protection de l’environnement ou l’atténuation des effets environnementaux et écologiques des changements climatiques qui ne se fondent pas sur une épreuve suffisante et appropriée, dont la preuve incombe à la personne qui donne les indications, sont trompeuses selon les dispositions sur les pratiques commerciales trompeuses. 
      • Des indications de ce genre pourraient être jugées trompeuses en vertu des dispositions actuelles de la Loi. Cette proposition de modification ne fait que codifier ce principe.   
  • Nouveau régime de certificat pour les accords et arrangements relatifs à la protection de l’environnement 
    • S’il est convaincu qu’un accord n’empêchera ni ne diminuera la concurrence et que l’accord a pour but de protéger l’environnement, le commissaire délivrera un certificat qui sera enregistré auprès du Tribunal. 
    • L’accord ou l’arrangement visé par un certificat enregistré n’est plus susceptible d’examen en vertu des dispositions d’ordre criminel relatives au complot ni aux dispositions d’ordre civil relatives à la collaboration entre concurrents.
  • Interdiction de représailles
    • À la suite d’une demande du commissaire ou d’une personne touchée, un tribunal fédéral ou provincial peut rendre une ordonnance d’interdiction et imposer une lourde sanction administrative pécuniaire à quiconque s’est livré à des représailles. 
    • Les représailles sont définies comme des mesures prises pour « pénaliser, punir, discipliner, harceler ou désavantager une autre personne » en raison des communications de celle ci avec le commissaire ou parce que celle ci a effectivement coopéré ou exprimé son intention de coopérer avec le commissaire.
  • Absence de frais à la charge du commissaire
    • Le Tribunal ne peut ordonner au commissaire de payer des frais de justice sauf si une telle ordonnance est nécessaire pour ne pas miner la confiance envers l’administration de la justice ou si l’absence d’ordonnance aurait un effet négatif important sur la capacité de l’autre partie d’exploiter son entreprise. Ce seuil vraisemblablement élevé protégera le commissaire d’avoir à payer des frais à moins de circonstances exceptionnelles.
  • Sanction en cas d’omission de se conformer à un consentement
    • À la suite d’une demande du commissaire, un tribunal peut imposer une sanction s’il conclut qu’une personne, sans motif valable et suffisant (dont la preuve lui incombe), a omis de se conformer à un consentement. 
    • Les sanctions possibles comprennent des ordonnances d’interdiction, des ordonnances prescriptives et des sanctions administratives, dont le montant est fixé par le tribunal, mais qui n’excédera pas 10 000 $ pour chacun des jours où il y a omission de se conformer.

Principaux points à retenir

Entre ces modifications proposées et celles prévues dans le projet de loi C-56 (déposé il y a moins de trois mois), d’importantes modifications, soit les plus importantes depuis des décennies, devraient être apportées à la Loi au cours des prochains mois. Bien que les deux projets de loi seront débattus et revus en comité devant la Chambre des communes et le Sénat, la détermination du gouvernement à modifier la Loi et l’approbation rapide des modifications en 2022 font qu’il est peu probable que ces projets de loi soient scrutés à la loupe avant d’être adoptés. 

On s’attend à ce que le Bureau de la concurrence donne d’autres lignes directrices sur son approche en matière d’application des dispositions de la Loi si les modifications proposées sont adoptées; toutefois, il reste à voir si ces lignes directrices seront significatives ou pertinentes. Ce qui semble évident, par contre, sont les conséquences majeures qu’auront ces modifications sur les entreprises canadiennes si elles sont adoptées dans leur forme actuelle. 

Nous continuerons de suivre l’évolution de la situation dans ce domaine et fournirons une analyse de toute modification additionnelle à la Loi.




Personnes-ressources

Associé
Associé principal
Associé, chef canadien, Droit antitrust et droit de la concurrence
Avocate

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