D’importantes modifications à la Loi sur la concurrence (Loi) sont entrées en vigueur au moment de la sanction royale du projet de loi C 56, dont elles font partie, à l’exception des modifications aux dispositions civiles sur la collaboration entre concurrents, lesquelles entreront en vigueur le 15 décembre 2024. Les modifications adoptées avaient été proposées le 21 septembre 2023 dans le cadre du projet de loi C 56. Voir notre actualité juridique précédente pour en connaître plus de détails. Le projet de loi C-56 a fait l’objet d’un examen en comité, et des modifications au cadre relatif à l’abus de position dominante, qui n’étaient initialement pas prévues dans le projet de loi C-56, ont été ajoutées par le comité permanent des finances de la Chambre des communes.


Voici les principales caractéristiques des modifications :

Pouvoirs contraignants en matière d’enquête sur un marché 

Par suite des modifications, tant le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie que le commissaire de la concurrence peuvent lancer une enquête sur un marché ou une industrie s’ils estiment qu’il est dans l’intérêt public de le faire1. En vertu de l’article 11 de la Loi, le Bureau de la concurrence (Bureau) peut obtenir, sur demande ex parte, une ordonnance afin d’obliger une personne morale ou physique à fournir des renseignements pour les besoins d’une enquête sur le marché menée par le Bureau.  

Abrogation de la défense fondée sur les gains d’efficience

L’article 96 de la Loi, aussi connu comme la défense fondée sur les gains d’efficience, a été abrogé. Cette défense offrait une exception dans le cas d’un fusionnement qui aurait eu pour effet ou aurait vraisemblablement eu pour effet d’empêcher ou de diminuer la concurrence s’il avait entraîné ou pouvait vraisemblablement entraîner des gains d’efficience surpassant et neutralisant tout effet anti-concurrentiel. 

Selon la disposition transitoire prévue dans le projet de loi C-56, l’article 96 de la Loi continue de s’appliquer aux transactions proposées pour lesquelles l’avis prévu dans la Loi a été donné avant l’entrée en vigueur des modifications ainsi qu’à l’égard des fusionnements essentiellement complétés avant cette date.

Ordonnances civiles contre les collaborations qui diminuent ou empêchent la concurrence, même entre non-concurrents 

Les modifications permettront au Tribunal de la concurrence (Tribunal) de rendre une ordonnance en vertu du paragraphe 90.1 de la Loi interdisant aux parties d’accomplir des actes ou les obligeant à en accomplir s’il estime que l’un des objets importants de l’accord ou de l’arrangement en question, ou d’une partie de celui-ci, est d’empêcher ou de diminuer la concurrence dans un marché. Le Tribunal pourrait rendre une ordonnance même si aucune des parties à l’accord ou à l’arrangement n’est un concurrent.  

Cette disposition n’entrera en vigueur que le 15 décembre 2024 afin de donner aux entreprises le temps de revoir leurs accords et collaborations et de s’assurer qu’ils se conforment aux modifications.

Modifications au cadre relatif à l’abus de position dominante

Aux termes du cadre actuel, tant l’intention anti concurrentielle que les effets anti concurrentiels doivent être établis. À la suite des modifications, il suffit d’établir i) qu’un agissement anti concurrentiel est destiné à avoir un effet négatif visant l’exclusion, l’éviction ou la mise au pas d’un concurrent, ou à nuire à la concurrence ou ii) que le comportement ne résultant pas du rendement concurrentiel supérieur a eu, a ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché. 

Toutefois, aux termes des modifications, le tribunal qui conclut que le comportement répond à une seule des exigences de l’intention ou de l’effet anti concurrentiel peut rendre une ordonnance d’interdiction du comportement sans imposer de sanction administrative pécuniaire. Le tribunal peut imposer une sanction administrative pécuniaire seulement lorsque l’intention anti concurrentielle et les effets concurrentiels sont tous deux établis. 

Les sanctions administratives pécuniaires ont été augmentées, passant à 25 M$ (35 M$ pour toute ordonnance subséquente). Une sanction administrative pécuniaire ne peut maintenant dépasser le plus élevé des montants suivants : 25 M$ ou trois fois la valeur du bénéfice tiré de la pratique anti concurrentielle ou, si ce montant ne peut être déterminé raisonnablement, 3 % des recettes globales brutes annuelles de la personne morale.

Des « prix de vente excessifs et injustes » sont aussi cités à titre d’exemple d’agissements anti concurrentiels dans les modifications. Par contre, la Loi ne définit pas les termes « excessifs » et « injustes » et on ne peut prévoir l’interprétation que leur donneront les tribunaux. Cette incertitude est accentuée par le fait que les parties privées peuvent présenter des demandes pour abus de position dominante et pourraient chercher à faire valoir des interprétations plus contraignantes. L’ajout de cet agissement anti concurrentiel, jumelé à la disposition permettant aux parties privées de faire valoir leurs droits, ouvre la voie à l’institution de recours stratégiques. 

Ces modifications touchant le cadre relatif à l’abus de position dominante ne faisaient pas partie initialement du projet de loi C 56. Elles ont été ajoutées par le comité permanent des finances de la Chambre des communes, tel qu’il ressort de son treizième rapport2.

Principaux points à retenir

Les entreprises doivent revoir attentivement leurs accords et collaborations au cours de la prochaine année avant l’entrée en vigueur de la modification à l’article 90.1 de la Loi. Lorsqu’elles analyseront les répercussions que ces modifications pourraient avoir sur elles, les entreprises devront aussi être conscientes que d’autres modifications majeures à Loi, à l’étude en ce moment à la Chambre des communes dans le cadre du projet de loi C 59, entreront vraisemblablement en vigueur dans leur forme actuelle. Pour plus d’information, consultez notre actualité juridique précédente. 

Conjuguées avec les modifications proposées dans le projet de loi C 59, ces modifications représentent les changements les plus importants apportés à la Loi depuis plus d’une décennie. Les entreprises doivent se tenir au courant des faits nouveaux et des modifications à venir à la Loi afin de pouvoir gérer de façon proactive leurs risques potentiels liés à la conformité. Les personnes morales qui détiennent une position forte sur le marché devraient étudier quelles répercussions ces changements et les modifications proposées dans le projet de loi Bill C-59 pourraient avoir sur leur exposition éventuelle aux risques.

On s’attend à ce que le Bureau donne d’autres lignes directrices portant sur son approche quant à l’application des dispositions de la Loi tant pour les modifications déjà en vigueur que pour les modifications proposées qui seront adoptées. Toutefois, on ne sait quand ces lignes directrices seront publiées ni si elles seront suffisamment détaillées. 
Nous continuerons de suivre l’évolution de la situation dans ce domaine et publierons une analyse de toute modification à la Loi additionnelle.


Notes

1   Le projet de loi C-56 stipulait précédemment que seul le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie pouvait ordonner au commissaire de la concurrence de mener une enquête. Ce changement a été apporté au projet de loi par le comité permanent des finances de la Chambre des communes, comme en fait foi son treizième rapport.



Personnes-ressources

Associée
Associé
Associé principal
Associé, chef canadien, Droit antitrust et droit de la concurrence

Publications récentes

Abonnez-vous et restez à l’affût des nouvelles juridiques, informations et événements les plus récents...