La Cour suprême du Canada réaffirme l’approche pragmatique à l’égard de l’interprétation des polices d’assurance

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Publication Février 2017

Dans la foulée de sa récente décision dans l’affaire Ledcor Construction Ltd. c Société d’assurance d’indemnisation Northbridge1, la Cour suprême du Canada a encore mis l’accent sur le besoin d’adopter l’approche pragmatique à l’égard de l’interprétation des polices d’assurance dans l’affaire Sabean c. Portage La Prairie Mutual Insurance Co.2


Contexte

L’assuré a été blessé dans un accident de voiture. L’assuré a poursuivi l’autre conducteur et la cour lui a accordé des dommages-intérêts de 465 000 $. L’assureur de l’autre conducteur n’a versé que 382 000 $, laissant à l’assuré une différence à combler de 83 000 $. L’assuré a réclamé cette somme auprès de son propre assureur automobile aux termes des dispositions de son avenant SEF 44. L’avenant constitue une police standard facultative qui indemnise un assuré pour tout manque à gagner dans le paiement ordonné par un jugement d’un conducteur non couvert par une police d’assurance, sous réserve de certaines déductions. Il est important de noter aux fins de cette affaire qu’un assureur a le droit de déduire tout montant recouvrable aux termes de « toute police d’assurance stipulant une indemnité d’invalidité » du manque à gagner lorsqu’il calcule le montant à payer à l’assuré.

L’assuré a été autorisé à recevoir de futures prestations d’invalidité en vertu du Régime de pension du Canada. L’assureur était d’avis que les futures prestations d’invalidité en vertu du Régime de pension du Canada constituaient des montants recouvrables aux termes d’une « police d’assurance ». L’assuré n’était pas du même avis et la question a été portée devant le tribunal. Le juge de première instance a jugé que les prestations en vertu du Régime de pension du Canada de l’assuré ne constituaient pas des prestations recouvrables aux termes d’une « police d’assurance ». La Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a infirmé la décision du juge de première instance.

Cour suprême du Canada

La Cour suprême du Canada a commencé son analyse en réaffirmant les principes d’interprétation aux fins des polices d’assurance standard comme il est énoncé dans l’affaire Ledcor :

  • Lorsque le libellé de la disposition litigieuse est sans équivoque, le tribunal doit l’interpréter en donnant effet au libellé non équivoque et en le considérant dans son ensemble.
  • Ce n’est que lorsque le libellé d’une disposition litigieuse est ambigu que le tribunal fondera son interprétation sur les règles générales du droit des contrats pour lever cette ambiguïté.
  • Si ces règles générales du droit des contrats ne permettent pas de lever l’ambigüité, les tribunaux interpréteront le contrat selon la doctrine contra proferentem et donneront une interprétation très large des clauses relatives à la couverture et une interprétation très étroite des clauses d’exclusion.

En première étape de l’analyse, le tribunal a fait ressortir que « les mots utilisés doivent être interprétés selon leur sens ordinaire et de la manière dont ils seraient compris par la personne ordinaire qui fait une demande d’assurance et non de la manière dont ils pourraient être perçus par des personnes versées dans les subtilités du droit des assurances. »

Tenant compte des faits connus, le tribunal a conclu que le sens ordinaire des mots « police d’assurance » renvoyait clairement aux contrats d’assurance privés et n’incluait pas de régimes obligatoires établis par la loi tel le Régime de pension du Canada. Si l’assureur voulait déduire les prestations en vertu du Régime de pension du Canada, il aurait pu l’indiquer explicitement dans l’avenant. Le tribunal a, par conséquent, jugé que l’assureur n’était pas habilité à déduire les prestations en vertu du Régime de pension du Canada du montant payable aux termes de l’avenant. Comme il n’y avait aucune ambiguïté, il n’était pas nécessaire de passer à la seconde étape de l’analyse.

Pour en arriver à cette conclusion, le tribunal a rejeté le recours, par l’assureur, à l’interprétation judiciaire de dispositions semblables dans la législation provinciale, le principe du droit de la responsabilité civile contre la double indemnisation et l’historique de l’avenant et l’intention des assureurs au moment de la rédaction de l’avenant. Le tribunal a jugé que ces sources ne l’ont pas aidé à interpréter une police d’assurance standard, car « la personne ordinaire »qui fait une demande d’assurance « ne possède pas une connaissance spécialisée de la jurisprudence pertinente ou des objectifs des assureurs. » Un assureur ne peut « se fonder sur sa connaissance spécialisée de la jurisprudence pour proposer une interprétation qui va au‑delà du libellé clair de la police. »

Conclusion

La décision dans l’affaire Sabean mène plus loin l’approche pragmatique du tribunal à l’égard de l’interprétation des contrats d’assurance standard telle qu’elle est énoncée dans l’affaire Ledcor. Les assureurs devraient revoir leurs polices d’assurance standard pour s’assurer que les interprétations qu’ils visent ne dépendent pas des « subtilités du droit des assurances ».

Footnotes

1. Ledcor Construction Ltd. c Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37 (CSC).

2. Sabean v Portage La Prairie Mutual Insurance Co, 2017 SCC 7, 274 ACWS (3d) 619.



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