La Cour suprême tranche que les clients commerciaux ne peuvent se greffer aux réclamations de consommateurs en raison des dispositions d’arbitrage

Canada Publication Avril 2019

Un arrêt récent de la Cour suprême du Canada1 tranche sur l’incertitude persistante concernant les sursis partiels des litiges en Ontario en faveur d’un arbitrage interne. La décision prévoit des lignes directrices importantes concernant la Loi sur la protection du consommateur de l’Ontario, les recours collectifs et les questions reliées à l’arbitrage.

Contexte

Wellman, ancien client de TELUS, a intenté un recours collectif projeté au nom d’environ deux millions d’abonnés au service de téléphonie cellulaire en Ontario : 70 pour cent étaient des particuliers (consommateurs) et 30 pour cent, des clients commerciaux (non-consommateurs). Wellman alléguait que Telus s’était livrée à une pratique non divulguée consistant à arrondir la durée des appels à la minute suivante, de sorte que les services étaient surfacturés aux consommateurs, et qui avait pour effet de les flouer en leur facturant le nombre entier de minutes.

Tous les clients de TELUS ont accepté les conditions types lorsqu’ils se sont abonnés au service, y compris une disposition qui exige que tous les différends liés à la facturation soient réglés par voie d’arbitrage. Conformément au paragraphe 7(2) de la Loi sur la protection du consommateur2, les consommateurs ne peuvent pas être empêchés d’intenter une action en justice. Cependant, cette protection ne s’étend pas aux entreprises. Par conséquent, TELUS a présenté une motion en sursis de l’instance en vertu du paragraphe 7(1) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage3 relativement aux réclamations des non-consommateurs, invoquant la clause d’arbitrage énoncée dans les conditions types.

Conditions préalables à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal en vertu du paragraphe 7(5) de la Loi sur l’arbitrage

Le juge saisi de la motion a refusé d’ordonner le sursis des réclamations des non-consommateurs en vertu de l’article 7(1), arguant que le paragraphe 7(5) de la Loi sur l’arbitrage confère au tribunal un pouvoir discrétionnaire de refuser d’ordonner un sursis lorsqu’il ne serait pas raisonnable de dissocier certaines questions soumises à l’arbitrage des autres questions. La Cour d’appel4 a confirmé la décision du juge saisi de la motion et a rejeté l’appel de TELUS.

S’exprimant pour la majorité, la juge van Rensburg a limité les questions en litige dans l’appel à la question de savoir si les conclusions précédentes de la Cour d’appel dans l’affaire Griffin v Dell Canada Inc.5 avaient été renversées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt rendu par cette dernière en 2011 dans l’affaire Seidel c TELUS Communications Inc.6 Bien qu’elle convienne que la décision dans l’affaire Griffin demeurait valide, le tribunal a conclu que même si les conventions d’arbitrage seront présumément appliquées en Ontario, aucune disposition dans la Loi sur l’arbitrage ne suggérait que ces conventions les écartaient de la compétence des tribunaux.7

La Cour suprême, à la majorité de 5 contre 4, n’était pas du même avis. S’exprimant pour la majorité, le juge Moldaver, a déclaré que le paragraphe 7(5) ne conférait pas au tribunal le pouvoir discrétionnaire de refuser d’ordonner le sursis des réclamations qui sont visées par des conventions d’arbitrage valides. Même si la Loi sur la protection du consommateur permet aux consommateurs de présenter leurs réclamations devant les tribunaux, les non consommateurs restent liés par les conventions d’arbitrage dont ils ont convenu.

Pour en venir à cette conclusion, le juge Moldaver a expliqué qu’un tribunal peut uniquement exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 7(5) lorsque deux conditions préalables sont respectées : 1) l’instance doit viser à la fois les questions traitées et non traitées dans la convention d’arbitrage; et 2) il doit être raisonnable de dissocier les questions traitées dans la convention d’arbitrage des autres questions.8 Le seul différend dans ce recours collectif portait sur la facturation et les différends liés à la facturation devaient être soumis à l’arbitrage. Étant donné que la première condition n’a pas été respectée, il n’y avait pas motif justifiant que le tribunal exerce le pouvoir discrétionnaire dont il dispose en vertu du paragraphe 7(5).

Aucune possibilité de se greffer aux réclamations qui ne sont pas soumises à l’arbitrage

La majorité a conclu que l’Assemblée législative de l’Ontario avait fait un choix politique prudent à la rédaction de la Loi sur la protection du consommateur pour exonérer les consommateurs et seulement eux de l’application ordinaire des conventions d’arbitrage.

Le juge Moldaver a déclaré que même si d’autres considérations politiques, comme l’accès à la justice, sont pertinentes pour l’exercice d’interprétation, elles ne peuvent être autorisées à dévier du libellé actuel du paragraphe 7(5). Agir en ce sens aurait pour effet d’affaiblir l’objectif précis de l’Assemblée législative à l’égard de la Loi sur l’arbitrage, qui est de s’assurer que les parties à une convention d’arbitrage valide s’y soumettent. Cela permettrait également aux parties à des conventions d’arbitrage valides de se soustraire à l’arbitrage en se greffant aux réclamations de personnes qui ne sont pas liées par ces conventions, ce qui ferait en sorte de réduire la certitude et la prévisibilité des conventions d’arbitrage.

Répercussions

Cette décision a des répercussions considérables sur le caractère exécutoire des conventions d’arbitrage en Ontario et dans d’autres provinces et territoires du Canada qui ont une législation semblable en matière d’arbitrage interne.

Le jugement de la Cour suprême met fin à une tendance émergente en Ontario voulant que les tribunaux interprétaient le paragraphe 7(5) de la Loi sur l’arbitrage de façon à leur accorder un plus grand pouvoir discrétionnaire de refuser une motion de sursis partiel en faveur de l’arbitrage et d’autoriser l’ensemble du différend, y compris les réclamations qui ne seraient pas autrement soumises à l’arbitrage obligatoire, d’être entendu devant les tribunaux. L’arrêt Wellman sera particulièrement important pour le déroulement des recours collectifs en Ontario lorsque certains membres de recours collectifs sont liés par une convention d’arbitrage, qui est une caractéristique standard des recours collectifs.

L’auteure désire remercier Abigail Court, stagiaire, pour son aide dans la préparation de cette actualité juridique.


Notes

1   Wellman v TELUS Communications Company, 2019 SCC 19 [“Wellman”].

2   Consumer Protection Act, 2002, SO 2002, c 30, s 7(2).

3   Arbitration Act, 1991, SO 1991, c 17, s 7(5).

4   Wellman v TELUS Communications Company, [2017] OJ No 2800, 2017 ONCA 433 [“Wellman CA”].

5   Griffin v Dell Canada Inc., [2010] OJ No 177, 2010 ONCA 29 [“Griffin”].

6   Seidel v TELUS Communications Company Inc., [2011] SCJ No. 15, 2011 SCC 15 [“Seidel”].

7   Wellman CA, supra note 1, at para 85.

8   Arbitration Act, supra note 3, s 7(5)(a) and 7(5)(b).



Personne-ressource

Cochef mondial – sciences de la vie et soins de santé; Associé

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