En février 2025, nous vous informions dans une publication, de l’intention du gouvernement de se doter de pouvoirs spéciaux en cas de conflits de travail, dans le cadre du dépôt du projet de loi no°89, intitulé Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out (la Loi). 

Portée par le ministre du Travail, Jean Boulet (le Ministre), cette Loi a été adoptée le 30 mai dernier. 

Cette actualité juridique résume les principaux changements qui entreront en vigueur le 30 novembre 2025.


Les services assurant le bien-être de la population

Pour atténuer les inconvénients subis par la population en raison des arrêts de travail de plus en plus nombreux dans des secteurs importants de la société, la Loi impose le maintien de certains « services assurant le bien-être de la population » lors de grèves ou de lock-out. Il s’agit donc d’un nouveau régime s’ajoutant à celui des « services essentiels » prévu au Code du travail (le Code) depuis 1982. Cette nouvelle notion est ainsi définie : 

« services assurant le bien-être de la population » : les services minimalement requis pour éviter que ne soit affectée de manière disproportionnée la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population, notamment celle des personnes en situation de vulnérabilité1

Pour illustrer la portée de la notion de « personnes en situation de vulnérabilité », le Ministre a notamment cité les récents conflits de travail dans les secteurs des services éducatifs destinés aux enfants ayant des besoins particuliers, ainsi que les services funéraires. Toutefois, cette définition ne se limite pas à la protection de ces personnes : le concept de « service assurant le bien-être de la population » pourrait ainsi être interprété de manière plus large.

Cette nouvelle section qui sera introduite en novembre 2025 ne s’applique toutefois pas aux ministères, aux organismes gouvernementaux, aux établissements de santé ni aux centres de services scolaires2

La détermination des « services assurant le bien-être de la population »

Le fonctionnement de ce nouveau régime se fera par étape : 

  • Décret gouvernemental : Pour que les services assurant le bien-être de la population soient maintenus en cas de grève ou de lock-out, le gouvernement devra désigner par décret l’association syndicale accréditée et l’employeur visés, afin que la question des services à maintenir soit résolue par le Tribunal administratif du travail (le Tribunal)3. Ce décret n’a d’effet que pour la période des négociations en cours et cesse d’avoir effet dès le dépôt d’une convention collective4.
  • Demande au Tribunal : À la suite d’un tel décret, l’une ou l’autre des parties visées peut saisir le Tribunal afin qu’il détermine si les parties sont effectivement assujetties à cette obligation5. Cette demande peut être présentée au Tribunal dès l’acquisition du droit de grève ou de lock-out et les parties auront l’occasion de présenter leurs observations au Tribunal6. Tout comme le décret, l’ordonnance rendue par le Tribunal ne s’applique que pour la durée de la phase des négociations en cours7
  • Entente entre les parties : Dès la réception de la décision d’assujettissement, les parties disposeront de sept (7) jours ouvrables pour conclure une entente sur les services à maintenir ainsi que leurs modalités et en transmettre la copie au Tribunal8. À défaut d’entente, ou si le Tribunal évalue que les services prévus sont insuffisants, il détermine les services à maintenir en cas de grève ou de lock-out ainsi que les modalités de leur prestation et rend une décision à cet effet9.

Il est important de noter que la grève ou le lock-out se poursuit malgré la décision du Tribunal d’assujettir les parties au maintien des services assurant le bien-être de la population, jusqu’à la décision ou l’entente sur les modalités des services à maintenir. Cependant, si des circonstances exceptionnelles le justifient, le Tribunal peut suspendre le droit de grève ou de lock-out dès sa décision d’assujettissement10

Les nouvelles dispositions du Code interdisent toute dérogation à une décision d’assujettissement du Tribunal ou à une entente conclue. Le Tribunal pourra également enquêter lorsqu’un conflit de travail compromettra la prestation adéquate des services assurant le bien-être de la population.

Le nouveau pouvoir spécial du Ministre : l’arbitrage obligatoire

La Loi prévoit également que le Ministre pourra dorénavant mettre fin à un conflit de travail en déférant le différend à un arbitre afin que ce dernier détermine les conditions de travail des salariés visés11. Cette intervention exceptionnelle du Ministre est toutefois assujettie à deux (2) conditions : la grève ou le lock-out doit causer ou menacer de causer un préjudice grave ou irréparable à la population et les démarches de médiation ou conciliation doivent s’être avérées infructueuses. 

Une fois ce pouvoir exercé, la grève ou le lock-out prendra fin à la date et l’heure indiquée par le Ministre, et l’employeur devra assurer le maintien des conditions de travail, tel qu’il est prévu à l’article 59 du Code12. Les parties disposeront de dix (10) jours pour choisir un arbitre et, à défaut d’entente, le Ministre le nommera d’office13.

Les secteurs public et parapublic, tels qu’ils sont définis par le Code, sont notamment soustraits de l’application de ce pouvoir spécial14.

Un pouvoir ministériel inspiré du régime fédéral, mais plus encadré

Ce nouveau pouvoir exceptionnel conféré au Ministre rappelle celui accordé à son homologue fédéral en vertu de l’article 107 du Code canadien du travail. Toutefois, il demeure plus restreint. En effet, le Code canadien du travail permet au ministre fédéral de prendre toute mesure qu’il estime de nature à favoriser la bonne entente dans le monde du travail, y compris de déférer toute question au Conseil canadien des relations industrielles ou de lui ordonner de prendre les mesures qu’il juge nécessaires.

Modifications diverses au Code  

Restriction du droit au lock-out : La Loi a également pour effet d’harmoniser certaines dispositions du Code visant l’exercice du droit de grève dans les services publics, afin de les rendre également applicables au lock-out15. Les articles concernés ne visaient auparavant que le droit de grève des associations accréditées. Désormais, le lock-out est soumis au même traitement que la grève en matière de services publics assujettis au maintien des services : un avis préalable d’au moins sept (7) jours ouvrables devra être transmis à l’association accréditée et au Ministre. 

Traitement prioritaire devant le Tribunal : Enfin, la Loi prévoit également que les affaires portant sur les services essentiels ou sur les services assurant le bien-être de la population seront instruites et tranchées en priorité par le Tribunal16

À retenir

L’entrée en vigueur de la Loi marquera un changement important dans l’encadrement des conflits de travail au Québec. Les employeurs devront désormais composer avec un régime élargi de maintien des services, incluant ceux « assurant le bien-être de la population », et seront tenus de négocier rapidement avec les syndicats les services à maintenir, sous la supervision du Tribunal.

La Loi confère également au Ministre un pouvoir exceptionnel de mettre fin à un conflit en imposant un arbitrage obligatoire des conditions de travail, sans le consentement des parties. Ce mécanisme, inspiré du régime fédéral, modifie sensiblement l’équilibre des négociations collectives. Toutefois, la notion de « préjudice grave ou irréparable à la population », qui conditionne l’exercice de ce pouvoir, demeure floue et devra être précisée par les tribunaux.

Plusieurs syndicats ont déjà annoncé leur intention de contester ces nouvelles dispositions, ce qui pourrait entraîner des débats juridiques importants. Dans ce contexte, les employeurs doivent rester vigilants, adapter leurs stratégies de relations de travail, anticiper les impacts potentiels de ces nouvelles règles sur leurs opérations et se préparer à réagir rapidement à l’évolution de ce nouveau cadre législatif. 

L’autrice tient à remercier Thomas Iskra-Landry, étudiant, pour son aide dans la préparation de la présente actualité juridique.


Notes

1  

Code du travail, RLRQ, c. C-27, art. 111.22.3.

2  

Id., art. 111.22.2.

3  

Id., art. 111.22.3 al.1.

4  

Id., art. 111.22.4 al.2.

5   Id., art. 111.22.5 al.1.

6  

Id., art. 111.22.5 al. 2 et 3.

7  

Id., art. 111.22.6.

8  

Id., art. 111.22.7 al.1 et 3.

9   Id., art. 111.22.8 et 111.22.9.

10  

Id., art. 111.22.11.

11  

Id., art. 111.32.2 al. 1.

12  

Id., art. 111.32.2 al. 3.

13   Id., art. 77 al. 2 et 111.32.3.

14  

Id., art. 111.32.1; D’autres secteurs sont également exclus selon les lois applicables, tels que les services ambulanciers et les centres de la petite enfance.

15   Code du travail, RLRQ, c. C-27, art. 111.0.23 et 111.0.23.1.

16   Id., art. 111.22.1.



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