Après une série de décisions des tribunaux québécois portant sur le paiement du loyer commercial à la suite des restrictions imposées par le gouvernement en raison de la pandémie de COVID-19 (restrictions liées à la COVID-19), la Cour supérieure du Québec a rendu une décision d’intérêt le 5 janvier dans le cadre des procédures de restructuration engagées par Groupe Dynamite Inc. et certaines sociétés du même groupe (Dynamite) en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC).

Contexte

Dynamite, un détaillant du secteur des vêtements comptant plus de 300 magasins au Canada et aux États-Unis, cherche à conclure un plan d’arrangement en vertu de la LACC. Conformément à l’ordonnance initiale régissant la procédure en vertu de la LACC, Dynamite est généralement tenue de payer sans délai pour les locaux loués qu’elle utilise pendant le processus de restructuration.

En novembre 2020, des restrictions liées à la COVID-19 imposées au Manitoba et en Ontario ont touché certains établissements de vente au détail de Dynamite dans ces provinces (magasins visés). Dynamite a alors demandé une modification de l’ordonnance initiale afin d’inclure une déclaration selon laquelle elle n’utilisait pas les magasins visés et qu’aucun loyer n’était exigible ou payable à leur égard tant que les restrictions liées à la COVID-19 demeuraient en vigueur. Les locateurs des magasins visés (locateurs) se sont opposés à la demande de Dynamite, ce qui a mené à un débat devant le tribunal pour déterminer si Dynamite « utilisait » les magasins visés au sens de la LACC.

Positions des parties

Dynamite a fait valoir que l’« utilisation » des magasins visés nécessitait plus que l’existence d’un bail ou la simple occupation des locaux loués. Pour qu’il y ait une telle utilisation, Dynamite devait plutôt bénéficier de l’avantage économique qu’elle avait négocié, à savoir l’accès à des établissements de vente au détail dans des centres commerciaux de premier plan qui génèrent des revenus importants. Puisque les restrictions liées à la COVID-19 empêchaient une telle « utilisation » des magasins visés, Dynamite a soumis que le tribunal devrait exercer son large pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 11 de la LACC pour la libérer effectivement de son obligation de payer le loyer pendant la période de confinement.

Pour leur part, les locateurs ont soutenu que ces locaux étaient utilisés au sens de la LACC, puisque les baux étaient des « baux véritables » n’ayant pas fait l’objet d’une résiliation par Dynamite et que celle-ci continuait d’occuper les magasins visés et d’y avoir un accès limité. Les locateurs ont donc soumis que le tribunal ne pouvait pas accorder le redressement demandé en vertu, entre autres, de l’alinéa 11.01 a) de la LACC, ajoutant que même si le tribunal avait le pouvoir d’accorder ce redressement, il devrait refuser de le faire dans les circonstances particulières de cette affaire.

Décision

Le juge Kalichman a retenu les arguments des locateurs, concluant que les modifications demandées à l’ordonnance initiale iraient à l’encontre de l’interdiction contenue à l’alinéa 11.01 a) de la LACC. Selon lui, l’« utilisation » de locaux loués au sens de la LACC n’exige pas nécessairement que le locataire [traduction] « exerce l’activité aux fins de laquelle le bien a été loué ». Dans ces circonstances, il a conclu que Dynamite utilisait dans les faits les magasins visés au sens de l’ordonnance initiale et de la LACC, même si sa capacité d’exercer son activité dans ces établissements était limitée en raison des restrictions liées à la COVID-19.

Le tribunal a tenu compte du fait que Dynamite avait choisi de ne pas résilier les baux à l’égard des magasins visés, que la société faisait valoir son droit de « possession exclusive » de ces locaux et que l’alinéa 11.01 a) visait à protéger les fournisseurs dans le cadre de procédures en vertu de la LACC. Il a également fait référence à diverses décisions rendues aux termes de la LACC, notamment une cause récente en Colombie-Britannique décidée dans le contexte de la pandémie de COVID-19 (Quest University), dans lesquelles il a été reconnu que la simple possession ou occupation d’un bien loué peut constituer une utilisation au sens de l’article 11 de la LACC.

Le juge Kalichman a estimé que sa conclusion n’était pas incompatible avec les ordonnances antérieures rendues dans le cadre des procédures en vertu de la LACC. À cet égard, il a indiqué que l’inclusion expresse du terme « utilisation » (use) dans certaines dispositions de l’ordonnance initiale reflétait simplement les exigences de la LACC et qu’une décision antérieure dans laquelle il avait accordé une mesure de redressement semblable à celle que demandait maintenant Dynamite pour certains locaux en Californie ne le liait pas et pouvait être distinguée.

En fin de compte, le tribunal a décidé qu’en raison de l’application de l’alinéa 11.01 a) de la LACC, il n’avait pas le pouvoir de rendre l’ordonnance demandée par Dynamite et d’empêcher les locateurs d’exiger le paiement sans délai du loyer à l’égard des magasins visés. Le tribunal a également souligné que même s’il avait eu le pouvoir d’accorder le redressement demandé, il aurait refusé de le faire, puisque, même si ce redressement avait amélioré la situation financière de Dynamite, [traduction] « ce résultat aurait été obtenu d’une manière inéquitable pour les locateurs ».

Bien que le juge Kalichman ait mentionné dans sa décision que l’analyse du droit des locateurs de réclamer le loyer en vertu des baux applicables n’était peut-être pas strictement nécessaire pour trancher la demande dont il était saisi, il a convenu avec les locateurs qu’en vertu des modalités de ces baux, [traduction] « Dynamite n’est pas libérée de l’obligation de payer le loyer même si une réglementation gouvernementale ou une situation de force majeure empêche l’une des parties de remplir ses obligations ». Il sera intéressant de voir quelle incidence cette déclaration, faite en obiter, aura sur les décisions futures rendues à l’égard du non-paiement du loyer en raison des restrictions liées à la COVID-19.

Étant donné que la pandémie continue de s’accélérer dans de nombreuses régions du pays et que le nombre de locaux loués qui sont touchés par les restrictions liées à la COVID-19 continue d’augmenter, cette décision devrait intéresser de nombreux professionnels, notamment ceux qui s’occupent principalement de questions de droit immobilier commercial et d’insolvabilité.

Norton Rose Fulbright représente le contrôleur nommé par le tribunal dans le cadre des procédures en vertu de la LACC engagées par Dynamite.



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