Les tissus humains à titre de biens meubles

Mondial Publication Août 2016

La question de savoir si une personne est propriétaire de ses échantillons ou spécimens humains fait l’objet d’un débat juridique depuis déjà plusieurs années. Cependant, il semble que le droit ait récemment évolué pour s’adapter à l’évolution culturelle et sociale et aux progrès scientifiques.
 


Déjà, en 2004, le Canada adoptait la Loi sur la procréation assistée. Cette loi fédérale régissait également l’utilisation qui pouvait être faite des fluides et des échantillons humains, dont le sperme et les ovules. Cette loi déclarait de plus que « la commercialisation des fonctions reproductives […] soul[evait] des questions de santé et d’éthique » et, à cette fin, interdisait qu’un paiement soit offert en contrepartie du don de gamètes – sans toutefois interdire l’importation par des Canadiens de gamètes acquises auprès d’entités commerciales étrangères – et proscrivait l’achat ou l’offre d’achat de gamètes.
 

Réévaluation de la question par les tribunaux provinciaux

De prime abord, cette position aurait dû mettre un terme à la question de la « propriété » des échantillons et spécimens humains, telle qu’elle était traditionnellement abordée. Toutefois, des tribunaux provinciaux canadiens ont récemment soutenu que la science médicale avait évolué au point où l’approche du droit en matière de la propriété d’échantillons et de spécimens humains devait faire l’objet d’une réflexion et d’une revue en profondeur, et ont conclu que de tels échantillons ou spécimens pouvaient constituer un type de « propriété ».

Décisions rendues en Colombie-Britannique

Par exemple, dans la cause Lam v University of British Columbia, la Cour d’appel devait déterminer si un patient pouvait être propriétaire du sperme qu’il produisait, de manière à ce qu’il puisse conclure une convention d’entreposage en vue de conserver celui-ci à des fins d’utilisation personnelle à une date ultérieure. Sur ce point, la Cour a conclu que la science médicale avait progressé au point où le sperme pouvait être considéré comme un bien, notamment aux fins de la Warehouse Receipt Act, et, par conséquent, que le sperme constituait une forme de propriété.  

Le fait que les parties n’aient pas envisagé l’application de cette loi au moment où elles ont signé l’entente, que la loi n’avait pas pour objet, compte tenu du contexte historique, de s’appliquer à l’entreposage d’échantillons humains, que la loi fédérale prévoyait une approche différente à l’égard de tels échantillons et, en outre, que ces spécimens ne comportaient pas tous les attributs du droit de propriété, n’a pas empêché la Cour de tirer cette conclusion. Cette dernière a plutôt souligné que les catégories générales prévues par la loi pouvaient regrouper des choses inconnues au moment de l’adoption de celle-ci. Selon la Cour, le sens ordinaire de « bien » visait aussi le sperme humain et aucune disposition de la loi ne laissait entendre la nécessité de reformuler la définition attribuée à ce terme.

Pour en arriver à cette conclusion la Cour a effectué une analyse textuelle, contextuelle et téléologique des dispositions pertinentes de la loi. Ce faisant, la Cour a fait la distinction entre la question qui lui était soumise et l’arrêt rendu en 2002 par la Cour suprême du Canada dans la cause Harvard College. La Cour a précisé que même si une loi restreignait la capacité d’une personne d’utiliser son bien, cette restriction ne devrait pas être interprétée comme niant tous les droits de propriété, confirmant ainsi qu’un bien est constitué d’un ensemble de droits.

De même, dans J.C.M. v A.N.A., la demanderesse voulait faire déclarer que les paillettes de sperme entreposées dans une clinique en Colombie-Britannique lui appartenaient exclusivement. Cette demande avait été présentée conformément aux Supreme Court Family Rules, après la conclusion d’une entente de séparation entre la demanderesse et le défendeur qui avait omis de traiter expressément de la division de ces paillettes achetées auprès d’un tiers étranger.

À la suite d’un examen approfondi des autorités fournies, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a déclaré qu’elle était convaincue, sur le fondement des faits de cette affaire, que les paillettes de sperme devraient être considérées comme un bien et divisées comme tel entre la demanderesse et le défendeur. Cette décision était fondée sur le fait i) que le sperme avait été traité comme un bien par tous, ii) que le sperme avait été acheté et iii) que les objections morales à la commercialisation de la reproduction ou à la marchandisation du corps humain avaient été formulées tardivement. Selon le tribunal, une personne pouvait donc être propriétaire d’un bien même si elle ne pouvait le vendre.

Décision rendue en Ontario

Finalement, dans la cause Piljak Estate v Abraham, les défendeurs se sont appuyés sur la règle 32.01 des Règles de procédure civile de l’Ontario (relative à l’inspection de biens) aux fins de l’examen génétique de tissus hépatiques prélevés sur un patient décédé depuis. Cette demande soulevait la question de savoir si des tissus humains prélevés constituaient un bien meuble au sens de cette règle.

Étant donné qu’aucune jurisprudence n’avait été rendue sur ce point, la Cour s’est fondée sur un article du Journal de l’Association médicale canadienne portant sur le droit d’accès aux tissus humains. Pour ce qui est des tissus humains prélevés à des fins diagnostiques et obtenus au cours d’une procédure liée aux soins du patient, les auteurs estimaient que ces tissus devaient appartenir à l’établissement ayant réalisé l’intervention. À cet égard, les auteurs ont indiqué que même s’il était indéniable que les tissus appartenaient au patient avant leur prélèvement, les tissus prélevés à des fins diagnostiques constituaient, conformément aux lois applicables, un élément du dossier médical.

Par conséquent, du fait que la possession et la propriété sont transférées à l’établissement, alors les tissus ne pouvaient appartenir au patient, qui peut avoir, au mieux, un « accès raisonnable » à ceux-ci. Ce faisant, et puisque que les tissus humains sont clairement des biens meubles, le tribunal a conclu que ceux-ci constituaient, un type de bien meuble auquel la règle 32.01 pouvait s’appliquer aux fins d’inspection et d’examen.

Qui peut être propriétaire de tels échantillons et spécimens

En regard de ces décisions récentes, il appert que les échantillons et spécimens humains constituent un type de « bien meuble » pouvant faire l’objet d’un droit de propriété. À cet égard, le droit embrasse la science moderne, ce qui permet d’éviter certaines aberrations juridiques, dont les suivantes : i) quelqu’un volant du sperme dans un laboratoire ne pourrait être accusé de vol, puisque le vol est un crime contre la propriété; ii) une personne ne pourrait donner validement ses fluides corporels, comme le sang, ou ne pourrait en réclamer la restitution par la suite; ou iii) une personne souffrant du cancer ne pourrait couper ses cheveux et les conserver pour en faire une perruque, puisqu’elle n’en serait pas « propriétaire ».

Par conséquent, il semble que les incertitudes entourant les échantillons et les tissus n’ont plus trait à la question de savoir s’ils peuvent être considérés comme des « biens » ou s’ils peuvent faire l’objet d’un droit de propriété ou au contexte dans lequel les échantillons humains peuvent être considérés comme un bien meuble, mais plutôt à la question de savoir à qui ils peuvent appartenir selon le contexte.



Personne-ressource

Associée directrice, bureau de Québec

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