La Cour suprême établit un nouveau plafond présumé de 18 mois entre le dépôt des accusations et la conclusion du procès pour les infractions en vertu des lois sur la santé et la sécurité au travail

Mondial Publication Octobre 2016

Dans le récent arrêt R c Jordan (Jordan), la Cour suprême du Canada a entièrement revu la façon dont les tribunaux doivent juger si un délai est déraisonnable dans les affaires instruites devant une cour criminelle ou provinciale. Ce jugement établit un nouveau plafond présumé voulant qu’un procès pour une infraction provinciale soit conclu à l’intérieur de 18 mois. Ce jugement a des répercussions importantes pour les employeurs faisant face à des accusations en vertu des différentes lois en matière de santé et sécurité au travail au Canada.


L’ancien cadre

Avant le jugement Jordan, la façon de juger si un délai était déraisonnable et violait les droits d’un accusé prévus à l’alinéa 11 b) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) se fondait sur la décision de la Cour suprême R c Morin (Morin). Dans l’affaire Morin, la Cour suprême avait procédé à un examen contextuel du caractère déraisonnable du délai en tenant compte de critères comme la durée et les raisons du délai.

Cette approche contextuelle a été écartée dans Jordan. La Cour suprême a jugé que le cadre d’analyse retenu dans l’affaire Morin était trop complexe et imprévisible et, de fait, contribuait à une culture des délais et de complaisance plutôt qu’à l’amélioration des délais.

La nouvelle approche établie par la Cour suprême dans l’affaire Jordan vise à offrir une plus grande certitude pour toutes les parties en cause en établissant des plafonds au-delà desquels un délai est réputé déraisonnable.

Les faits de l’affaire Jordan se situent dans un contexte criminel. Il demeure néanmoins reconnu en common law que les infractions réglementaires sont couvertes par la Charte, même si la partie défenderesse est une personne morale. Ainsi, le plafond présumé établi dans Jordan devrait s’appliquer aux poursuites réglementaires, notamment celles découlant des lois provinciales en matière de santé et de sécurité au travail, contre des personnes physiques et morales. Aucune décision appliquant les principes de l’arrêt Jordan n’avait encore été rendue au moment d’écrire ce bulletin.


Le nouveau cadre : plafond présumé

Le nouveau cadre posé par Jordan (et le pourvoi connexe, R c Williamson) établit :

  • qu’il existe un plafond présumé de 18 mois pour la durée d’une affaire portée devant les tribunaux provinciaux, du dépôt des accusations à la conclusion du procès;

  • qu’il existe un plafond présumé de 30 mois pour les affaires criminelles instruites devant une cour supérieure ou une cour provinciale à l’issue d’une enquête préliminaire; 

  • qu’un délai imputable à la défense ne compte pas dans le calcul visant à déterminer le plafond présumé;

  • qu’un délai institutionnel, même s’il n’est pas attribuable au ministère public, compte dans le calcul visant à déterminer le plafond présumé.

Si ce plafond est atteint ou dépassé (sauf en cas de délai attribuable à la défense), le délai est présumé déraisonnable. Le ministère public peut réfuter cette présomption en démontrant l’existence de circonstances exceptionnelles, qui se divisent généralement en deux catégories :

  • les événements distincts qui étaient inévitables et imprévisibles (comme une maladie) ou

  • les affaires particulièrement complexes, où la nature de la preuve ou des questions soulevées demande plus de temps qu’à l’habitude.

  • Le délai attribuable à de telles circonstances

Si le plafond n’est pas attaint

Un délai inférieur au plafond présumé peut tout de même s’avérer déraisonnable. Il incombe alors à la défense de démontrer le caractère déraisonnable du délai. Pour ce faire, elle doit démontrer :

  • qu’elle a fait un effort concerté pour accélérer l’instance; et
  • que le procès a été nettement plus long qu’il aurait dû l’être.

Transition

Pour les affaires déjà en cours, la Cour suprême a souligné qu’il fallait appliquer le cadre de Jordan « selon le contexte et avec souplesse » en étant conscient que les parties se sont fiées à l’état du droit précédemment en vigueur. Nous verrons comment les tribunaux géreront la transition et appliqueront l’alinéa 11 b) aux affaires en cours d’instance. Toutefois, il est évident que les défendeurs dont la cause dure depuis une période approchant ou dépassant ce plafond présumé devraient sérieusement envisager de contester le caractère raisonnable du délai en vertu de la Charte en invoquant Jordan.

Conséquences d’ordre pratique pour les employeurs

Nous pouvons nous attendre à ce que le nouveau cadre établi par Jordan ait des conséquences sur la façon dont le ministère public agira dans le cas de poursuites découlant d’accusations en vertu de la législation sur la santé et sécurité au travail.

Pour les personnes morales poursuivies, la notion de plafond présumé semble éliminer le besoin de prouver le préjudice découlant du délai. En effet, le préjudice est présumé dès que le plafond est atteint et il incombe alors plutôt au ministère public de réfuter cette présomption. Il ressort de la jurisprudence que bien que les personnes morales aient droit à un procès rapide en vertu de l’alinéa 11 b), elles doivent démontrer un préjudice considérablement plus élevé que les personnes physiques. Selon ce critère établi par le jugement Jordan, il n’est pas nécessaire qu’un PAGE 3

défendeur prouve qu’il y ait eu préjudice dans le cadre de l’analyse fondée sur l’alinéa 11 b) lorsque le plafond présumé est atteint.

En réponse à la nouvelle réalité post-Jordan, les procureurs du ministère public subiront de nouvelles pressions pour que le procès se tienne rapidement de sorte que le plafond établi dans Jordan ne soit pas dépassé. Cela pourrait entraîner un surcroît de travail (comme l’organisation de la divulgation de la preuve) avant le dépôt d’accusations. Les avocats du ministère public pourraient également souhaiter obtenir plus rapidement des dates pour les conférences préparatoires au procès et le procès et demander aux défendeurs des renonciations explicites à leurs droits prévus par l’alinéa 11 b) dans les cas où des ajournements sont demandés ou acceptés par les défendeurs. Cette décision pourrait aussi mener à une diminution du temps pouvant être consacré aux discussions en vue d’un règlement et à la préparation de la défense.

Le jugement Jordan offre la possibilité aux personnes poursuivies en vertu de lois relatives à la santé et sécurité au travail de se prévaloir de la protection constitutionnelle offerte par l’alinéa 11 b) de la Charte et de bénéficier de plus de chances de succès si le plafond présumé a été atteint.



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