La Loi sur la laïcité de l’État1(Loi) a fait couler beaucoup d’encre depuis son adoption en juin 2019. Le 20 avril 2021, la Cour supérieure du Québec a confirmé la validité de la plupart des dispositions de la Loi. Sans grande surprise, la Cour d’appel du Québec (Cour) a été à son tour saisie de la validité de la Loi. Dans une décision rendue le 29 février dernier2, la Cour a confirmé les conclusions du juge de première instance, à une exception près : selon la Cour, la Loi ne compromet pas les droits scolaires linguistiques conférés aux citoyens appartenant à la minorité anglophone du Québec. Le jugement de la Cour supérieure est donc infirmé sur ce point.


La décision de la Cour

La contestation de la Loi en appel repose sur deux volets principaux, à savoir 1) les arguments constitutionnels non rattachés aux droits fondamentaux et 2) les arguments fondés sur les droits fondamentaux découlant de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte canadienne) et de la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise)3. Nous reprenons ci-dessous quelques-uns de ces moyens et les conclusions de la Cour s’y rattachant.

Les arguments constitutionnels non rattachés aux droits fondamentaux

Partage des compétences — Les parties opposées à la Loi cherchaient à la faire déclarer invalide au motif qu’elle contrevient au partage des compétences législatives consacré aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 (LC 1867). Or, tout comme l’avait conclu le juge de première instance, la Cour est d’avis que la Loi ne constitue pas une atteinte au partage des compétences législatives, bien que son raisonnement prenne appui sur des motifs différents. Suivant l’approche en deux étapes de la qualification et de la classification de la loi prescrite par l’arrêt Murray-Hall c. Québec (Procureur général)4, la Cour établit d’abord que l’objet de la Loi « est d’affirmer la laïcité de l’État en tant que principe fondamental du droit public québécois, de fixer les exigences qui en découlent, de garantir le droit à des institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires laïques et d’encadrer les conditions d’exercice de certaines fonctions au sein de ces institutions et des organismes de l’État »5. Compte tenu de cette qualification, la Cour parvient à la conclusion que la Loi se rattache simultanément à plusieurs chefs de compétence provinciale, et donc qu’elle ne contrevient pas au partage des compétences législatives.

Architecture constitutionnelle et principes non écrits — La Cour conclut que le juge de première instance était fondé de rejeter les moyens basés sur les arguments de l’incompatibilité de la Loi avec l'architecture constitutionnelle ainsi qu’avec les principes non écrits de la Constitution. La Cour est d’avis que les lacunes relatives à la preuve présentée par les opposants à la Loi quant à la teneur de la « Doctrine de participation aux institutions publiques » justifient d’écarter cet argument. En effet, la jurisprudence relative à l’architecture constitutionnelle est exempte d’une quelconque indication qui permette d’affirmer que la Loi représenterait une atteinte à la « structure fondamentale » de la Constitution. La Cour a par ailleurs confirmé que la Loi n’était pas imprécise « au point de ne pas fournir une orientation suffisante pour le débat juridique »6, et qu’elle ne pouvait être invalidée par l’extension de principes constitutionnels non écrits. 

Les arguments fondés sur les droits fondamentaux

Recours aux dispositions de dérogation — La Cour indique que le juge de première instance a rejeté à bon droit la contestation fondée sur l’utilisation, par le législateur québécois, de la « clause nonobstant », soit la faculté de déroger aux chartes consacrée aux articles 52 de la Charte québécoise et 33 de la Charte canadienne. Suivant les principes établis dans l’arrêt Ford c. Québec (Procureur général)7, arrêt par lequel la Cour se dit liée, le législateur pouvait, par une simple mention expresse à cet effet, prévoir que la Loi s’applique nonobstant les droits et libertés définis dans les chartes canadienne et québécoise.

Violation des droits fondamentaux et réparations déclaratoires ou pécuniaires — À l’instar du juge de première instance, la Cour refuse de se prononcer sur la question de déterminer si la Loi contrevient ou non à un droit ou à une liberté reconnu par les chartes auquel le législateur a expressément dérogé. Elle indique que, lorsque le législateur se prévaut de la faculté de dérogation prévue à l’article 33 de la Charte canadienne, les tribunaux « n’ont dès lors plus à faire l’exercice qui consisterait à vérifier la conformité de la loi avec […] les dispositions auxquelles le législateur déroge »8, excluant du même coup la possibilité d’obtenir une réparation. Ce même raisonnement trouve application lorsque le législateur recourt à l’article 52 de la Charte québécoise. Ainsi, il n’appartenait pas à la Cour de statuer sur la validité de la Loi eu égard aux dispositions des chartes auxquelles elle déroge expressément. 

Articles 28 de la Charte canadienne et 50.1 de la Charte québécoise — Tout comme l’a fait le juge de première instance, la Cour rejette l’argument cherchant à invalider la Loi sur la base des articles 28 de la Charte canadienne et 50.1 de la Charte québécoise, lesquels consacrent le droit à l’égalité des sexes. La Cour précise que ces dispositions ont une « vocation interprétative »9 et qu’elles ne créent donc aucun droit distinct à l’égalité des sexes. 

Article 23 de la Charte canadienne — La Cour est d’avis que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que des dispositions de la Loi sont contraires à l’article 23 de la Charte canadienne, qui garantit les droits à l’instruction dans la langue de la minorité. En effet, la Cour indique que les dispositions de la Loi n’ont pas pour effet d’empêcher l’usage de la langue anglaise dans les programmes d’enseignement. Elle rejette de ce fait l’argumentation proposée par les opposants à la Loi, et indique que d’y donner droit « constitutionnaliserait artificiellement une pratique […] qui n’a rien à voir avec la langue anglaise telle qu’elle est enseignée et utilisée par la minorité linguistique du Québec »10. En somme, la Cour conclut que le jugement de première instance confère une portée trop large à l’article 23 de la Charte canadienne11, ce qui l’habilite à intervenir pour réformer le jugement sur ce point.

Article 3 de la Charte canadienne — La Cour conclut, comme le juge de première instance, que la Loi contrevient au droit à l’éligibilité aux élections législatives garanti par l’article 3 de la Charte canadienne. À ce titre, la Loi a pour effet d’obliger toute personne qui serait élue suivant une élection provinciale à exercer ses fonctions de député à visage découvert. Pour la Cour, il s’agit là d’une limite « que l’on impose à la personne qui désire briguer le suffrage de ses concitoyens »12, et cette contravention à un droit garanti par la Charte canadienne n’a pas été justifiée par le Procureur général du Québec13

Conclusion

Pour l’essentiel, la Cour confirme donc la validité de la Loi. Quoi qu’il en soit, vu le caractère fondamental des questions qu’elle soulève, cette décision fera vraisemblablement l’objet d’un appel devant la Cour suprême du Canada. Le cas échéant, nous vous tiendrons informé des suites à ce dossier.

L’auteur tient à remercier Clara Larocque, stagiaire en droit et Dante Trunzo, étudiant, pour leur aide dans la préparation de la présente actualité juridique.


Notes

1   RLRQ, c L-0.3.

2  

Organisation mondiale sikhe du Canada c. Procureur général du Québec, 2024 QCCA 254.

3  

Id. au para 70.

4   2023 SCC 10.

5  

Organisation mondiale sikhe du Canada c. Procureur général du Québec, 2024 QCCA 254 au para 101.

6  

Id. au para 199.

7  

[1988] 2 RCS 712.

8  

Id. au para 315.

9  

Id. au para 429.

10  

Id. au para 607.

11  

Id. au para 614.

12  

Id. au para 676.

13  

Id. aux para 684-685. 



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