Un jugement rendu par la Cour supérieure du Québec le 16 juillet dernier risque d’avoir une incidence importante sur l’obligation de certains locataires de payer leur loyer pendant la pandémie1. Suivant les circonstances précises de ce dossier, la décision confirme qu’un locataire peut être relevé de son obligation de payer le loyer en raison d’un événement de force majeure, lorsque cet événement empêche le bailleur de fournir au locataire la jouissance paisible des lieux loués.


CONTEXTE

Hengyun International Investment Commerce Inc. (Hengyun) loue des locaux à 9368 7614 Québec inc. (Québec inc.) pour l’exploitation d’un gym. Hengyun poursuit Québec inc. pour des loyers impayés. Pour sa part, Québec inc. souhaite obtenir des dommages et une réduction du loyer suivant de nombreux problèmes survenus depuis l’occupation par celle-ci des lieux loués. 

La Cour supérieure examine plusieurs questions, dont celle de savoir si Québec inc. a droit à une réduction de loyer pour la période du 24 mars au 22 juin 2020, période durant laquelle Québec inc. est obligée, en raison de la pandémie de la COVID-19, de fermer son gym suivant le décret du gouvernement du Québec no 223 2020 (le Décret)2.

Québec inc. prétend que son inhabilité à exercer ses activités et à générer des revenus pendant cette période est causée par un événement de force majeure et qu’en conséquence, elle doit être libérée de son obligation de payer le loyer pour cette période. 

Hengyun prétend que la situation dans laquelle Québec inc. se trouve ne se qualifie pas d’événement de force majeure. Hengyun soutient par ailleurs que le paragraphe 13.03 du bail exigerait que Québec inc. paye le loyer même en cas de force majeure :

“13.03 Unavoidable delay

Notwithstanding anything in this Lease to the contrary, if the Landlord or the Tenant is delayed or hindered in or prevented from the performance of any term, obligation or act required hereunder by reason of superior force […] then the performance of such term or obligation or act is excused for the period of the delay, and the party so delayed shall be entitled to perform such term, obligation or act within the appropriate time period after the expiration of such delay, without being liable in damages to the other.

However, the provisions of this Section 13.03 shall not operate to excuse the Tenant from the prompt payment of the Base Rent or Additional Rent of any other payments required by this Lease.”

DÉCISION

Sans accepter l’entièreté des prétentions de Québec inc., la Cour libère Québec inc. de l’obligation de payer son loyer pour la période où elle est empêchée d’exploiter son gym suivant le Décret. 

Dans un premier temps, la Cour examine les deux critères essentiels d’un évènement de force majeure, soit l’imprévisibilité et l’irrésistibilité.

La Cour estime que le critère d’imprévisibilité est satisfait, puisqu’il n’était pas raisonnablement possible de prévoir la survenance de la pandémie de la COVID-19 au moment de la signature du bail. 

Quant au critère d’irrésistibilité, la Cour rejette les prétentions de Québec inc. à l’effet qu’elle était empêchée de remplir son obligation de payer le loyer parce que le Décret faisait en sorte qu’elle ne pouvait générer de revenus. La Cour précise que l’événement de force majeure doit entraîner l’impossibilité pour toute personne, et non seulement le débiteur, de remplir ses obligations. De plus, l’événement doit rendre l’exécution de cette obligation impossible, et non seulement plus onéreuse. 

La Cour estime toutefois que même si la pandémie de la COVID-19 n’a pas rendu impossible l’obligation de Québec inc. de payer le loyer pendant la période visée, celle-ci a empêché Hengyun de remplir son obligation de procurer la jouissance paisible des lieux loués à Québec inc. Bien que Québec inc. ait eu accès aux lieux loués et ait bénéficié, dans une certaine mesure, de certains services, le bail prévoit que les lieux loués doivent être utilisés uniquement comme salle de gym, activité interdite par le Décret. Par conséquent, la Cour est d’avis que Québec inc. n’a pas eu la jouissance paisible des lieux loués pendant la période du 24 mars au 22 juin 2020.

Étant dans l’impossibilité d’exécuter son obligation de procurer la jouissance paisible des lieux loués à Québec inc. en raison d’une force majeure, Hengyun ne pouvait ainsi exiger l’exécution de l’obligation corrélative de Québec inc., suivant les dispositions de l’article 1694 du Code civil du Québec. En conséquence, Hengyun ne pouvait exiger le paiement du loyer pour la période du 24 mars au 22 juin 2020. 

Dans un deuxième temps, la Cour examine le paragraphe 13.03 du bail pour déterminer son incidence sur les droits et obligations des parties. Celui ci prévoit qu’une partie qui n’est pas en mesure de s’acquitter d’une obligation en raison d’une force majeure est uniquement excusée pour la durée du retard et doit l’exécuter ultérieurement. La Cour conclut que ce paragraphe encadre seulement l’exécution tardive d’une obligation en raison d’un événement de force majeure, et non son inexécution. Puisque l’obligation du bailleur de procurer la jouissance paisible des lieux loués pendant la période visée n’a pas simplement été retardée, mais qu’elle ne pouvait être exécutée, le paragraphe 13.03 du bail ne s’applique pas.

La Cour ajoute que, dans tous les cas, un bailleur ne peut limiter intégralement sa responsabilité face à son obligation de procurer la jouissance paisible des lieux loués au locataire.

Dans ces circonstances, la Cour conclut qu’aucun loyer ne peut être réclamé de Québec inc. pour la période du 24 mars au 22 juin 2020.

À RETENIR

La décision suggère qu’un locataire pourrait, en certaines circonstances, être relevé de son obligation de payer le loyer en raison d’un événement de force majeure lorsque la force majeure rend impossible l’exécution de l’obligation corrélative du bailleur de procurer la jouissance paisible des lieux loués, même si l’événement ne rend pas impossible comme telle l’obligation du locataire de payer le loyer. 

À noter qu’au moment de la rédaction du présent bulletin, le délai pour porter ce jugement en appel n’est pas expiré.

La situation particulière des parties doit être examinée au cas par cas, selon notamment l’usage des lieux loués prévu au bail, l’impact de l’événement sur les activités du locataire, ainsi que la portée et les modalités de la clause de force majeure prévue au bail, le cas échéant.

Les parties seraient bien avisées de consulter leurs conseillers juridiques pour élaborer des positions réfléchies en fonction des considérations complexes à prendre en compte afin de prévenir toute mésentente.


Notes

1   Hengyun International Investment Commerce Inc. c. 9368-7614 Québec inc., 2020 QCCS 2251.

2   Le 22 juin 2020, les gyms ont pu rouvrir suivant l’arrêté ministériel no 2020-047 du ministère de la Santé et des Services sociaux (Québec).



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