Dans la cause Dufresne c. Ville de Montréal,1 le juge Donald Bisson a rejeté la demande d’autorisation des demandeurs’2 visant à exercer une action collective contre les défendeurs3 pour de multiples inondations qui sont survenues depuis 2013 dans deux arrondissements de Montréal. Dans son jugement, le juge Bisson a résumé l’état de droit au stade de l’autorisation et, ce faisant, a suggéré qu’un nouveau critère s’applique à l’analyse, à savoir : lorsqu’une demande d’autorisation comporte plusieurs causes d’action similaires en vertu d’une même loi, il n’est pas nécessaire d’évaluer l’apparence de droit de chacune d’elles – il suffit d’en évaluer qu’une seule.


Contexte

Les demandeurs sont des propriétaires et des résidents dans les « zones touchées » de la ville de Montréal et ont subi des dommages à leurs propriétés en raison d’inondations survenues au cours de la dernière décennie. Les demandeurs ont allégué que les défendeurs étaient responsables des dommages causés à leurs propriétés, en raison de la vétusté des égouts et de l’insuffisance et du défaut d’entretien des systèmes de drainage. Selon les demandeurs, les défendeurs avaient le contrôle du drainage lié aux inondations, mais n’ont pris aucune mesure pour en prévenir les conséquences, omettant ainsi intentionnellement et négligemment de protéger les citoyens des inondations. Par conséquent, les demandeurs réclamaient des dommages compensatoires, à savoir des dommages matériels et des pertes de revenus, des dommages corporels d’ordre respiratoire et des dommages moraux résultant du stress.

Citant les arrêts Homsy c. Google4  et Leduc c. Elad Canada inc.,5 le juge Bisson a résumé les critères applicables au stade de l’autorisation et a suggéré qu’un « nouveau critère » s’appliquait. Ainsi, lorsqu’une demande d’autorisation vise plusieurs causes d’action similaires en vertu d’une même loi, comme la Loi sur la protection du consommateur6 il n’est pas nécessaire d’évaluer l’apparence de droit de chacune, mais seulement de l’une d’elles; le reste sera fait au mérite.

La demande d’autorisation des demandeurs a été rejetée. Le juge Bisson a statué que les demandeurs n’avaient pas démontré l’apparence de droit à l’égard de l’une ou l’autre des causes d’action alléguées. Il a également conclu que les critères énoncés au paragraphe 575(1) concernant les questions communes n’avaient pas été respectés.

Commentaires des auteurs

Le jugement Dufresne n’offre pas d’autres précisions sur le nouveau critère. Cependant, le juge Bisson a bel et bien mentionné que la décision de la Cour d’appel dans l’arrêt Leduc7 était la source apparente de ce nouveau critère. Dans cette affaire, la Cour supérieure a rejeté l’action collective en l’absence de questions communes. Les demandeurs ont interjeté appel et la Cour d’appel a infirmé le jugement de première instance, faisant remarquer que le paragraphe 6.1 de la LPC n’avait pas été correctement pris en compte dans le jugement initial. Dans ce contexte, la Cour d’appel a déclaré :

[25]      Or, dans la mesure où la Cour est d’avis que ce critère est satisfait, sans avoir recours à ce stade à la LPC, il n’est pas utile ni nécessaire pour décider du sort de la demande en autorisation de déterminer dans quelles mesures ces dispositions trouvent application. Il s’avère en fait prématuré de le faire puisque la détermination d’une violation possible ou non des articles de la LPC sera tributaire de l’appréciation de la preuve au fond.

[26]      Ainsi, au-delà de l’erreur que comporte l’affirmation générale du juge au sujet de l’exclusion de l’application de la LPC, il n’y a pas lieu ici pour la Cour d’examiner davantage l’applicabilité des articles 219 et 228 à ce stade.8

Il n’est donc pas clair que la Cour d’appel entendait créer un nouveau critère, comme le suggère la Cour supérieure dans la cause Dufresne. Il s’agit d’une remarque incidente qui s’applique aux faits particuliers dont la Cour est saisie dans l’arrêt Leduc. En effet, la Cour d’appel avait conclu que le critère du paragraphe 575(1) était rempli et qu’il n’était pas nécessaire, dans les circonstances particulières de la cause, d’entreprendre une analyse détaillée de l’apparence de droit de chaque cause d’action alléguée.

De plus, nous avons remarqué qu’après avoir établi le « nouveau critère » au début de son jugement dans la cause Dufresne, le juge Bisson a néanmoins procédé à l’analyse de chacune des cinq causes d’action invoquées par les demandeurs, formulant des commentaires à l’égard des articles spécifiques des lois invoquées par les demandeurs, malgré le fait que certaines d’entre elles pouvaient viser des « causes d’action similaires en vertu de la même loi ». En particulier, il a souligné que les demandeurs n’avaient pas réussi à démontrer, à première vue, qu’ils avaient satisfait au critère applicable à chacun des articles allégués en vertu de la Charte québécoise pour démontrer une violation. Il a fait remarquer qu’il est trop facile d’énumérer des articles de la Charte québécoise et de la Charte canadienne sans alléguer les faits à l’origine des violations9.

Nous croyons que l’analyse méthodique effectuée par le juge Bisson dans la cause Dufresne reflète en fait l’état actuel du droit en ce qui a trait aux critères d’autorisation au Québec pour déterminer si les faits allégués justifient les conclusions recherchées en vertu du paragraphe 575(2). Les avocats de la défense peuvent donc être assurés qu’ils peuvent continuer à soulever des arguments pour s’opposer à chaque cause d’action individuelle alléguée par les demandeurs lorsqu’ils contestent l’apparence de droit au moment d’une autorisation.

Les auteurs tiennent à remercier Vera Katkova, stagiaire, pour son aide dans la préparation de la présente actualité juridique.

 

Notes

1   2024 QCCS 1527 [Dufresne].

2   Les demandeurs sont des propriétaires et des résidents dans les « zones touchées » de la ville de Montréal.

3   Les défendeurs sont Ville de Montréal ainsi que la mairesse Valérie Plante et le maire Pierre Lessard-Blais.

5   2024 QCCA 152 [Leduc].

6   RLRQ c P-40.1

7   Supra note 5.

8   Supra note5, paragraphes 25 et 26

9   Supra note 1, paragraphe 106



Personnes-ressources

Associée
Associé

Publications récentes

Abonnez-vous et restez à l’affût des nouvelles juridiques, informations et événements les plus récents...