La Cour d’appel fédérale (CAF) dans Canada c. Vefghi Holding Corp a récemment rendu une décision très attendue concernant le moment pertinent pour déterminer si deux sociétés interposées par une fiducie – ci-après désignées la « Société Payante » et la « Société Bénéficiaire » – doivent être « rattachées » aux fins de l’application de l’impôt de la Partie IV. Bien que la question puisse sembler théorique, elle comporte des conséquences pratiques importantes dans divers contextes transactionnels et lors de réorganisations corporatives.

Dans sa décision, la CAF a accueilli l’appel de l’Agence du revenu du Canada (ARC), rejeté l’appel incident des contribuables et confirmé que le moment pertinent pour déterminer si deux sociétés sont rattachées est la fin de l’année d’imposition de la fiducie au cours de laquelle le dividende est reçu.


Résumé des faits 

  • L’appel portait sur deux dossiers distincts – ci-après désignés les dossiers Vefghi et S.O.N.S. – soulevant la même question juridique dans un contexte transactionnel, mais avec une trame factuelle légèrement différente. 
  • Dans les deux dossiers, la Société Payante et la Société Bénéficiaire étaient « rattachées » avant la vente proposée. Dans chaque dossier, la fiducie avait une fin d’année au 31 décembre. Toutefois, dans le dossier Vefghi, la Société Bénéficiaire avait également une fin d’année au 31 décembre, tandis que dans le dossier S.O.N.S., la Société Bénéficiaire avait une fin d’année au 31 août.
  • Peu avant la clôture, chaque Société Payante a déclaré et versé un dividende à sa fiducie actionnaire respective, laquelle a immédiatement attribué le dividende à sa Société Bénéficiaire correspondante.
  • Le 1er juillet 2025, les actions de chacune des Sociétés Payantes ont été vendues à un tiers sans lien de dépendance, faisant en sorte que les Sociétés Payantes n’étaient plus rattachées à leur Société Bénéficiaire respective.
  • Dans sa déclaration de revenus au 31 décembre 2015, chacune des fiducies a désigné le dividende attribué en vertu du paragraphe 104(19) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Fédéral) (LIR). Ces dividendes ont ensuite été inclus dans les déclarations de revenus des Sociétés Bénéficiaires pour leur année d’imposition se terminant le 31 décembre 2015 ou le 31 août 2015, selon le cas applicable.
  • L’ARC a ensuite établi une cotisation de l’impôt de la Partie IV à l’égard de chaque Société Bénéficiaire, soutenant que les dividendes avaient été reçus le 31 décembre 2015, soit à un moment où les Sociétés Bénéficiaires n’étaient plus rattachées à leur Société Payante respective en raison de la vente.

Décision de la Cour canadienne de l’impôt (2023 CCI 135)

Dans le dossier Vefghi, la Cour canadienne de l’impôt (CCI) a conclu que le dividende avait été reçu par la Société Bénéficiaire au même moment où la fiducie l’avait reçu, c’est-à-dire avant la vente des actions de la Société Payante. La Cour a estimé que la fiction juridique créée par le paragraphe 104(19) de la LIR faisait en sorte que la Société Bénéficiaire recevait le « même » dividende que la fiducie, et donc que ce dividende avait été reçu à la même date.

Dans le dossier S.O.N.S., la fiction juridique a cependant fait en sorte que le dividende était réputé avoir été reçu par la Société Bénéficiaire dans une année d’imposition différente de celle où elle l’avait reçu. Par conséquent, la Société Bénéficiaire était réputée avoir reçu le dividende dans son année d’imposition se terminant le 31 août 2016, soit à un moment où la Société Payante n’était plus rattachée à la Société Bénéficiaire, donc à un moment où l’impôt de la Partie IV était applicable.  

Décision de la CAF (2025 CAF 143)

La CAF a déterminé que la CCI avait erré en concluant que la Société Bénéficiaire était réputée avoir reçu « le même » dividende que celui reçu par la fiducie. Selon la CAF, le paragraphe 104(19) de la LIR prévoit plutôt que la Société Bénéficiaire est réputée avoir reçu un dividende imposable sur les mêmes actions, mais pas nécessairement le même dividende. Sur cette base, la CAF est d’avis que la CCI a incorrectement déterminé le moment de la réception du dividende.

La CAF a également souligné que toutes les conditions du paragraphe 104(19) de la LIR doivent être satisfaites avant que la Société Bénéficiaire puisse être réputée avoir reçu le dividende. Selon la CAF, comme une des conditions du paragraphe 104(19) de la LIR est que la fiducie soit résidente du Canada tout au long de son année d’imposition, cette présomption ne pouvait donc pas s’appliquer avant la fin de l’année.

Enfin, la CAF note que la position adoptée par la CCI crée un conflit dans l’application de la présomption du paragraphe 104(19) de la LIR lorsque l’année d’imposition de la Société Bénéficiaire ne comprend pas le dernier jour de l’année d’imposition de la fiducie (comme c’était le cas dans S.O.N.S.).

Sur la base de ces conclusions, la CAF a déterminé que le moment pertinent pour établir si une Société Payante est rattachée à une Société Bénéficiaire, aux fins de l’application de l’impôt de la Partie IV, est la fin de l’année d’imposition de la fiducie au cours de laquelle le dividende est reçu.

Points à retenir

En infirmant la décision de la CCI, le jugement de la CAF ajoute une nouvelle dimension à plus de deux décennies d’interprétations parfois contradictoires1.

La décision de la CAF soulève également plusieurs préoccupations pratiques en contexte transactionnel, lorsque, par exemple, un dividende préclôture est versé à une fiducie puis attribué en faveur d’une Société Bénéficiaire, et que la Société Payante est ensuite vendue avant la fin de l’année d’imposition de la fiducie. Certaines réorganisations corporatives courantes pourraient également être affectées par cette décision, par exemple, lorsqu’une Société Payante est (i) liquidée et dissoute, ou (ii) sujette à une fusion horizontale, dans les deux cas avant la fin de l’année d’imposition de la fiducie. 

Ces préoccupations pratiques sont problématiques, surtout lorsqu’on les compare à une situation impliquant le versement d’un dividende directement en faveur d’une société de portefeuille, soit une situation qui ne soulèverait pas ces difficultés. Lorsqu’une fiducie est interposée, les contribuables peuvent donc être forcés de reporter la clôture d’une transaction de vente ou d’une réorganisation corporative jusqu’à la fin de l’année d’imposition de la fiducie, et ce, afin d’éviter les conséquences indésirées de l’impôt de la Partie IV. Cette décision pourrait ne pas toujours être commercialement envisageable. Ce manque de neutralité n’est pas souhaitable, notamment compte tenu de l’utilisation répandue des fiducies pour une multitude de raisons fiscales et non fiscales, comme dans le cadre de gels successoraux ou encore pour la mise en place de structures de protection d’actifs.


Notes

1  

Voir AGENCE DU REVENU DU CANADA, Interprétation technique 2005-0121931E5, « Dividends designated under subsection 104(19) », 24 octobre 2005; AGENCE DU REVENU DU CANADA, Interprétation technique 2005-0159081I7, « Timing of income inclusion for trust beneficiary », 3 mars 2006; AGENCE DU REVENU DU CANADA, Interprétation technique 20110392661E5, « T2 Schedule 3 reporting of dividend paid to a trust », 2 mai 2011; AGENCE DU REVENU DU CANADA, Interprétation technique 2012-0465131E5, « Dividend designation from a trust », 14 janvier 2013; AGENCE DU REVENU DU CANADA, Interprétation technique 2013-0495801C6, « Dividend paid to trust and Schedule 3 of T2 », 11 octobre 2013; AGENCE DU REVENU DU CANADA, Interprétation technique 2016-0647621E5, « Dividend designation from a trust—timing », 3 juin 2016; AGENCE DU REVENU DU CANADA, Interprétation technique 2018-0757591I7, « Part IV tax and trust », 30 avril 2019; AGENCE DU REVENU DU CANADA, Interprétation technique 2020-0845821C6, « Part IV tax and trust », 7 octobre 2020; et AGENCE DU REVENU DU CANADA, Interprétation technique 2020-0839891C6, « STEP Roundtable Q. 11 -Subsection 104(19) », 26 novembre 2020; versus Helliwell c. MNR, 85 DTC 491 (CCI) et Comité de liaison Ordre des comptables professionnels agréés du Québec et Revenu Québec, 15 juin 2018, question 6.



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