Le 30 octobre 2025, l’Université Laval a accueilli la quatrième édition du colloque annuel du Laboratoire en droit des services financiers (LABFI), intitulé « Régulation financière : une alliée face aux changements climatiques? », auquel certains membres de notre équipe Services financiers ont participé. Cet événement, organisé sous la direction des professeurs Cinthia Duclos et Marc Lacoursière, a réuni plusieurs acteurs des mondes juridique, académique et financier pour réfléchir aux enjeux émergents liés à la finance durable, à la gouvernance climatique et à l’évolution des cadres réglementaires.
Quatre axes de discussion
Le colloque s’est articulé autour de quatre grands thèmes :
- Les fondements scientifiques et juridiques de la régulation climatique, avec des interventions sur les impacts systémiques des changements climatiques et les leviers d’action du droit.
- Les obligations de divulgation et les pratiques de gouvernance des institutions financières, y compris une analyse du cadre québécois et canadien, ainsi que des développements internationaux.
- Les défis de l’assurance face aux catastrophes naturelles, abordant la protection des consommateurs, la gestion des risques invisibles et les modèles d’indemnisation.
- L’investissement durable et son encadrement normatif, avec des réflexions sur les taxonomies vertes, le risque d’écoblanchiment et les attentes sociétales.
Divulgation des risques climatiques : un impératif stratégique
Les intervenants ont mis en lumière l’importance croissante de la divulgation des risques climatiques, en distinguant deux catégories principales :
- Risques physiques : associés aux événements climatiques extrêmes (inondations, incendies, tempêtes) et à la dégradation progressive des écosystèmes.
- Risques de transition : associés à l’évolution vers une économie à faibles émissions de carbone (changements réglementaires, innovations technologiques, pressions des parties prenantes).
La ligne directrice sur la gestion des risques liés aux changements climatiques publiée par l’Autorité des marchés financiers (AMF)1 précise les attentes de l’AMF en matière de communication des risques climatiques. L’annexe 1 de cette ligne directrice présente les attentes minimales de divulgation, notamment l’identification des risques physiques et de transition. Toutefois, aucune obligation ne contraint les institutions financières à publier des objectifs environnementaux prospectifs. Il demeure cependant interdit de faire des représentations fausses ou trompeuses.
Exemple marquant : Le 23 octobre 2025, le tribunal judiciaire de Paris a condamné TotalEnergies pour pratiques commerciales trompeuses, en lien avec une campagne publicitaire de 2021, affirmant que le groupe visait la carboneutralité d’ici 2050. Il s’agit de la première condamnation mondiale d’une multinationale pétrolière pour écoblanchiment. Le jugement impose notamment à TotalEnergies de retirer les déclarations trompeuses de son site Web et d’y publier un lien vers la décision judiciaire pendant 180 jours, sous peine d’amendes journalières2.
Au Canada, bien qu’aucun précédent judiciaire n’existe encore en matière de fausses déclarations de carboneutralité, le projet de loi C‑59 a apporté plusieurs modifications à la Loi sur la concurrence3 afin d’encadrer les allégations environnementales trompeuses, notamment celles relatives à la carboneutralité, visant à lutter contre l’écoblanchiment4.
Assurance et sinistres climatiques : vers des solutions innovantes
L’année 2024 a été la plus coûteuse de l’histoire du Canada en matière de pertes liées à des phénomènes météorologiques extrêmes, atteignant 8,5 milliards de dollars5. Cela a eu des impacts directs sur les entreprises, qui doivent s’ajuster en conséquence. Selon un sondage :
- 24 % des entreprises ont identifié ou sont en voie d’identifier les menaces climatiques sur leurs opérations;
- 25 % ont fait de même pour leur chaîne d’approvisionnement6.
Face à cette réalité, le marché canadien de l’assurance dommages doit faire preuve de résilience et d’innovation. À ce titre, les représentants d’un assureur ont fait référence, lors du colloque, à un programme permettant aux assurés de reconstruire de manière plus durable après un sinistre, grâce à une protection permettant de partager les frais supplémentaires liés au remplacement de matériaux plus résistants à l’eau, à la grêle ou aux vents, à la suite d’un sinistre et à des installations de prévention.
Perspectives et recommandations
Au-delà des considérations environnementales, les intervenants ont insisté sur le fait que la prise en compte des risques climatiques par les institutions financières présente des avantages stratégiques :
- Attentes croissantes des investisseurs et du public : La transparence sur les enjeux climatiques devient un facteur de confiance et de compétitivité.
- Demande accrue pour les produits d’investissement de transition : Les investisseurs recherchent des placements qui cadrent avec une économie faible en carbone.
De plus, selon une étude réalisée par Ernst & Young, la divulgation climatique constitue un levier stratégique pour :
- accroître la compétitivité et la création de valeur, en faisant de la réputation climatique un facteur de différenciation;
- faciliter l’accès aux capitaux et renforcer la résilience organisationnelle, en répondant aux attentes des investisseurs et des parties prenantes;
- anticiper les exigences réglementaires, notamment par l’adoption des normes internationales du Task Force on Climate-Related Financial Disclosures (TCFD) et de l’International Sustainability Standards Board (ISSB), qui structurent les divulgations autour de la gouvernance, de la stratégie, de la gestion des risques et des indicateurs7.
Conclusion
Pour les intervenants présents, dont ceux de notre équipe, ce colloque a offert une occasion précieuse de nourrir les réflexions sur les transformations du droit financier dans un contexte de changements climatiques.