La générosité ne suffit pas : les employeurs régis par la législation fédérale doivent avoir un motif pour congédier les employés non syndiqués

Mondial Publication Juillet 2016

La common law permet le congédiement non motivé d’un employé qui n’est pas syndiqué moyennant un préavis raisonnable ou une indemnité en guise et lieu de préavis. Aujourd’hui, la Cour suprême du Canada a tranché, à la majorité, que cette règle de common law ne s’applique pas aux employeurs régis par la législation fédérale. La Cour a jugé que les employeurs régis par la législation fédérale doivent toujours fournir les motifs de congédiement de leurs employés. De plus, si les motifs de congédiement ne satisfont pas à la norme de « motif valable », au sens attribué à ce terme dans le contexte de la négociation collective, l’employé peut porter plainte en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail (Code) et pourrait être réintégré à son poste, avec ou sans paiement rétroactif de salaire et de dommages-intérêts, ou dédommagé avec le versement d’une indemnité au lieu de la réintégration à son poste en plus des dommages-intérêts.
 


Une indemnité de départ généreuse équivaut à un congédiement juste?

L’affaire vise un administrateur (W) d’Énergie Atomique du Canada Limitée (EACL) qui a travaillé pour cet employeur pendant quatre ans et demi avant d’être congédié en novembre 2009. Il a déposé une plainte pour « congédiement injustifié »; selon lui, il aurait été congédié en représailles d’une plainte qu’il avait déposée à propos de pratiques irrégulières d’approvisionnement par son employeur.

En réponse à la demande de l’inspecteur voulant obtenir les motifs du congédiement de W, l’employeur a précisé que W avait été « licencié sans motif valable et avait reçu une généreuse indemnité de départ ». Un arbitre a été nommé pour entendre la plainte. L’employeur lui a demandé de trancher d’abord la question de savoir si un congédiement sans motif valable assorti d’une indemnité de départ généreuse équivalait à un congédiement justifié. L’arbitre a conclu que l’employeur ne peut, sous prétexte d’avoir versé une indemnité de départ — et ce, quel qu’en soit le montant —, empêcher que la question du congédiement injustifié soit tranchée en application du Code. Vu que l’employeur n’avait donné aucun motif de congédiement, la plainte de W a été accueillie.

EACL a fait une demande de contrôle judiciaire. La Cour fédérale a conclu au caractère déraisonnable de la sentence; à son avis, rien dans la partie III du Code n’empêche les employeurs de congédier leurs employés non syndiqués sans motif valable. La Cour d’appel fédérale était d’accord, mais a procédé au contrôle selon la norme de la décision correcte.

La majorité de la Cour suprême du Canada a cassé la décision de la Cour d’appel fédérale. Quant à la question portant sur la norme de contrôle appropriée, la juge Abella a proposé de rouvrir le débat sur la norme. Dans l’esprit de ce débat, elle a proposé qu’une seule norme, celle de la décision raisonnable, soit appliquée dans tous les cas et que la norme de décision correcte soit écartée à titre de norme de contrôle de rechange. La suggestion de la juge Abella d’écarter la norme de décision correcte a été rejetée par la majorité, quoique de futures discussions sur cette proposition semblent envisageables.
 

Harmoniser les mesures de protection applicables aux employés syndiqués et non syndiqués

Pour ce qui est de la question de savoir si les employeurs régis par la législation fédérale ont le droit de congédier un employé sans motif, la majorité a déclaré qu’une analyse rationnelle de la partie III du Code canadien du travail ne permettait pas une telle interprétation. S’exprimant pour la majorité, la juge Abella a fait valoir qu’au moment où le Parlement a modifié la partie III du Code en 1978 afin d’y inclure l’article 240, il avait pour intention « d’harmoniser les mesures de protection contre le congédiement injustifié offertes aux employés fédéraux non syndiqués avec celles offertes aux employés syndiqués ». En règle générale, cela signifie que les employeurs doivent appliquer une série de mesures disciplinaires progressives avant de congédier un employé, sauf en cas de violation inacceptable du contrat d’emploi qui justifie le licenciement immédiat sans préavis. Le fardeau qui incombe aux employeurs de justifier les licenciements motivés est extrêmement lourd et font en sorte que les plaintes ou griefs pour congédiement sont grandement difficiles à défendre.

Dans une opinion dissidente percutante, les juges Moldaver, Côté et Brown ont fait valoir que la règle de common law concernant le congédiement non motivé n’a pas été délogée par l’ajout de l’article 240 dans le Code canadien du travail. De l’avis des juges dissidents, rien dans l’article 240 ni dans les dispositions voisines du Code ne garantit la sécurité d’emploi aux employés des organismes régis par la législation fédérale même si ces employés ne fournissent à leur employeur aucune juste cause de congédiement.

La décision majoritaire rendue dans le cadre de cette affaire condamne le congédiement sans motif des employés non syndiqués par les employeurs régis par la législation fédérale. La portée de cette décision ne peut être exagérée. Il est désormais tout à fait clair que tous les employeurs régis par la législation fédérale doivent imposer des mesures disciplinaires progressives bien documentées aux employés avant de pouvoir mettre fin à l’emploi. Dans de rares cas, voire jamais, les employeurs régis par la législation fédérale seront autorisés à mettre fin à l’emploi en raison d’un acte d’inconduite unique ou en raison d’un acte demeuré impuni.



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