Le 23 juin 2022, d’importantes modifications ont été apportées à la Loi sur la concurrence (Loi) lorsque le Projet de loi C-19, ou Loi no 1 d’exécution du budget de 2022, a reçu la sanction royale. Ces modifications sont entrées en vigueur sur le-champ, à l’exception des modifications visant les dispositions sur la conspiration criminelle, qui entreront en vigueur le 23 juin 2023. Les modifications adoptées sont les mêmes que celles qui avaient été proposées dans le projet de loi C 19 le 28 avril 2022. Voir notre actualité précédente pour plus de détails sur les modifications proposées.

Le Bureau de la concurrence (Bureau) a publié un guide des modifications apportées en 2022 qui donne un aperçu des modifications, sans toutefois indiquer comment celles-ci se traduiront dans la façon dont le Bureau applique la Loi. Ce guide précise que l’adoption de ces modifications constitue une « étape préliminaire de la modernisation du régime de concurrence canadien ». On peut donc s’attendre à ce que d’autres modifications importantes suivent. Le Bureau a aussi annoncé la tenue d’une séance d'information publique en septembre au cours de laquelle des fonctionnaires du Bureau aborderont ces questions avec les parties intéressées.  

Par suite de ces modifications, presque toutes les personnes morales seront appelées à mettre à jour leurs politiques internes en matière de droit de la concurrence et les indications qu’elles donnent à leurs employés pour s’assurer de la conformité à la Loi. Certaines entreprises pourraient devoir procéder à une réévaluation plus large du risque de non conformité et revoir leurs pratiques commerciales existantes.


Les caractéristiques principales des modifications en question sont les suivantes.

Augmentation des amendes et sanctions

En date du 23 juin 2023, le montant de l’amende en cas de violation de la disposition sur les complots criminels ne sera plus plafonné à 25 millions de dollars, mais sera plutôt « fixé par le tribunal ». L’amende maximale applicable en cas de violation des dispositions sur l’abus de position dominante et des dispositions relatives aux pratiques commerciales trompeuses correspondra à i) 10 millions de dollars (15 millions de dollars pour chaque violation subséquente) ou ii) trois fois la valeur du bénéfice tiré du comportement en cause ou, si ce montant ne peut être déterminé, à 3 % des recettes globales brutes.

Les accords de fixation des salaires et de non-débauchage/non-embauche seront interdits sur le plan criminel 

Les accords entre les employeurs visant à fixer les salaires ou à mettre en œuvre des politiques de non débauchage constitueront des infractions criminelles en vertu de la Loi à compter du 23 juin 2023. Cette modification permet au Canada de prendre une position semblable à celle d’autres territoires, comme les États Unis, où ces accords constituent des infractions criminelles. Les personnes morales sont invitées à revoir leurs pratiques en la matière avant l’entrée en vigueur de ces dispositions afin de s’assurer qu’aucune politique en place ne viole cette nouvelle disposition.

Accès privé au Tribunal pour les cas d’abus de position dominante

Les modifications permettront à des parties privées de présenter des demandes devant le Tribunal de la concurrence (Tribunal) pour abus présumé de position dominante (auparavant, seul le commissaire de la concurrence pouvait intenter une action en vertu des dispositions d’abus de position dominante de la Loi). 

Les parties privées devront obtenir l’autorisation pour demander une audition sur le fond (comme c’est le cas avec les autres droits d’accès privé prévus par la Loi). Les recours visant certains comportements (c. à d. les ordonnances de cessation ou de modification d’une conduite problématique) sont les seuls recours dont disposent les parties privées (y compris la possibilité d’un recours interlocutoire). 

Bien que le Tribunal puisse imposer des sanctions administratives pécuniaires, lorsqu’il le croit justifié, ces sanctions seront payables au gouvernement, en d’autres mots, d’un point de vue financier, même si les parties privées qui obtiennent gain de cause seront en mesure de recouvrer une partie ou la totalité de leurs dépens, elles n’ont pas droit à des dommages-intérêts. 

Comme elles n’ont pas droit à des dommages-intérêts, les parties privées pourraient être peu enclines à intenter un recours pour abus de position dominante, étant donné que ces causes exigent habituellement un grand investissement de temps et d’argent. Cependant, lorsqu’elles réévalueront leurs risques, les personnes morales ne doivent pas négliger le fait que des parties privées puissent vouloir faire valoir leurs droits. L’accès des parties privées au Tribunal pourrait inciter celles-ci à y présenter des causes stratégiques ou servir de levier dans le cadre d’un différend commercial.

Élargissement de la liste de facteurs permettant de déterminer l’incidence sur la concurrence

Plusieurs facteurs additionnels peuvent maintenant être pris en compte en matière d’abus de position dominante, dont les effets de réseau, les effets sur la concurrence par les prix ou hors prix (c. à-d. la vie privée des consommateurs et le choix), la nature et la portée des innovations dans un marché et tout autre facteur relatif à la concurrence dans le marché. Des facteurs semblables peuvent également être pris en compte actuellement aux termes des cadres entourant la collaboration avec les concurrents et l’examen des fusions. 

Ces modifications visent à permettre au Bureau de mieux traiter les problèmes éventuels de concurrence dans le monde numérique. Bien qu’ils soient nouveaux dans la Loi, bon nombre de ces facteurs ne sont pas étrangers au Bureau qui en a déjà tenu compte par le passé dans l’analyse de cas. Encore une fois, les personnes morales qui détiennent une position forte sur le marché (notamment celles exerçant des activités dans l’économie numérique) devraient voir comment ces changements pourraient se répercuter sur leur exposition éventuelle aux risques.

Interdiction explicite d’indication de prix partiel 

L’indication de prix partiel est maintenant explicitement définie et interdite en vertu des dispositions de la Loi relatives à l’interdiction civile et pénale de publicité trompeuse. Il y a indication de prix partiel lorsqu’un prix initial est annoncé, mais que des frais supplémentaires obligatoires sont ajoutés par le vendeur avant que la transaction ne soit conclue. Les amendes et sanctions dont il a été question précédemment s’appliquent en cas d’indication de prix partiel. Le Bureau a déjà fait enquête et sanctionné des entreprises qui recouraient à cette pratique d’indication de prix partiel. Ces modifications traduisent la volonté du Bureau de faire respecter ces principes.  

Ajout d’une disposition anti-évitement relative aux avis de fusion

La Loi contient maintenant une disposition anti-évitement visant à ce que les exigences obligatoires relatives aux avis de fusion s’appliquent aux opérations conçues pour éviter la présentation d’un tel avis. Cette disposition vise à limiter la capacité des parties à structurer des opérations de façon à éviter d’avoir à présenter un avis de fusion (par exemple en structurant une fusion sous la forme d’une série de plus petites opérations indépendantes non assujetties à l’obligation d’avis par opposition à une seule opération devant faire l’objet d’un avis).

Principaux points à retenir  

Ces modifications apportent des changements de fond significatifs, comme l’augmentation des amendes et l’interdiction d’accords touchant les salaires et la sollicitation d’employés entre les employeurs. 

Néanmoins, d’autres changements, y compris ceux se rapportant à l’indication de prix partiel de même que l’élargissement de liste des facteurs permettant de déterminer l’incidence de la conduite reprochée sur la concurrence, représentent essentiellement la codification de principes déjà appliqués. Qui plus est, les modifications télégraphient la façon de penser du Bureau pour ce qui est de l’approche analytique, des priorités en matière d’application de la Loi et de sa volonté à faire respecter la Loi plus vigoureusement. 

Comme il est indiqué ci dessus, les personnes morales devraient penser à mettre à jour leurs politiques existantes pour s’assurer de respecter les nouvelles dispositions. Pour certaines entreprises (par exemple celles détenant une grande part de marché ou celles qui se livrent à des activités expressément visées par les modifications), il serait avisé de réévaluer leur risque éventuel de non-conformité à la lumière de ces modifications. 

Il convient de noter qu’il ne s’agit fort probablement que de la première étape d’une réforme gouvernementale de la Loi et que d’autres modifications seront sûrement apportées dans le cadre d’une révision plus large du régime canadien de la concurrence.



Personnes-ressources

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Associé, chef canadien, Droit antitrust et droit de la concurrence

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