Dans Benjamin Moore & Co. v. Attorney General of Canada, 2022 FC 9231 (disponible en anglais seulement), la Cour fédérale du Canada a infirmé la décision de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) refusant des demandes de brevet relatives à deux inventions mises en œuvre par ordinateur se rapportant à des méthodes de sélection de couleurs qui utilisent des relations dérivées expérimentalement pour assurer l’harmonie et l’émotion des couleurs (la Cour fédérale du Canada a renvoyé les demandes de brevet canadiens no 2 695 130 et no 2 695 146, qui revendiquent un « Système de sélection de couleurs »). 

La cour a renvoyé les demandes à l’OPIC pour que celui-ci les réexamine sur la base de la décision de la cour dans Choueifaty c Canada (Procureur général) (Choueifaty)2, qui a aussi infirmé la décision refusant une demande relative à une invention de technologie financière pour des motifs de brevetabilité. Veuillez vous reporter à notre bulletin La PI dans la mire sur Choueifaty (disponible en anglais seulement) publié précédemment pour de plus amples renseignements.

Comme il est décrit en détail ci-après, dans Benjamin Moore, la Cour fédérale du Canada a établi un critère plus clair en trois volets pour la brevetabilité, remplaçant l’approche adoptée par la commissaire et l’OPIC pendant l’examen de ces demandes de brevet. 

L’approche « problème-solution » de l’OPIC est rejetée 

La commissaire avait incorrectement adopté l’approche « problème-solution » en interprétant les revendications selon la perspective du « problème à résoudre » et de la « solution apportée par l’invention » et avait aussi rejeté les revendications en appliquant de manière souple l’exception des « simples principes scientifiques ou conceptions théoriques » prévue au paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets. La commissaire a interprété les revendications des deux demandes de brevet en identifiant seulement les nouveaux aspects des inventions et elle a établi que ces nouveaux aspects n’étaient pas brevetables comme « simples principes scientifiques ou conceptions théoriques ». Comme il n’y avait pas de problème informatique à régler, la commissaire a conclu que l’ordinateur et les composantes connexes n’étaient pas des éléments essentiels de l’invention. 

La Cour fédérale a expliqué que la commissaire avait appliqué le mauvais critère lorsqu’elle avait rejeté les revendications en suivant l’approche « problème-solution » prévue dans le Recueil des pratiques du Bureau des brevets (RPBB), qui a été jugée incompatible avec Whirlpool Corp c Camco Inc. (Whirlpool)3, Free World Trust c Électro Santé Inc. (Free World Trust)4 et Canada (Procureur général) c Amazon.com Inc. (Amazon.com)5

L’OPIC applique sa propre approche « problème-solution » même s’il fait mention de l’« interprétation téléologique » établie dans la jurisprudence6. La question de savoir si les demandes de brevet portent sur des objets brevetables est une question de fait et de droit. La cour a renvoyé les demandes et a indiqué qu’en appliquant le mauvais critère pour évaluer la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur, la commissaire n’a pas tiré les conclusions fondées sur les faits qui permettraient à la cour d’analyser sa décision portant sur les objets brevetables.

Critère en trois volets sur la brevetabilité 

L’Institut de la propriété intellectuelle du Canada (intervenant) a obtenu l’autorisation d’intervenir dans ces appels et a indiqué que l’OPIC continue d’utiliser la mauvaise approche, malgré la décision de la Cour fédérale dans Choueifaty7. L’intervenant a déclaré que la question relative à la bonne approche pour évaluer la brevetabilité de l’objet des inventions mises en œuvre par ordinateur « transcende les intérêts des parties immédiates à ces appels » et est « fondamentale pour le système canadien des brevets » (notre traduction). 

La Cour fédérale a renvoyé à l’avis sur les brevets mis à jour de l’OPIC intitulé « Objet brevetable en vertu de la Loi sur les brevets » qui a été publié après Choueifaty. La Cour fédérale a indiqué que cet avis sur les brevets comprend toujours l’approche « problème-solution » inappropriée (indiquée à la page 2 de 5) malgré les conclusions dans Choueifaty. La Cour fédérale n’était pas d’accord avec l’argument du défendeur selon lequel l’avis sur les brevets est une politique opérationnelle et elle a précisé que l’avis sur les brevets n’est pas simplement une politique opérationnelle parce qu’il énonce l’approche que doivent suivre les examinateurs de l’OPIC. 

L’appelant et l’intervenant ont en outre soutenu que l’OPIC interprète régulièrement de manière erronée la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur, les excluant à tort en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets. Plus particulièrement, la décision de la Cour suprême du Canada dans Shell Oil Co. c Commissaire des brevets8 a établi que les applications pratiques de principes scientifiques et de conceptions théoriques peuvent constituer des inventions brevetables. La Cour d’appel fédérale a confirmé ce fait dans Amazon.com, suivant ainsi l’approche de l’interprétation téléologique appropriée.  

L’appelant a soutenu que la cour devrait renvoyer l’affaire à l’OPIC et rendre une ordonnance lui enjoignant de réexaminer les demandes de brevet conformément aux principes de Free World Trust, de Whirlpool et de Shell Oil à titre de principes directeurs pour le réexamen. L’intervenant a également soutenu que la Cour fédérale devrait donner des directives à l’OPIC pour qu’il utilise le critère juridique approprié.

La Cour fédérale a fait remarquer que le cadre juridique proposé par l’intervenant et l’appelant était conforme aux arrêts de principe de la Cour suprême du Canada (Free World Trust 2000 CSC 66, Whirlpool c Camco Inc., 2000 CSC 67 et Shell Oil), et à l’invitation de la Cour d’appel fédérale d’adapter « notre compréhension de la nature de “l’exigence du caractère matériel” »9 au fur et à mesure que la technologie progresse.

La Cour fédérale a autorisé les appels et infirmé la décision de la commissaire refusant les demandes de brevet relatives au système de sélection de couleurs.

La Cour fédérale a confirmé que la nouvelle évaluation de la brevetabilité des deux demandes par l’OPIC doit être fondée sur le critère en trois volets suivant :

  • Interpréter la revendication de manière téléologique;
  • Établir si la revendication interprétée dans son ensemble consiste uniquement en un simple principe scientifique ou une conception théorique ou encore si elle comprend une application pratique qui utilise un principe scientifique ou une conception théorique; et
  • Si la revendication interprétée comprend une application pratique, évaluer la revendication interprétée en fonction des autres critères de brevetabilité : les catégories législatives et les exclusions judiciaires, ainsi que la nouveauté, l’évidence et l’utilité.

La décision ordonne à l’OPIC de rendre une nouvelle décision en suivant la procédure appropriée pour l’interprétation des revendications. Grâce à ce critère plus clair, les applications pratiques nouvelles, inventives et utiles ayant un intermédiaire informatique sont susceptibles d’être plus facilement brevetées au Canada.


Notes

1   2022 CF 923

2   2022 CF 837

3   2000 CSC 67

4   2000 CSC 66

5   2011 CAF 328

6   Choueifaty c Canada (Procureur général), 2020 CF 837, para 37, para 40

7   Choueifaty c Canada (Procureur général), 2020 CF 837

8    [1982] 2 RCS 536, 44 N.R. 541

9   Canada (Procureur général) c Amazon.com Inc., 2011 CAF 328, para 68



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