Le Delaware clarifie le cadre juridique de la tenue des registres de sociétés au moyen des chaînes de blocs – impacts canadiens

Canada Publication Septembre 2017

L’intérêt pour la chaîne de blocs (blockchain), la technologie à l’origine de la monnaie virtuelle Bitcoin, a augmenté radicalement au cours des dernières années, car elle est susceptible de transformer de nombreux processus d’affaires en les rendant plus efficaces, transparents et sécuritaires, tout en réduisant les erreurs humaines, les coûts et les délais administratifs.

La chaîne de blocs est un registre numérique des opérations entre des parties sur un réseau. Toutes les parties interviennent collectivement dans la tenue et la validation des opérations, et ce, sans organe central de contrôle. Bien que de nombreuses bourses de valeurs aient commencé à mettre à l’essai la technologie de la chaîne de blocs comme moyen d’enregistrer et de négocier des titres, la General Corporation Law du Delaware a récemment été amendée pour permettre aux sociétés constituées dans cet État d’utiliser la chaîne de blocs, un type de technologie de registre distribué, aux fins de la création et de la tenue des registres de sociétés, notamment leurs registres des valeurs mobilières. Ces modifications législatives pourraient éventuellement [traduction] « faire en sorte que le cycle complet d’une action – à savoir l’émission, la garde, la négociation, la communication avec les actionnaires et le rachat – soit mis en œuvre au moyen de la chaîne de blocs »1.

À titre de territoire de constitution de plus de 50 % des sociétés cotées en bourse aux États-Unis, dont plus de 50 % des sociétés du Fortune 500, le Delaware entend disposer de la [traduction] « loi sur la constitution de sociétés la plus moderne et souple au pays »2 et prend les devants en fournissant le cadre juridique optimal, au moyen de sa Delaware Blockchain Initiative, pour faire en sorte que les sociétés constituées dans cet État puissent profiter pleinement de la technologie de la chaîne de blocs. Du coup, le Delaware crée un précédent important qui pourrait inciter d’autres territoires, comme le Canada, à faire de même.

Loi sur les sociétés du Delaware

La loi sur les sociétés du Delaware prévoit maintenant expressément la tenue des registres de société au moyen de la technologie de la chaîne de blocs en permettant que de tels registres soient tenus sur un ou plusieurs réseaux électroniques, pourvu que certaines conditions soient remplies, notamment 1) que les registres ainsi tenus puissent être convertis en versions imprimées clairement lisibles dans un délai raisonnable et 2) en ce qui a trait aux registres de valeurs mobilières, que ceux-ci soient utilisés, entre autres choses, pour préparer la liste des actionnaires ou enregistrer les transferts d’actions3. Aucune mention n’est faite des « dirigeants » responsables des registres des valeurs mobilières ou des registres « tenus » par la société. À la place, la loi du Delaware fait à présent mention de registres « administrés par la société ou pour son compte » pour permettre que la technologie de la chaîne de blocs puisse être utilisée à ces fins, plutôt que par l’intermédiaire du service corporatif. Ces modifications font en sorte que les sociétés fermées qui sont constituées au Delaware sont maintenant autorisées à faire le suivi des émissions et des transferts d’actions au moyen de la technologie de la chaîne de blocs.

Législation canadienne sur les sociétés

La Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) prévoit expressément qu’un registre des valeurs mobilières central doit être tenu par la société à son siège social ou en tout autre lieu au Canada que désignent les administrateurs4. Elle permet que les registres soient reliés ou conservés à l’aide de tout procédé mécanique ou électronique de traitement des données ou de mise en mémoire de l’information susceptible de donner, dans un délai raisonnable, les renseignements demandés sous une forme écrite compréhensible5. La législation provinciale sur les sociétés6 et la législation sur les institutions financières7 comprennent des dispositions similaires.

Certains sont d’avis que la LCSA devrait être amendée afin de permettre expressément l’utilisation de la technologie de la chaîne de blocs aux fins de la tenue des registres. Ils font valoir que la nécessité qu’un registre des valeurs mobilières central soit tenu par la société à un seul endroit est incompatible avec le fonctionnement de cette technologie. Avec les chaînes de blocs, les registres des émissions et transferts d’actions sont tenus simultanément dans plusieurs endroits par plusieurs utilisateurs. Les ordinateurs participants emploient un processus automatisé pour valider le registre afin qu’il soit inclus dans le prochain « bloc ». L’information est enregistrée dans un bloc une fois ce consensus atteint. L’ensemble complet des blocs forme un registre qui constitue la chaîne de blocs. Chaque ordinateur participant au réseau de chaînes de blocs conserve une copie du registre complet, qui est mis à jour en temps réel au fur et à mesure que de nouveaux blocs sont créés et validés.

D’autres avancent que la LCSA n’interdit pas l’utilisation des chaînes de blocs, tant que les registres complets peuvent être reproduits sous une forme écrite compréhensible dans un délai raisonnable et être disponibles au siège social de la société ou à tout autre lieu situé au Canada que les administrateurs désignent. Bien que les registres ne soient pas tenus par la société en un seul endroit, cette reproduction pourrait constituer le registre des valeurs mobilières central.

Impacts potentiels

La technologie de la chaîne de blocs facilite la tenue et la validation simultanées des registres en fournissant une piste d’audit sécuritaire, transparente et inaltérable sans l’intervention d’un intermédiaire. En d’autres termes, cette technologie pourrait éventuellement permettre aux sociétés cotées en bourse de reprendre le contrôle de leur propre tenue de registres, puisque le réseau devient l’intermédiaire permettant d’assurer la traçabilité et la sécurité des opérations, tout en réduisant considérablement le traitement manuel et les formalités administratives. Elle permettrait également de réduire les coûts en éliminant la nécessité d’un intermédiaire central ou de gardiens de valeurs.

Un système financier optimisé par la technologie de la chaîne de blocs pourrait permettre d’assurer un règlement des opérations plus précis et efficace et de ramener le délai de traitement à quelques minutes, plutôt que les deux ou trois jours habituels. L’inscription d’actions sur une chaîne de blocs publique offrirait davantage de transparence, puisque toutes les parties prenantes pourraient voir les modifications touchant la propriété des actions d’une société pratiquement au fur et à mesure qu’elles se produisent. Cela pourrait évidemment être perçu comme un désavantage par certains investisseurs, comme les activistes préférant dissimuler leurs opérations. Il y a un certain débat afin de déterminer si une chaîne de blocs publique ou une chaîne de blocs privée serait préférable dans les marchés financiers et, au final, un éventail d’options offrant divers degrés d’anonymat à l’investisseur pourront être proposées.

L’utilisation de la technologie de la chaîne de blocs aux fins de la tenue des registres et, plus généralement, dans les marchés financiers aurait des incidences importantes en matière de gouvernance. Par exemple, la technologie de la chaîne de blocs pourrait permettre aux sociétés de simplifier le vote par procuration et fournir aux actionnaires une confirmation de bout en bout de l’exercice des droits de vote rattachés à leurs actions. Certains actes corporatifs, comme le versement de dividendes et le fractionnement d’actions, seraient également automatisés. 

Notes

1 Noelle Acheson, Equity Markets on a Blockchain : Delaware’s Potential Impact, CoinDesk, 10 juillet 2017, en ligne : https://www.coindesk.com/equity-markets-blockchain-delawares-potential-impact/

2 Site Web de l’État du Delaware : http://www.corp.delaware.gov/aboutagency.shtml

3 Voir les modifications à l’article 224 de la General Corporation Law du Delaware, en ligne : http://legis.delaware.gov/BillDetail?LegislationId=2573

4 Paragraphe 50(3) de la LCSA.

5 Paragraphe 22(1) de la LCSA.

6 Voir, par exemple, l’alinéa 140(1)d) et le paragraphe 141(1) de la Loi sur les sociétés par actions (Ontario) et le paragraphe 31(4) et l’article 35 de la Loi sur les sociétés par actions (Québec).

7 Voir, par exemple, l’article 239 de la Loi sur les banques (Canada).



Personnes-ressources

Associé principal, chef canadien, Gouvernance
Associé directeur, bureau d'Ottawa
Associé
Associée
Associée, directrice principale, gestion du savoir et développement de la pratique

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