Le Canada continue d’aller de l’avant dans l’affirmation de son engagement à lutter contre l’esclavage moderne dans les chaînes d’approvisionnement. Le projet de loi S-216, Loi édictant la Loi sur l’esclavage moderne et modifiant le Tarif des douanes (Projet de loi), récemment déposé, a été présenté au Sénat le 29 octobre 20201. Le Projet de loi est une version mise à jour du projet de loi S-211, mort au feuilleton avec la prorogation. Le Projet de loi comprend toutes les dispositions que renfermait le projet de loi S-211, ainsi que quelques exigences additionnelles. (Cliquez ici pour consulter notre article précédent sur le projet de loi S-211.) Comme son prédécesseur, le Projet de loi vise à combattre l’esclavage moderne en imposant des obligations de divulgation par rapport aux chaînes d’approvisionnement aux entreprises qui répondent à certains critères et qui produisent, vendent ou importent des marchandises au Canada, ou qui contrôlent une entité qui se livre à l’une de ces activités. 

Les principaux changements apportés dans le nouveau Projet de loi comprennent i) des définitions plus étendues de « travail des enfants » et de « travail forcé », ii) l’obligation pour le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (ministre) de tenir un registre électronique accessible publiquement renfermant une copie de tous les rapports, et iii) une nouvelle disposition exigeant l’examen, par un comité du Parlement, de la législation proposée cinq ans après sa promulgation. Le Projet de loi étend également l’interdiction d’importation du projet de loi S-211, qui interdisait l’importation de marchandises fabriquées ou produites par recours au travail forcé ou au travail des enfants, pour inclure les marchandises extraites par recours au travail forcé ou au travail des enfants.

Le Projet de loi s’appliquera-t-il à votre entreprise?

Il est important de savoir si votre entreprise est visée par le Projet de loi, puisque les entités qui répondent aux critères prescrits seront assujetties aux obligations de divulgation et que le défaut de s’y conformer peut constituer une infraction criminelle. 

À l’instar du projet de loi S-211, le Projet de loi s’applique aux entreprises dont les titres sont inscrits à une bourse de valeurs canadienne, ou qui ont un lien avec le Canada2, et qui, selon leurs états financiers consolidés, remplissent au moins deux des critères ci-après pour au moins un de leurs deux derniers exercices :

  • l’entité possède des actifs d’une valeur d’au moins 20 000 000 $;
  • l’entité a généré des revenus d’au moins 40 000 000 $; ou
  • l’entité emploie en moyenne au moins 250 employés.

La définition de « contrôle » demeure également très large : une entité est considérée contrôler une autre entité si elle exerce, de quelque manière que ce soit, un contrôle sur celle-ci, directement ou indirectement, y compris toutes les filiales de l’entité contrôlée. Le ministre pourrait également adopter des règlements élargissant la définition d’entité.  

La seule exception concerne les entreprises qui fournissent exclusivement des services, qui ne sont pas visées par le Projet de loi, à moins que de telles entreprises contrôlent une entité, au sens attribué à ce terme dans le Projet de loi.

Le Projet de loi crée une obligation de divulgation

Tout comme le projet de loi S-211, le Projet de loi obligera les entités à afficher leurs rapports sur l’esclavage moderne à un « endroit bien en vue » de leur site Web. Les rapports doivent indiquer les mesures prises au cours de l’exercice en cause pour prévenir et atténuer le risque relatif au recours au travail des enfants et au travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement de l’entité. 

Le rapport doit comprendre des renseignements sur : la structure de l’entité et les marchandises qu’elle produit ou qu’elle importe au Canada; ses politiques relatives au travail forcé et au travail des enfants; les activités qu’elle mène et qui comportent un risque de recours au travail forcé ou au travail des enfants et les mesures qu’elle a prises pour évaluer ce risque et le gérer; l’ensemble des mesures qu’elle a prises pour éliminer tout recours au travail forcé ou au travail des enfants; et la formation donnée aux employés sur le travail forcé et le travail des enfants. Un administrateur ou un dirigeant devra fournir une attestation portant que les renseignements qui y sont fournis sont véridiques, exacts et complets.

Le Canada sur la scène internationale

Les approches que d’autres pays ont adoptées en vue de lutter contre l’esclavage moderne dans les chaînes d’approvisionnement au moyen de la législation comprennent à la fois des obligations de divulgation et l’imposition d’obligations d’établir des plans de vérification diligente. La principale distinction entre les obligations de divulgation et les plans de vérification diligente est que ces derniers exigent que les sociétés remplissent des obligations positives minimales en vue de lutter contre l’esclavage moderne, tandis que les obligations de divulgation exigent seulement que les entreprises se conforment à un régime de déclaration. 

L’approche adoptée dans le Projet de loi est un régime de déclaration semblable aux approches qu’ont prises la Californie3, l’Australie4 et le Royaume-Uni5. Elle diffère de celle de la France, où l’approche en matière de vérification diligente obligatoire est adoptée. La Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre exige que les entreprises rédigent, publient et suivent un plan de vérification diligente comportant une analyse détaillée des risques, des procédures pour évaluer et surveiller régulièrement les risques, y compris au sein des filiales, des sous-traitants et des fournisseurs, et un plan d’action pour atténuer les risques identifiés.

Toutefois, une différence majeure dans le Projet de loi réside dans sa modification du Tarif des douanes. De manière semblable aux dispositions de la législation américaine fédérale en matière de commerce6, la modification du Tarif des douanes exclura complètement l’entrée de marchandises au Canada si elles sont fabriquées par recours au travail forcé ou au travail des enfants.

Mécanismes d’application 

Le Projet de loi prévoit des amendes et de vastes pouvoirs d’enquête en cas de non-conformité. Le ministre peut ordonner toutes les mesures raisonnables pour amener l’entité à se conformer à la législation, et toute entité reconnue coupable d’une infraction est passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 250 000 $ par infraction. Il y a également une responsabilité chez les administrateurs, les dirigeants et les mandataires lorsque la personne a joué un rôle en ordonnant ou autorisant la violation par l’entreprise de ses obligations prévues par la loi, ou en y participant ou y consentant. 

À retenir

En mettant en jeu le risque lié la réputation des entreprises à l’égard de leurs activités, le Projet de loi vise à lutter contre l’esclavage moderne en faisant pression sur celles-ci pour qu’elles améliorent la transparence de leur chaîne d’approvisionnement et pour qu’elles imposent des normes plus élevées à leurs fournisseurs.

Les entreprises canadiennes seraient bien avisées d’évaluer de façon proactive tout risque dans leur propre chaîne d’approvisionnement mondiale et de s’assurer de comprendre tous les aspects des processus de production de leurs filiales. De plus, les administrateurs, les dirigeants et les autres personnes occupant des postes de direction devraient être tout particulièrement attentifs aux obligations de divulgation en ce qui a trait à l’esclavage moderne, compte tenu de la responsabilité qu’ils encourent personnellement en cas de non-conformité au Projet de loi.

Bénéficiant de l’appui du groupe multipartite de députés créé à Ottawa pour combattre l’esclavage moderne et la traite des personnes, il y a de l’espoir que le Projet de loi connaisse un meilleur dénouement que son prédécesseur, le projet de loi S-211, et soit finalement adopté. Le Projet de loi a été débattu en deuxième lecture devant le Sénat le 5 novembre 2020 – la progression vers la promulgation du Projet de loi continuera d’alimenter une conversation plus vaste au sujet de l’esclavage moderne avec les entreprises, les investisseurs, les syndicats et les consommateurs canadiens en général.

Norton Rose Fulbright possède une vaste expérience dans la prestation de conseils à des clients sur les questions de gestion de la chaîne d’approvisionnement, de vérification diligente à l’égard des droits de la personne et de conception et mise en œuvre de politiques contre l’esclavage moderne. Notre présence mondiale nous permet de fournir des conseils sur la façon d’assurer la conformité aux lois, même lorsque les activités en question sont situées dans des pays étrangers.

Les auteurs désirent remercier Terry Wright pour son aide dans la préparation de cette actualité juridique.


Notes

2  

Cela signifie que l’entité a un établissement au Canada, y exerce des activités ou y possède des actifs. 

3  

Loi intitulée California Transparency in Supply Chains Act, https://oag.ca.gov/SB657.

4  

Loi intitulée Modern Slavery Act, 2018 No 153 (Australie) (https://www.legislation.gov.au/Details/C2018A00153); Loi intitulée Modern Slavery Act, 2018 No 30 (Nouvelle-Galles-du-Sud) (https://www.legislation.nsw.gov.au/view/html/inforce/current/act-2018-030

6  

Voir comme plus récent exemple la loi intitulée The Trade Facilitation and Trade Enforcement Act of 2015, qui supprime une exception à l’interdiction. 



Personne-ressource

Associé principal, cochef canadien, Entreprises responsables et durabilité

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