La Cour supérieure du Québec a suspendu l’application de certaines dispositions modifiant la Charte de la langue française, dont l’entrée en vigueur était prévue en septembre, à la suite de l’adoption récente du projet de loi no 96. 


Projet de loi no 96

Le projet de loi no 96, qui vise à renforcer la prédominance et l’usage du français au Québec, modifie de façon importante la Charte et impose plusieurs nouvelles obligations relativement à l’usage du français comme langue du travail, du commerce et des affaires ainsi qu’à la rédaction de certains contrats et à l’affichage public. Le projet de loi no 96 a été sanctionné le 1er juin 2022, et les modifications à la Charte qui en découlent entreront en vigueur au cours des trois prochaines années, bien que la majorité de celles ci prennent effet immédiatement. Consultez notre bulletin précédent pour plus d’information sur le projet de loi no 96.

Le français comme langue de la justice

Les modifications sur lesquelles porte le récent jugement Mitchell c. Procureur général du Québec visent expressément la langue des actes de procédure et exigent qu’une traduction en français certifiée par un traducteur agréé soit jointe à tout acte de procédure rédigé en anglais qui émane d’une personne morale. De plus, ces modifications exigent que la personne morale assume les frais de cette traduction.

Les demandeurs qui ont initié  la contestation plaidaient que l’obligation de traduire les actes de procédure en français était contraire à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui prévoit l’accès aux tribunaux au Québec tant en français qu’en anglais.

La décision

Une personne qui demande un sursis d’application d’une loi a le fardeau de démontrer i) l’existence d’une question sérieuse à juger, ii) le fait qu’elle subira un préjudice irréparable si le sursis est refusé et iii) le fait que, selon la prépondérance des inconvénients, son préjudice dépasse celui de l’autre partie. 

Quant à la première condition, le tribunal a conclu que la contravention possible à la Loi constitutionnelle de 1867 était une question sérieuse à juger, étant donné surtout que les modifications pouvaient compromettre l’accès égal aux tribunaux. 

Dans l’analyse du critère du préjudice irréparable, le tribunal a jugé qu’il y avait un risque sérieux que certaines personnes morales ne puissent faire valoir leurs droits en temps utile devant les tribunaux, ou encore qu’elles soient obligées de le faire dans une langue autre que la leur. 

La preuve des demandeurs a également démontré au tribunal que le nombre et la disponibilité de traducteurs qualifiés au Québec pour traduire rapidement et efficacement des procédures juridiques était insuffisant. Le tribunal a jugé que les coûts et les délais qui en découleraient pouvaient représenter un obstacle additionnel pour les personnes morales, notamment en raison du fait que l’absence d’une traduction en français certifiée entraînerait un refus automatique et un rejet de la procédure. 

Enfin, le tribunal a conclu que la prépondérance des inconvénients appuyait la décision de suspendre temporairement l’application des articles 9 et 208.6 de la Charte. Le tribunal a souligné qu’un tribunal ne pouvait suspendre l’application d’une mesure législative avant de se prononcer sur sa validité que dans certains cas précis. En l’espèce, le tribunal a jugé que les dispositions en cause, si elles n’étaient pas suspendues, risquaient d’entraîner un obstacle insurmontable équivalent à un déni de justice pour certaines personnes morales, et l’absence de mesure permettant à ces personnes morales de faire valoir leurs droits a mené le tribunal à conclure que la prépondérance des inconvénients penchait en faveur des demandeurs. 

À retenir

Le sursis d’application des articles 9 et 208.6 de la Charte de la langue française a pour effet de suspendre, durant l’instance en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure du Québec, l’obligation pour une personne morale d’obtenir une version traduite par un traducteur agréé de tout acte de procédure qu’elle souhaite déposer en anglais. 

Par conséquent, les personnes morales ne sont pas tenues de se conformer à cette nouvelle obligation d’ici à ce que la Cour supérieure du Québec ait statué sur le fond de l’affaire.

Les auteurs remercient Noémie Célestin-Plante, étudiante, de son aide pour la rédaction de cette actualité juridique.



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