Compétence à l’égard des recours collectifs : certification d’un groupe mondial

Mondial Publication Décembre 2015

Trois récentes décisions portant sur des recours collectifs rendues en Ontario ont tranché la question à savoir quand était-il approprié d’étendre la composition du groupe et, par conséquent, la compétence du tribunal de l’Ontario, pour y inclure des personnes qui ne sont pas des résidentes du Canada. Le tribunal, dans chacune de ces décisions, a mis l’accent sur un aspect de la question : le lieu où les membres non-résidents du groupe putatif d’un recours collectif pouvaient s’attendre raisonnablement à ce que leurs réclamations soient jugées.

Ces décisions démontrent que lorsqu’une action en Ontario comprend des réclamations qui sont, en substance, étrangères, la contestation de la compétence peut limiter considérablement le groupe ou même faire complètement échouer le recours. Cependant, lorsque des réclamations ont un lien important avec l’Ontario, les tribunaux de l’Ontario sont prêts à certifier un groupe mondial, même si bon nombre de ses membres et des principaux faits sont situés ailleurs.


Un lien avec l’Ontario

Abdula v Canadian Solar Inc.1 est la première décision en Ontario dans le cadre de laquelle on examine et on accorde la certification pour des allégations de présentation inexacte des faits d’un groupe mondial constitué de tous les actionnaires, sans égard à leur lieu de résidence, d’une société dont les actions étaient négociées uniquement à la cote d’une bourse étrangère.

Les actions de Canadian Solar étaient négociées à la NASDAQ mais à la cote d’aucune bourse canadienne. Dans une décision antérieure rendue dans le cadre de la même poursuite, la Cour d’appel de l’Ontario avait confirmé que les actions d’une société ne devaient pas nécessairement être négociées en Ontario pour que la société soit un « émetteur responsable » en vertu de la Partie XXIII.1 de la Loi sur les valeurs mobilières2 de l’Ontario et, par conséquent, assujettie à cette législation. La Cour d’appel avait aussi confirmé que, malgré le fait que son principal établissement était en Chine, Canadian Solar avait un lien réel et substantiel avec l’Ontario; en effet, c’est dans cette province que se trouvaient son siège social, son bureau de direction, ses assemblées annuelles et ses placements privés, qu’elle participait à des projets solaires et que s’y publiaient des documents destinés aux actionnaires de la société.

Dans l’affaire Canadian Solar, le tribunal a jugé qu’elle pouvait certifier un groupe mondial s’il existait un lien « réel et substantiel » entre les réclamations présentées pour le compte des membres étrangers du groupe et l’Ontario.

Dans la foulée de la décision de 2013 rendue par la Cour d’appel du Manitoba dans l’affaire Meeking v The Cash Store Inc.3, la Cour supérieure de l’Ontario a jugé qu’un lien réel et substantiel existait en raison de ce qu’elle appelait un nouveau facteur de rattachement créant une présomption dans les recours collectifs, qui était établi lorsque i) le tribunal a une compétence territoriale sur le défendeur et sur le représentant des demandeurs dans un recours collectif; et ii) il existe des questions communes aux réclamations du représentant des demandeurs et à celles des non-résidents.

Ordonnance et équité dans le contexte des recours collectifs

La jurisprudence en matière de groupes mondiaux dans le cadre de recours collectifs s’appuie sur le concept du lien réel et substantiel qui sert à déterminer la compétence, mais l’analyse va au-delà du critère énoncé dans l’affaire Van Breda4, compte tenu de la nature des recours collectifs en tant que mécanisme procédural dont on peut se prévaloir non pas en tant que droit mais afin de promouvoir les objets du régime des recours collectifs : économie judiciaire, accès à la justice et modification des comportements.

La décision dans l’affaire Canadian Solar peut être comparée à la récente décision de la Cour divisionnaire de l’Ontario dans l’affaire Excalibur Special Opportunities LP v Schwartz Levitsky Feldman LLP5, où un groupe mondial a été rejeté. L’affaire Excalibur concernait un recours collectif proposé pour des allégations de négligence contre un cabinet comptable canadien à l’égard d’un rapport d’audit d’une société américaine. La majorité de la Cour divisionnaire a confirmé la conclusion du juge de motion selon laquelle cette affaire portait sur des investisseurs américains qui avaient acheté des actions d’une société américaine dans le cadre d’une opération régie par les lois américaines sur les sociétés et sur les valeurs mobilières, et que les investisseurs ne s’attendaient pas à ce que leurs réclamations soient jugées au Canada.

Dans ces deux affaires, Canadian Solar et Excalibur, le tribunal, en tranchant la question du groupe mondial, a cherché avant tout à situer le lieu des éléments essentiels de la réclamation (dans ces cas, la société qui était visée par les allégations de présentation inexacte des faits ou de négligence) et, par conséquent, à déterminer le lieu où les membres des groupes putatifs s’attendraient à juste titre à ce que leurs droits soient déterminés. Ainsi, dans l’affaire Canadian Solar, la société en cause avait une forte présence en Ontario, même si ses actions n’y étaient pas négociées et que ses principales activités d’exploitation étaient exercées outre-mer, alors que dans l’affaire Excalibur, étant donné que la société en cause a été jugée américaine, la demande de certification du groupe mondial a été rejetée même si le défendeur dans l’affaire, soit l’auditeur, était un résident de l’Ontario.

Limites constitutionnelles

La récente décision dans l’affaire Airia Brands Inc. v Air Canada6 a ajouté une dimension constitutionnelle à la question. L’affaire Airia Brands concernait une conspiration mondiale de fixation des prix dans des services de fret aérien pour des expéditions en provenance et à destination du Canada. Les défendeurs ont présenté une preuve d’expert exhaustive démontrant que le critère du lien réel et substantiel ne constituait pas la norme à l’extérieur du Canada et qu’un jugement rendu en Ontario qui reconnaissait la compétence en fonction d’un lien réel et substantiel ne serait pas exécuté dans d’autres pays, ce qui possiblement permettrait l’ouverture d’un nouveau procès pour traiter les réclamations des membres du groupe.

En rejetant un groupe mondial dans l’affaire Airia Brands, le tribunal a jugé qu’en vertu de la courtoisie, de l’équité et des limites constitutionnelles, le tribunal ne pouvait entendre les membres du groupe que s’ils étaient présents en Ontario ou que s’ils avaient consenti à la compétence du tribunal de l’Ontario. Le tribunal a souligné que l’affaire Meeking n’était applicable qu’à un groupe national et non mondial et il a noté qu’aucun autre tribunal antérieur n’avait bénéficié du même volume de preuve sur le droit étranger.

Conclusion

L’affaire Canadian Solar a démontré la portée extraterritoriale des recours collectifs canadiens, mais les affaires Excalibur et Airia Brands ont démontré que les défendeurs peuvent faire échouer une demande de certification d’un groupe mondial s’ils peuvent prouver que les réclamations des membres étrangers du groupe putatif sont dépourvues de lien les rattachant au forum, et l’affaire Airia Brands va possiblement plus loin.

La tendance à examiner les attentes des demandeurs étrangers va vraisemblablement se poursuivre, et nous pouvons nous attendre à d’autres faits nouveaux dans ce domaine du droit. Bien que les faits de l’affaire Canadian Solar se distinguent de ceux de l’affaire Airia Brands, le principe constitutionnel énoncé dans l’affaire Airia Brands ne se réconcilie pas avec le résultat de l’affaire Canadian Solar et l’autorisation d’interjeter appel de la décision dans l’affaire Meeking a déjà été octroyée par la Cour suprême du Canada. Dans un avenir rapproché, nous recevrons vraisemblablement davantage d’indications sur la compétence dans le contexte des recours collectifs.

Erik Penz et Guy White sont membres de notre équipe Litiges transnationaux.

Notes

1 2015 ONSC 53 [Canadian Solar].

2 Abdula v Canadian Solar, 2012 ONCA 211.

3 2013 MBCA 81 [Meeking], autorisation d’interjeter appel octroyée, 2013 SCCA 443.

4 Club Resorts Ltd. c Van Breda, 2012 CSC 17.

5 2015 ONSC 1634 [Excalibur].

6 2015 ONSC 5332 [Airia Brands].



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