Entrée en vigueur des nouveaux programmes d’immunité et de clémence du Bureau de la concurrence La divulgation avant tout

Publication Octobre 2018

Le 27 septembre, le Bureau de la concurrence (Bureau) et le Service des poursuites pénales du Canada (SPPC) lançaient des programmes d’immunité et de clémence révisés en lien avec les enquêtes visant des infractions criminelles en vertu de la Loi sur la concurrence et les poursuites qui en découlent. Le changement le plus marquant est que les demandeurs éventuels d’immunité et de clémence doivent pleinement divulguer les faits et les éléments de preuve entourant la violation, y compris les documents et les dépositions enregistrées des témoins avant que l’immunité ou la clémence définitive ne soit accordée.


Contexte et raison d’être

Les programmes d’immunité et de clémence visent à protéger et à encourager les sonneurs d’alerte, c’est-à-dire les personnes physiques ou morales qui portent les agissements anticoncurrentiels à l’attention du Bureau de la concurrence. Le Bureau et le SPPC ont toujours beaucoup compté sur les renseignements que leur fournissent les demandeurs d’immunité et de clémence dans le cadre d’enquêtes et de poursuites en vertu de la Loi sur la concurrence.

Les nouvelles politiques traduisent les efforts de longue date du Bureau d’ajouter une étape d’immunité ou de clémence provisoire au processus de demande. Ainsi, l’immunité ou la clémence définitive n’est accordée que lorsque le demandeur a terminé sa divulgation. Les programmes d’immunité et de clémence ont subi un certain nombre de changements depuis leur création respectivement en 2000 et en 2010. Les changements les plus récents ramènent un concept ressemblant à « l’octroi préliminaire de l’immunité » qui existait avant octobre 2007. En pratique, le Bureau et le SPPC prenaient déjà des mesures allant dans le sens de la divulgation initiale comme l’utilisation d’entrevues de type « KGB » et de lettres « Reine ou Roi d’un jour »1.

Principaux changements apportés aux programmes

Les changements les plus importants apportés aux programmes d’immunité et de clémence comprennent ce qui suit :

  • la mise en place d’une étape d’immunité ou de clémence provisoire au cours de laquelle le Bureau peut obtenir de l’information du demandeur avant de prendre sa décision finale de recommander ou pas au SPPC d’accorder l’immunité ou la clémence;
  • la divulgation par le demandeur (y compris l’ensemble des documents et des dépositions des témoins) a maintenant lieu dès le début pendant l’étape d’immunité ou de clémence provisoire. L’immunité ou la clémence définitive ne peut être obtenue qu’après cette divulgation initiale. Par opposition, le processus antérieur était structuré de sorte que le demandeur complétait la divulgation intégrale uniquement après avoir obtenu l’immunité ou la clémence;
  • les interrogatoires des témoins pendant l’étape de la divulgation intégrale peuvent être faits sous serment et être enregistrés sous forme audio ou vidéo;
  • une recommandation d’immunité sera dorénavant faite uniquement lorsque la conduite divulguée constituera une infraction aux termes de la Loi sur la concurrence et qu’elle pourra être étayée par une preuve crédible et fiable qui établit tous les éléments de l’infraction. Aux termes du programme antérieur, le demandeur n’avait qu’une obligation de révéler « tout comportement dont il a connaissance, ou dont il acquiert connaissance, qui pourrait constituer une infraction » à la Loi sur la concurrence et dans lequel il aurait pu être impliqué;
  • tous les demandeurs de clémence pourront avoir droit à un crédit de coopération pouvant atteindre 50 %, appliqué à l’amende de base, selon la valeur de leur coopération, indépendamment de l’ordre dans lequel ils se présenteront. En vertu de l’ancien programme, le crédit de coopération était fixé à 50 % pour le premier demandeur et à 30 % pour le deuxième, et était indéterminé pour les demandeurs subséquents (mais ne pouvait implicitement pas dépasser 30 %);
  • les administrateurs, dirigeants et employés d’une société qui demande l’immunité ou la première personne demandant la clémence ne se font plus automatiquement garantir l’immunité; ils doivent plutôt démontrer leur connaissance de la conduite illégale et accepter de collaborer avec le Bureau; et
  • l’immunité définitive ne sera accordée que lorsque le Bureau sera convaincu de ne plus avoir besoin de la collaboration du demandeur d’immunité, éventuellement seulement après la conclusion des poursuites et la fin du procès.

La réponse se trouvera dans la participation

Dans un discours prononcé immédiatement avant le début de la consultation publique, le commissaire de la concurrence par intérim, Matthew Boswell, a expliqué que l’ajout d’une étape d’immunité/de clémence provisoire visait à « permettre au Bureau d’obtenir des documents et d’accéder à des témoins plus rapidement que ce qu’il est possible de le faire dans le programme actuel ». Les révisions des programmes étaient justifiées par la crainte que le Bureau n’était pas en mesure de dûment examiner un demandeur d’immunité/de clémence en raison des renseignements limités fournis aux termes de l’ancien programme, ce qui nuisait finalement à la capacité qu’avaient le Bureau et le SPPC de préparer des dossiers solides en vue des procès.

Il est toutefois permis de se demander si les révisions auront une incidence sur le calcul des risques par rapport aux avantages pour ceux qui envisagent de participer à ces programmes. Différentes parties prenantes ont avoué, lors des consultations, craindre que certaines révisions dissuadent des sociétés de participer. Par exemple, des sociétés pourraient ne pas vouloir faire face aux dépenses importantes et aux perturbations des activités découlant d’une enquête complète et de la production de preuves, de même qu’au risque associé de divulgation accessoire dans des poursuites civiles connexes et procédures à l’étranger, lorsqu’il n’y a aucune garantie d’immunité ou de clémence à la fin du processus pour la société ou ses dirigeants et employés.

En bout de ligne, la décision de demander l’immunité ou la clémence est une décision complexe et dépendra invariablement de la situation à laquelle un demandeur particulier sera confronté. Indépendamment du fait que les révisions aux programmes d’immunité et de clémence améliorent les chances de succès du Bureau et du SPPC lorsqu’ils intentent une poursuite, il se pourrait aussi que ces révisions entraînent une diminution du nombre de demandeurs d’immunité ou de clémence qui se manifesteront et, par conséquent, de poursuites à intenter.

Note

1 Nommé d’après le jugement de la Cour suprême du Canada R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740, ce processus permet aux demandeurs d’accorder des entrevues avant d’obtenir l’immunité avec l’assurance que leurs déclarations ne pourront pas être retenues contre eux dans le cadre de poursuites futures.



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