Dans Jensen et al c Samsung et al.1, la Cour fédérale du Canada a rejeté une requête pour faire autoriser un recours collectif proposé alléguant que trois principaux fabricants de puces de mémoire vive dynamique (DRAM) avaient comploté pour limiter l’approvisionnement mondial et faire monter les prix de la DRAM d’une façon contrevenant à la Loi sur la concurrence.

L’affaire Jensen envoie le message clair aux demandeurs dans le cadre d’éventuels recours collectifs que bien que le seuil aux fins d’autorisation soit bas, l’autorisation demeure un mécanisme de contrôle crucial à l’égard des réclamations spéculatives. C’est particulièrement vrai dans le cadre des recours collectifs proposés relatifs à la fixation des prix, qui réclament souvent d’importants dommages-intérêts en se fondant sur de vagues allégations de complots clandestins.

L’affaire Jensen s’inscrit parmi les autres décisions robustes rendues par la Cour fédérale dans le cadre de recours collectifs en droit de la concurrence à la suite de la décision Mohr c Ligue nationale de hockey rendue plus tôt cette année2.


Contexte

La DRAM est un type de puce mémoire à semi-conducteurs que l’on retrouve dans les ordinateurs, les téléphones intelligents et pratiquement tout autre produit électronique ayant une composante informatique. L’approvisionnement en DRAM est un secteur d’activité fortement concentré.

En 2018, les demandeurs ont intenté un recours collectif proposé alléguant qu’au début de 2016, les défenderesses avaient comploté afin d’éliminer l’approvisionnement en DRAM et d’augmenter les prix de la DRAM en contravention des articles 45 et 46 de la Loi sur la concurrence. Les demandeurs prétendaient que les défenderesses avaient adopté une politique coordonnée de refuser d’accroître l’approvisionnement en DRAM malgré la demande mondiale croissante.

En 2019, les demandeurs ont présenté une requête pour faire autoriser leur recours collectif proposé. La requête a été entendue en octobre 2020.

Décision 

Dans une décision réfléchie, le juge Gascon a rejeté la requête des demandeurs, affirmant qu’ils avaient omis a) de plaider une cause d’action raisonnable et b) de soumettre un fondement probatoire soutenant l’existence du complot allégué.

En premier lieu, la cour a indiqué que la déclaration « [notre traduction] renferme seulement des allégations vagues et générales qui relèvent de simples spéculations et conjectures portant sur une entente alléguée entre les défenderesses ». Appliquant la jurisprudence établie par la Cour suprême du Canada, le juge Gascon a établi que, même au stade des plaidoyers, les allégations de complot des demandeurs n’étaient pas suffisamment particulières et précises.

De plus, la cour a jugé que les allégations des demandeurs s’inscrivaient dans le « parallélisme conscient », un phénomène où, en l’absence d’une entente en vue de limiter la concurrence, les concurrents adoptent unilatéralement des pratiques d’affaires ou d’établissement des prix similaires ou identiques. Le parallélisme conscient est fréquent dans les marchés de produits homogènes à forte concentration dans lesquels les concurrents peuvent appuyer leurs actions sur les réactions attendues de leurs rivaux. En elle-même, cette pratique n’est pas illégale en vertu des lois canadiennes.

En second lieu, en ce qui a trait aux questions communes, la cour a soutenu que les demandeurs avaient omis de présenter une preuve suffisante pour établir un certain fondement factuel au complot allégué. Les allégations des demandeurs étaient fondées sur de la spéculation. La cour a souligné qu’il n’y avait pas de preuve d’enquête de la part d’autorités en concurrence au Canada, aux États-Unis ou dans l’Union européenne. En fait, la Chine était le seul territoire ayant entrepris une enquête, et les demandeurs n’avaient pas présenté de preuve sur le droit applicable en Chine ou de preuve que la conduite faisant l’objet d’une enquête des autorités chinoises pourrait correspondre à une conduite interdite au Canada.

Points à retenir

L’affaire Jensen rappelle de façon importante que le seuil de l’autorisation du recours collectif constitue davantage qu’un léger obstacle pour les demandeurs désireux d’intenter un recours collectif. Lorsque les demandeurs omettent de plaider une cause d’action comportant suffisamment de précisions, ou d’établir un certain fondement factuel pour les questions communes alléguées, l’autorisation est refusée.

En outre, l’affaire Jensen s’ajoute à l’ensemble grandissant de décisions rendues par la Cour fédérale concernant des recours collectifs en matière de concurrence. Nous nous attendons à ce que les décisions telles que celle rendue dans Jensen aient une valeur de plus en plus persuasive pour les autres tribunaux au Canada.

Les auteurs désirent remercier Katarina Wasielewski, stagiaire, pour son aide dans la préparation de cette actualité juridique. 


Notes

2   2021 CF 488. Norton Rose Fulbright avait représenté les défendeurs de la Ligne canadienne de hockey qui ont eu gain de cause dans l’affaire Mohr



Personnes-ressources

Associé
Associé, chef canadien, Droit antitrust et droit de la concurrence
Associé

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