Le droit québécois encadre de façon particulière les contrats de service ainsi que les contrats d’entreprise1 afin, notamment, de favoriser un certain équilibre entre les parties. Considérant que le rapport de force entre le client et l’entreprise est souvent plus favorable à cette dernière, le législateur confère au client une importante prérogative : le droit de résilier, unilatéralement, le contrat conclu avec l’entrepreneur ou le prestataire de service2. Ce droit peut être exercé même en l’absence de manquement par l’entrepreneur.3 

Il résulte de cette situation une incertitude et des risques significatifs pour l’entrepreneur puisque le contrat peut être résilié de plein droit en cours d’exécution, alors qu’il n’a pas eu l’occasion d’en tirer les profits et autres avantages anticipés. Pour cette raison, certains entrepreneurs cherchent à obtenir du client qu’il renonce à ce droit de résiliation. Cette renonciation est-elle possible et, si oui, sous quelles conditions? Voyons ce qu’il en est.


Les principes de base

L’article 2125 du Code civil du Québec permet au client de résilier un contrat d’entreprise. Bien que discrétionnaire, ce droit n’est pas pour autant absolu4. Mentionnons notamment que la résiliation du contrat par le client lui impose de payer à l’entrepreneur, en proportion du prix convenu, les frais et dépenses actuelles ainsi que la valeur des travaux exécutés avant la résiliation5.

Au chapitre des frais et dépenses engagés par l’entrepreneur, on peut penser, par exemple « aux débours encourus pour les fins [du] contrat, tels l’achat ou la location d’équipement particulier, l’engagement de personnel spécialisé qui ne peut être mis à pied sans préavis … »6 ou aux frais afférents à la résiliation d’un contrat de sous-traitance.

Quant au paiement des travaux exécutés ou des services rendus, l’obligation du client à cet égard se limite à ce qui a été exécuté ou rendu jusqu’à la prise d’effet de la résiliation. Élément important à retenir : sauf entente contraire entre les parties, ceci exclut la perte de profits ou de revenus futurs.7

La renonciation au droit à la résiliation unilatérale

Un client peut renoncer à son droit à la résiliation unilatérale. Les critères pour que cette renonciation soit valide font l’objet d’une analyse minutieuse par les tribunaux. Pour être valide, la renonciation doit être a) postérieure à l’acquisition du droit, b) précise, claire et non équivoque et c) faite en toute connaissance de cause.

La renonciation doit être postérieure à l’acquisition du droit

Il s’agit d’un principe général s’appliquant aux renonciations à un droit accordé par la loi et suivant lequel on ne peut renoncer à ce que l’on a n’a pas encore acquis8.

La renonciation doit être précise, claire et non équivoque

La renonciation à un droit doit être exempte d’ambiguïté. Il est tout de même possible qu’une renonciation soit implicite sans pour autant que cela n’entraîne son invalidité. Une volonté claire, précise et non équivoque de renoncer à un droit peut transparaître des termes du contrat sans qu’il ne s’y trouve de mention expresse à cet effet. Cela dit, il s’agit d’une démonstration qui s’avère souvent difficile à faire.

À cet égard, les tribunaux ont notamment eu à prendre position sur l’effet d’une clause prévoyant le paiement de frais de résiliation du contrat9. Est-ce là une renonciation implicite au droit à la résiliation unilatérale? En règle générale, il faut répondre par la négative10, puisque la renonciation au droit de résiliation prévu à l’article 2125 C.c.Q. et celle relative à l’indemnisation de l’entrepreneur prévue à l’article 2129 C.c.Q. sont deux renonciations distinctes l’une de l’autre.

Tout récemment, la Cour d’appel, dans un arrêt unanime, a eu l’occasion de confirmer de nouveau que la « renonciation à la règle posée par l’article 2125 C.c.Q. requiert l’expression non équivoque d’une volonté en ce sens. »11  La Cour rappelle également que le fait de « fixer un terme à un contrat de service n’équivaut pas à la renonciation unilatérale selon l’article 2125 C.c.Q. ».12 Elle ajoute que la simple présence d’expressions telles que « irrévocable » ou « irrévocablement » dans un contrat d’entreprise ne suffit pas toujours pour établir que la renonciation est claire et non équivoque, puisque cette renonciation doit être déterminée suivant les faits et circonstances propres à chaque affaire.13 Dans la même veine, on peut y lire, sous la plume du juge Cournoyer:

À mon avis, compte tenu de la longue durée potentielle du contrat en l’espèce, l’utilisation du terme « irrévocablement » au début du contrat […] ne démontre pas une renonciation claire et non équivoque au droit de résilier le contrat. La preuve ne révèle d’ailleurs aucune discussion entre les parties au sujet de la renonciation au droit de résilier le contrat.

La renonciation doit être faite en toute connaissance de cause

Pour qu’un consentement soit validement donné, il doit être libre et éclairé. Cela signifie que le client doit être bien au fait des risques et conséquences d’une telle renonciation. On ne saurait donc prétendre qu’une renonciation est valide si le client en ignore même l’existence au contrat. Dans le même ordre d’idées, une clause de renonciation contenue dans un contrat d’adhésion est fortement susceptible d’être invalide puisque le client n’aura pas eu l’occasion de le négocier.

Conclusion 

Le client qui est partie à un contrat de service ou d’entreprise peut le résilier unilatéralement, et ce, sans avoir à en justifier la cause. En pareil cas, il devra notamment payer à l’entrepreneur, en proportion du prix convenu, les frais et dépenses déjà engagés ainsi que la valeur des travaux exécutés avant la résiliation. Cette indemnisation ne couvre toutefois pas la perte de revenus ou de profits.

L’entrepreneur peut réduire les risques liés à ce type de contrat en obtenant du client qu’il renonce à son droit de résiliation unilatérale ou encore qu’il bonifie la compensation payable à l’entrepreneur si jamais il se prévalait de son droit de résiliation. À la lumière d’une récente décision de la Cour d’appel14, il importe de garder à l’esprit que les critères de validité d’une telle renonciation sont élevés. Cette renonciation doit notamment être postérieure à l’acquisition du droit. Elle doit aussi être claire, précise et non équivoque. Enfin, le client ne peut renoncer valablement que s’il a une connaissance suffisante des conséquences d’une telle renonciation.

Comme dans bien d’autres cas, la transparence est de mise. L’entrepreneur qui souhaite obtenir de son client une renonciation valide à son droit à la résiliation unilatérale devrait éviter de s’en remettre à des clauses équivoques ou à des sous-entendus. Mieux vaut opter pour des dispositions qui établissent très clairement la renonciation, les porter spécifiquement à l’attention du client et s’assurer de pouvoir démontrer l’accord de ce dernier à cette renonciation.

L’auteur aimerait remercier Clara Morissette, avocate, et Charles Sans Cartier, stagiaire, pour leur aide dans la préparation de cette actualité juridique.


Notes

1   L’article 2098 du Code civil du Québec (C.c.Q.) définit le contrat d’entreprise ou de service comme étant celui par lequel une personne, selon le cas, l’entrepreneur ou le prestataire de service, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à payer.

2  

Afin d’alléger le texte, (i) le contrat de service et le contrat d’entreprise seront indistinctement désignés « contrat de service » et (ii) l’entrepreneur et le prestataire de service seront indistinctement désignés « entrepreneur ».

3  

Les principales dispositions en cette matière sont prévues aux articles 2125 à 2129 du C.c.Q.

4  

Le droit à la résiliation unilatérale est notamment assujetti à l’obligation de bonne foi qui doit gouverner la conduite des parties tant au moment de la conclusion du contrat qu’à celui de son exécution ou de sa résiliation (voir art. 1375 C.c.Q.). Ainsi, le client ne peut résilier le contrat de manière abusive ou de façon à nuire à son co-contractant.

5  

Art. 2129 C.c.Q. Voir Gagnon c. Bell Mobilité inc., 2016 QCCA 1496, par. 120-121.

6  

Pelouse Agrostis Turf inc. c. Club de golf Balmoral, [2003] RJQ 3043 (C.A.), par. 30.

7  

Rogers Communications, s.e.n.c. c. Brière, 2016 QCCA 1497, par. 90-91. Construction Blenda inc. c. Office municipal d’habitation de Rosemère, 2020 QCCA 149, par. 86 à 88 citant le juge Chamberland dans Conseillers en informatique d’affaires CIA inc. c. 4108647 Canada inc., 2012 QCCA 535. Voir aussi Administration Citadelle inc. c. Construction Raoul Pelletier (1997) inc., 2006 QCCS 2381, par. 18 à 20. 

8  

Garcia Transport Ltée c. Cie Royal Trust, [1992] 2 RCS 499.

9  

Rogers Communications, s.e.n.c. c. Brière, 2016 QCCA 1497, par. 17-18.

10  

Id., par. 68-69. Voir aussi Gagnon c. Bell Mobilité inc., 2016 QCCA 1496, par. 54 et 55. 

11  

Steve Brown Machineries Solutions (SBMS) inc. c. Groupe Sutton Excellence inc., 2021 QCCA 302, par. 86.

12  

Id., par. 101, citant le professeur Jacques Deslauriers : Vente, louage, contrat d’entreprise et de service, 2e éd. Montréal, Wilson & Lafleur, 2013, no 2186.

13  

Id., par. 104.

14  

Steve Brown Machineries Solutions (SBMS) inc. c. Groupe Sutton Excellence inc., 2021 QCCA 302



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