Le processus d’évaluation du caractère représentatif d’une association de salariés au Québec tient-il toujours la route?

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Publication Août 2017

La particularité du système d’évaluation du caractère représentatif d’une association de salariés lors du dépôt d’une demande d’accréditation auprès du Tribunal administratif du travail (TAT) est un sujet sensible pour de nombreux employeurs de juridiction provinciale et certaines associations patronales. Dans une décision rendue en avril 2017, le juge administratif André Bussière (Juge) a conclu qu’un employeur n’avait pas l’intérêt juridique nécessaire pour soulever l’inconstitutionnalité de ce système devant le TAT. Cette décision nous semble toutefois être directement en contradiction avec une décision antérieure du même tribunal dans l’affaire Life Science Nutritionals, non rapportée, rendue par le juge administratif Alain Turcotte dans des circonstances similaires.


Les faits

En février 2017, le syndicat des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC), section locale 500 (Syndicat), dépose une requête en accréditation pour représenter tous les salariés d’Electronics Boutique Canada inc. (l’Employeur). Regroupant de facto une majorité de salariés, le dossier d’accréditation est néanmoins déféré au TAT car l’Employeur annonce son intention de contester la constitutionnalité des dispositions du Code du travail (Code) traitant de l’évaluation du caractère représentatif d’une association requérante.

De fait, l’Employeur allègue qu’en l’absence d’un vote au scrutin secret obligatoire (système par ailleurs en vigueur dans plusieurs autres provinces du Canada), le processus d’accréditation tel qu’il est prévu au Code ne permet pas à l’ensemble des salariés concernés d’exercer leur liberté d’association et/ou d’exprimer leur opinion sur l’opportunité d’être représenté par une association de salariés. Subsidiairement, l’Employeur allègue que ce même processus le prive d’exprimer à ses employés son point de vue sur la demande d’accréditation, en contravention au principe de la liberté d’expression protégée par les chartes canadienne et québécoise.

La décision du Juge

Se rangeant derrière les prétentions de la Procureure générale du Québec (PG), le juge conclut d’une part qu’un employeur n’a pas l’intérêt requis pour contester le processus de vérification du caractère représentatif prévu au Code. S’appuyant principalement sur le libellé de l’article 32 du Code, le Juge indique que seuls le Syndicat et les salariés compris dans l’unité de négociation recherchée ont un intérêt sur la question du caractère représentatif de l’association requérante.

Le Juge conclut d’autre part que l’Employeur n’avait par ailleurs pas l’intérêt pour plaider les arguments liés à la violation de la liberté d’association et d’expression des salariés, concluant qu’il plaidait plutôt « pour autrui ». Écartant ainsi l’Employeur du débat, le Juge n’a pas eu à se prononcer sur la constitutionnalité des dispositions en cause.

La décision dans l’affaire Life Science Nutritionals

En citant plusieurs décisions à l’appui de son raisonnement, le juge semble indiquer que le TAT a fait son lit sur cette question. Or, il n’en demeure pas moins que ce jugement entre clairement en contradiction avec une autre décision non rapportée rendue par le même tribunal en 2016 dans l’affaire Life Science Nutritionals.

Dans cette affaire, le juge administratif Alain Turcotte avait à se prononcer, de manière interlocutoire, sur une requête de la PG en rejet de l’avis d’intention selon l’art. 95 Cpc (maintenant l’art. 76 NCPC) déposé par l’employeur, qui invoquait ni plus ni moins les mêmes arguments que ceux détaillés ci-haut.

Reconnaissant qu’un employeur n’avait pas l’intérêt requis pour plaider un argument fondé sur la liberté d’association et/ou d’expression des salariés, le juge administratif Turcotte a tout de même conclu que l’employeur avait l’intérêt suffisant pour alléguer une violation à sa propre liberté d’expression. Ainsi, le TAT a autorisé l’employeur dans cette affaire à faire une preuve et à présenter une argumentation portant sur la violation alléguée de sa propre liberté d’expression et, par conséquent, sur l’inconstitutionnalité du processus actuel de vérification du caractère représentatif par le simple calcul des effectifs à la date du dépôt de la demande en accréditation sans le recours à un vote par scrutin secret.

Quoi retenir?

Il est pour le moins surprenant que le TAT ait pu rendre deux (2) décisions tout à fait contradictoires sur une question aussi capitale que celle-ci en l’espace de quelques mois seulement. Il semble pourtant que les juges administratifs Bussière et Turcotte ne partagent pas le même point de vue sur l’interprétation de l’article 32 du Code et l’intérêt d’un employeur de contester le processus d’évaluation du caractère représentatif d’une association de salariés. Quoi qu’il en soit, les employeurs au Québec ne savent plus sur quel pied danser et attendent avec impatience la suite dans l’affaire Life Science Nutritionals.

Nous vous tiendrons évidemment informés des développements dans ces affaires, notamment de la décision à venir du TAT relativement à l’argument basé sur la violation de la liberté d’expression de l’employeur dans l’affaire Life Science Nutritionals.



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