La Cour suprême du Canada (CSC) a rendu sa décision très attendue dans l’affaire Lundin Mining Corp. c Markowich. Elle a rejeté le pourvoi de la société, s’est attardée à l’interprétation de la notion de « changement important » prévue dans la législation sur les valeurs mobilières puis a précisé l’échéancier imposé aux sociétés ouvertes aux fins de la divulgation de toute information importante.


En quoi la décision dans l’affaire Lundin est-elle importante?

La communication d’information occasionnelle en temps opportun figure parmi les principales obligations incombant aux sociétés ouvertes en vertu de la législation canadienne sur les valeurs mobilières. Pour favoriser des marchés justes, efficaces et concurrentiels et la confiance en ceux ci, les émetteurs assujettis sont tenus de divulguer leurs changements importants « sans délai » et de déposer une déclaration de changement important dans les 10 jours suivant la date à laquelle le changement est survenu. Cette exigence diffère de celle qui impose la divulgation de faits importants, laquelle est faite périodiquement, normalement à l’occasion du dépôt de documents trimestriels et annuels ainsi que d’un placement par voie de prospectus.

Qu’est-ce qu’un changement important et en quoi se distingue-t-il d’un fait important?

La législation sur les valeurs mobilières définit un « changement important » comme un changement dans les activités commerciales, l’exploitation ou le capital d’une société dont il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il ait un effet appréciable sur le cours ou la valeur des valeurs mobilières de celle-ci. En revanche, un « fait important » est défini de manière plus générale et ne requiert pas qu’un « changement » se soit produit, mais vise simplement tout fait susceptible d’avoir un effet appréciable sur le cours ou la valeur des valeurs mobilières. La distinction entre ces deux notions, ainsi que l’échéancier applicable à leur divulgation, est au cœur de la présente décision.

Quels éléments ont retenu l’attention de la CSC?

Les expressions « fait important » et « changement important » sont définies dans la législation sur les valeurs mobilières, or le terme « changement » n’y est pas expressément défini. Ce terme n’a pas non plus été examiné auparavant sur le plan judiciaire par la CSC dans ce contexte, si ce n’est pour préciser qu’il ne peut se rapporter à un changement externe à la société sans qu’il en résulte un changement dans ses activités commerciales, son exploitation ou son capital. Par conséquent, l’affaire Lundin était l’occasion pour la CSC de clarifier la définition de « changement » et de fournir aux émetteurs et aux investisseurs un certain degré de certitude quant à ces exigences importantes.

Quelle était la question en litige en matière de divulgation dans cette affaire?

La question de fond faisant l’objet du litige à trancher était de savoir si Lundin, société minière canadienne dont les actions sont inscrites à la TSX, avait omis de divulguer en temps opportun, conformément à ses obligations d’information occasionnelle, deux événements survenus à sa mine cuprifère de Candelaria au Chili : i) la détection de l’instabilité d’une paroi de la fosse le 25 octobre 2017, ce qui a entraîné l’évacuation du personnel de cette zone de la mine et ii) un glissement rocheux survenu par la suite le 31 octobre 2017 qui a provoqué le déplacement d’environ 600 000 à 700 000 tonnes de déchets miniers qui ont obstrué l’accès à la mine. Le glissement rocheux n’a pas entraîné de décès, de blessures ni de dommages à l’équipement et, à ce moment-là, on prévoyait une production de cuivre différée représentant moins de 5 % de la production annuelle de cuivre de la société.

Lundin a divulgué ces événements dans le cadre d’une mise à jour opérationnelle le 29 novembre 2017 et a fait savoir qu’en raison du glissement rocheux, les prévisions au titre de la production de cuivre pour la prochaine année seraient abaissées de 20 %. Le lendemain de la diffusion par la société de son communiqué de presse, le cours de l’action de Lundin a chuté de 16 %, ce qui s’est traduit par une perte de plus de 1 milliard de dollars en capitalisation boursière.

L’intimé (Markowich) est un actionnaire qui, après avoir souscrit 10 000 actions de Lundin en novembre 2017 avant la diffusion du communiqué de presse, a demandé l’autorisation d’intenter une action pour manquement aux obligations d’information occasionnelle ainsi qu’un recours collectif au nom de toutes les personnes ayant acquis des actions de Lundin entre le 25 octobre et le 29 novembre 2017 en invoquant que les événements constituaient des « changements importants » dans les activités commerciales, l’exploitation ou le capital de Lundin et qu’ils auraient dû être déclarés immédiatement.

Qu’a conclu la CSC?

Dans une décision majoritaire (8 contre 1), la CSC s’est rangée à la conclusion de la Cour d’appel de l’Ontario et jugé qu’un « changement » doit être interprété de manière large et non de façon restrictive comme l’a fait le juge saisi de la motion qui avait initialement refusé d’autoriser l’action. La CSC a également établi que le critère prévu par la loi ouvrant droit à intenter une action pour manquement aux obligations d’information doit être fondé sur une application plausible de la loi aux faits et non sur une interprétation législative plausible. Par conséquent, la CSC a rejeté le pourvoi de Lundin, ce qui a permis à l’intimé Markowich d’aller de l’avant avec sa poursuite en responsabilité contre Lundin et d’autres parties pour manquement aux obligations d’information occasionnelle.

Quelle incidence cette décision aura-t-elle?

Il y a lieu de retenir que la CSC n’a pas conclu que la détection de l’instabilité d’une paroi de la fosse ou le glissement rocheux qui s’en est suivi constituaient un changement important dans les activités commerciales, l’exploitation ou le capital de Lundin, et que cette question ne lui a pas été soumise. La décision est rendue par suite d’une demande préliminaire visant à obtenir l’autorisation de la Cour pour intenter une action pour manquement aux obligations d’information occasionnelle, comme le prévoit la législation sur les valeurs mobilières. La CSC a conclu que l’instabilité de la paroi de la fosse et le glissement rocheux ont eu des répercussions sur l’exploitation de la mine par Lundin et que ces événements auraient donc pu entraîner un « changement », et auraient donc pu constituer un changement important.

Qu’est-ce qui constitue un changement important?

Dans sa décision, la CSC a affirmé que la notion de « changement » dans le contexte d’un changement important potentiel ne doit pas être interprétée de manière étroite ou restrictive ni être confinée aux définitions consignées dans les dictionnaires, comme l’a fait le juge saisi de la motion. La question de savoir ce que constitue un « changement » doit plutôt être évaluée à la lumière du contexte particulier de la société. Il n’existe pas de critère de démarcation nette et cette détermination est « une question de jugement et de bon sens appliqués aux circonstances uniques de chaque cas ».

De même, les termes « activités commerciales », « exploitation » et « capital » qui figurent dans la définition de « changement important » doivent être interprétés au sens large.

La CSC a rappelé qu’un changement important doit être interne à la société, tandis qu’un fait important peut être interne ou externe à la société. En outre, un changement important impliquerait généralement davantage que de simples négociations ou délibérations internes. Il doit y avoir une forte probabilité de réalisation.

Pour savoir si un fait constitue un « changement important », la CSC a confirmé qu’une analyse en deux volets s’impose : l’on doit d’abord chercher à établir si un événement constitue un « changement dans les activités commerciales, l’exploitation ou le capital » de la société et, par la suite, si ce changement est « important ». Par conséquent, l’ampleur ou le caractère non négligeable de l’événement ne doit pas entrer en ligne de compte pour établir s’il s’est produit un changement.

À la lumière de la décision de la CSC, les entreprises auraient intérêt à faire preuve de prudence accrue en divulguant les faits nouveaux le plus tôt possible. En effet, la CSC rejette expressément la norme de divulgation plus étroite et « favorable aux gestionnaires » recensée dans une partie de la jurisprudence. Cette norme prévoit qu’un événement doit être « notable et substantiel » avant qu’il n’entraîne un changement. La CSC précise que la norme de divulgation plus large et « favorable aux investisseurs » est celle à privilégier. Selon la CSC, « la norme plus étroite en matière de divulgation est incompatible avec le libellé de la loi » et est « erronée sur le plan de la doctrine et de la politique générale ». 

Il y a fort à parier que les personnes parcourant la décision de la CSC dans l’affaire Lundin se demanderont quelle définition la majorité accorderait au terme « changement » dans ces circonstances, car il y a peu d’indications en ce sens. Au final, la CSC a établi que le juge saisi de la motion avait commis une erreur en soutenant que le demandeur ne serait pas en mesure d’établir que les événements en cause dans l’affaire avaient entraîné un changement dans l’exploitation de Lundin : « si le juge des motions avait correctement interprété la notion de changement dans les activités commerciales, l’exploitation ou le capital, et appliqué cette interprétation à la preuve présentée dans le cadre de la motion, il aurait conclu qu’il y avait une possibilité raisonnable que M. Markowich puisse démontrer que l’instabilité d’une paroi de la fosse et le glissement rocheux avaient entraîné un changement dans l’exploitation de Lundin ».

En d’autres termes, étant donné l’évaluation limitée de la preuve au stade de l’autorisation de l’action, il faudra trancher la question à savoir si ces événements constituaient un « changement important » à une date ultérieure.

Quelle incidence cette décision a-t-elle sur le critère d’autorisation d’une action pour manquement aux obligations d’information occasionnelle?

En ce qui a trait aux exigences à respecter en vue d’intenter une action pour manquement aux obligations d’information, la CSC a rappelé que le critère d’autorisation se veut seulement un critère préliminaire du bien fondé du recours et n’exige pas une preuve selon la prépondérance des probabilités que l’action sera accueillie au procès. 

Ce critère demeure toutefois plus rigoureux que celui se rapportant à l’autorisation d’un recours collectif. Le demandeur doit établir une « possibilité raisonnable ou réaliste, et non pas simplement une possibilité, que l’action soit accueillie au procès, basée sur une analyse plausible des dispositions législatives applicables et des éléments de preuve crédibles à l’appui de la demande ». La CSC a somme toute précisé qu’une analyse plausible n’équivaut pas à une interprétation plausible des dispositions législatives. Il faut plutôt y voir une application plausible des dispositions législatives en ce qui a trait aux faits limités disponibles étant donné le stade préliminaire de l’instance.

La décision était-elle unanime?

Non, la décision prononcée par la CSC n’était pas unanime, et les personnes préoccupées par l’interprétation large du terme « changement important » adoptée par la majorité apprécieront l’opinion dissidente détaillée et approfondie présentée par la juge Côté. Dans son opinion dissidente, la juge Côté avance que l’interprétation du terme « changement important » à laquelle adhère la majorité « confond la distinction soigneusement établie par la législature entre un « fait important » et un « changement important » et invite les émetteurs à divulguer de l’information de manière excessive ou prématurée dans le but de se prémunir contre une responsabilité accrue. »

La juge Côté reconnaît que la définition d’un changement important dépend des faits en cause et qu’il n’existe aucun critère de démarcation nette. Toutefois, elle formule quatre « exclusions » qui ressortent de la common law et qui permettent de circonscrire le sens du terme « changement important » peu importe l’importance relative de l’événement en question. Deux de ces exclusions sont également soulignées par la majorité : les événements externes n’entraînant pas de changement dans les activités commerciales, l’exploitation ou le capital de la société ne constituent pas des « changements importants » pas plus que les développements internes incertains. Ceux-ci doivent devenir plus certains ou « se cristalliser » avant de pouvoir être considérés comme un changement. La juge Côté décrit deux exclusions supplémentaires tirées de la jurisprudence actuelle de la CSC : une exclusion pour les événements qui n’ont pour effet que de maintenir le statu quo pour les activités commerciales, l’exploitation ou le capital de la société, ainsi que la simple fluctuation des revenus ou de la production de la société qui ne découle pas d’un changement dans les activités commerciales, l’exploitation ou le capital de la société.

Quels sont les points à retenir dans l’affaire Lundin?

Pour l’heure, la définition de « changement important » demeure relativement large, non limitative et adaptée au contexte et au secteur. Les émetteurs qui cherchent à savoir si des événements internes touchant leurs activités commerciales pourraient constituer des « changements importants » et influer ainsi sur l’échéancier de leurs obligations d’information devraient savoir qu’il n’existe toujours pas de définition précise de ce que constitue un « changement important ». La prudence est donc de mise pour éviter de créer un risque de responsabilité sur le marché secondaire. Il y a lieu d’espérer que les tribunaux appelés à se prononcer sur le fond dans ces affaires ou dans des affaires similaires apporteront plus de précisions quant à l’interprétation de ces questions et offriront des indications plus claires que celles fournies par la CSC.

Les auteur·rices tiennent à remercier Fayha Najeeb, stagiaire, pour son aide dans la préparation de la présente actualité juridique.



Personnes-ressources

Associé principal
Associée, directrice principale, gestion du savoir et développement de la pratique
Avocate senior
Associé
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