Résumé du jugement Mikisew Cree First Nation c Canada (Gouverneur général en conseil)

Auteur:

 

Mondial Publication Octobre 2018

Dans l’affaire Mikisew Cree First Nation c Canada (Gouverneur général en conseil), la Cour suprême du Canada se penche sur l’obligation du gouvernement fédéral de consulter avant d’adopter des mesures législatives environnementales susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur l’exercice de droits issus de traités et/ou de droits ancestraux. Dans le cadre de l’étude de cette question, la Cour concilie deux principes constitutionnels, d’une part, la protection des droits et des titres ancestraux et, d’autre part, la séparation des pouvoirs et la souveraineté parlementaire.

Bien que les juges partagent le même avis sur la question déterminante de la compétence, le jugement compte quatre opinions concordantes. Tout bien considéré, la majorité conclut que l’élaboration, l’adoption et la promulgation d’une loi ne donnent pas naissance à l’obligation de consulter.


Les faits

Au mois d’avril 2012, le ministre des Finances a présenté deux projets de loi omnibus, le projet de loi C 38 et le projet de loi C 45, ayant une incidence importante sur le régime canadien de protection environnementale. Aucune consultation n’a été menée auprès de la Première Nation crie Mikisew quant aux deux projets de loi. Les Mikisew ont présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, plaidant qu’ils auraient dû être consultés au sujet des mesures législatives, car celles-ci avaient été élaborées par un membre du cabinet et étaient susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur leurs droits garantis par traité.

En première instance, la Cour fédérale a donné raison aux Mikisew et a rendu un jugement déclaratoire portant que l’obligation de consulter s’appliquait et que les Mikisew avaient le droit, à la fois, de recevoir un avis et de se voir offrir la possibilité de présenter des observations sur les projets de loi. En appel, les juges majoritaires de la Cour d’appel fédérale ont statué que lorsque les ministres élaborent des projets de loi, agissant ainsi à titre de législateurs, les principes de la souveraineté parlementaire, de la séparation des pouvoirs et du privilège parlementaire ne permettent pas l’exercice d’un contrôle judiciaire.

Compétence

La Cour suprême du Canada considère, à l’unanimité, que la Cour fédérale n’a pas la compétence requise pour examiner la demande de contrôle judiciaire, jugeant qu’aucune compétence lui permettant de contrôler l’adoption de mesures législatives ne lui a été attribuée par la loi.

Concilier l’obligation de consulter avec la séparation des pouvoirs

Les motifs partagés des juges ouvrent la porte à d’éventuelles contestations sur ces questions de droit.

Motifs de la majorité

Les juges majoritaires estiment, dans trois séries distinctes de motifs, que l’élaboration et l’adoption de lois ne donnent pas naissance à l’obligation de consulter. Par ailleurs, les juges majoritaires sont divisés quant à la mesure dans laquelle les tribunaux peuvent restreindre le pouvoir du Parlement d’adopter des lois.

Quatre des sept juges majoritaires soutiennent que bien que les tribunaux disposent du pouvoir d’annuler des mesures législatives incompatibles avec la Constitution du Canada (Sparrow) et/ou d’aller à l’encontre des décisions de l’exécutif fondées sur de telles mesures législatives (Haïda), ils ne peuvent se prononcer sur les contestations portant sur le processus qui a conduit à la formulation, au dépôt ou à l’adoption d’une loi1. Conséquemment, même si la consultation des groupes autochtones avant d’adopter une loi représente une pratique gouvernementale exemplaire, la loi ne l’exige pas2 et le principe de l’honneur de la Couronne ne lie pas le Parlement.

En revanche, les trois autres juges de la majorité affirment : « Ce n’est pas parce que la doctrine de l’obligation de consulter, qui a évolué de manière à encadrer la conduite de l’exécutif, ne s’applique pas dans la sphère législative que la Couronne, en sa qualité de souveraine, est libérée de son obligation de se comporter honorablement3 ». Par ailleurs, il pourrait convenir de prononcer un jugement déclaratoire dans un cas où une loi incompatible avec l’obligation de la Couronne d’agir honorablement était adoptée et « l’existence d’autres mesures de protection pourrait être reconnue dans des causes à venir ».

Motifs de la minorité

Une minorité de juges concluent que l’adoption de lois susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur les droits ancestraux : 1) fait naître une obligation de consulter et 2) peut être contestée directement en vue d’obtenir réparation si elles ont été adoptées en violation de cette obligation puisque « la sphère législative n’échappe pas au principe de l’honneur de la Couronne, qui se rattache à tout exercice de la souveraineté »4.

De fait, les juges minoritaires appuient une approche proactive de protection des droits issus de traités et des droits ancestraux soutenant ce qui suit : « Il est préférable de mener des consultations tout au long du processus plutôt que d’adopter l’approche qui consisterait à contester la mesure après coup, puisque la consultation protège les droits garantis par l’art. 35 d’un préjudice irréparable et favorise la réconciliation »5. Même là, il y aurait des limites à l’obligation de consulter pendant le processus législatif, c’est-à-dire que cette obligation ne prendrait naissance que devant l’existence potentielle d’effets préjudiciables sur un droit ancestral6.

Conclusion

Le fait que la Cour exprime des motifs différents pourrait entraîner de l’incertitude quant à la question à l’étude. Bien que sept des neuf juges conviennent que l’obligation de consulter ne prend pas naissance au cours du processus législatif, une majorité distincte de juges envisagent les contestations judiciaires dans un contexte où l’adoption des mesures législatives serait incompatible avec l’honneur de la Couronne, ce qui pourrait entraîner des contestations futures non seulement des lois adoptées par le gouvernement fédéral, mais aussi par les gouvernements provinciaux.

Les personnes morales exerçant des activités touchant le droit autochtone doivent maintenant savoir que les groupes autochtones disposent toujours de diverses avenues pour contester les décisions gouvernementales, dont :

  • le contrôle judiciaire des approbations gouvernementales pour non-respect de l’obligation de consulter au cours du processus d’approbation établi par une loi validement adoptée;
  • le contrôle judiciaire des lois adoptées qui portent atteinte aux protections garanties par la Constitution à l’article 35, dont l’atteinte n’est pas justifiée selon le test énoncé dans l’arrêt Sparrow; et
  • un jugement déclaratoire lorsqu’une loi éventuelle pourrait avoir des effets préjudiciables sur un traité et/ou un droit ancestral.

Même si la Cour déclare qu’il n’y a aucune exigence constitutionnelle de consultation avant l’adoption d’une loi, elle reconnaît à l’unanimité la valeur et la sagesse de consulter les groupes autochtones avant d’adopter une loi. Par conséquent, cette décision suscitera vraisemblablement l’attente chez les groupes autochtones d’être consultés dans le cadre du processus législatif.

Notes


Notes

1

Ibid au para 124.

2

Ibid au para 166.

3

Ibid au para 52.

4

Ibid au para 78.

5

Ibid au para 78.

6

Ibid au para 92.



Personnes-ressources

Associé principal
Associé principal, cochef canadien, Entreprises responsables et durabilité

Publications récentes

Abonnez-vous et restez à l’affût des nouvelles juridiques, informations et événements les plus récents...