Les préoccupations entourant le coronavirus ont poussé les émetteurs à examiner la possibilité de tenir leurs assemblées des actionnaires à venir par voie électronique, un format qui connaît une adoption remarquablement lente au Canada. Alors que ce type d’assemblée est plus commun aux États-Unis, les émetteurs canadiens tirent de la patte, comptant seulement quatre assemblées virtuelles à leur actif depuis la première tenue en 2017. À l’opposé, Broadridge a tenu 326 assemblées virtuelles aux États-Unis en 2019.

Qu’est-ce qu’une assemblée virtuelle?

Une assemblée d’actionnaires virtuelle est une assemblée qui a lieu au moyen d’une technologie en ligne. Il peut s’agir d’une « assemblée uniquement virtuelle », qui se tient exclusivement en ligne, sans assemblée en personne correspondante, ou d’une « assemblée hybride », qui se tient en personne dans un endroit physique et est également ouverte à la participation en ligne. Dans les deux cas, les actionnaires valident leur identité au moyen d’un numéro de contrôle, peuvent voter en temps réel et peuvent poser des questions. Cela diffère de la tenue d’une assemblée en personne et d’une diffusion simultanée par Internet, qui constitue déjà une approche populaire au Canada.

Avantages potentiels d’une assemblée virtuelle

  • Meilleure accessibilité pour les actionnaires. Grâce à la technologie, les actionnaires peuvent participer à une assemblée virtuelle peu importe où ils se trouvent. Ce facteur revêt une importance grandissante, puisque les émetteurs et les investisseurs sont de plus en plus présents à l’échelle mondiale. Il y a également des avantages évidents lorsqu’il s’agit éventuellement d’une question de santé ou de sécurité publique, comme le coronavirus.
  • Augmentation de la participation des actionnaires (en termes de nombre). Un plus grand nombre d’actionnaires sont en mesure de participer aux assemblées virtuelles. En outre, étant donné qu’un nombre considérable d’émetteurs tiennent leur assemblée au cours de la même période de l’année, les actionnaires peuvent participer à davantage d’assemblées s’ils n’ont pas besoin de se déplacer en personne à chacune d’elles.
  • Réduction des coûts et des inconvénients.Les assemblées exigent beaucoup de temps et d’efforts et comportent des frais importants. Dans le cas des assemblées uniquement virtuelles, les émetteurs n’ont plus besoin de louer des locaux ou de dépenser de l’argent pour la sécurité et les actionnaires n’engagent plus de frais de déplacement.
  • Réduction de l’empreinte carbone. Les assemblées uniquement virtuelles comportent moins de déplacements pour les membres de la direction, les administrateurs et les actionnaires, ainsi que moins de documents imprimés.
  • À la fine pointe de l’innovation et de la gouvernance. Les émetteurs qui tiennent des assemblées virtuelles peuvent être perçus comme étant à la fine pointe de l’innovation et de la gouvernance exemplaire.

Préoccupations potentielles concernant une assemblée virtuelle

  • Perceptions au sujet de l’efficacité de la communication.  Un des principaux défis des assemblées virtuelles consiste à gérer efficacement les discussions et les délibérations. Étant donné que les questions sont soumises dans un format électronique, le président de l’assemblée virtuelle a la possibilité de choisir les questions qui seront traitées. Même la perception que les questions puissent être triées sur le volet peut s’avérer problématique.
  • Diminution de la participation des actionnaires (en termes de qualité). Bien que le nombre d’actionnaires pouvant participer puisse augmenter dans le cadre d’une assemblée virtuelle, on pourrait soutenir que le degré ou la portée de cette participation est susceptible de diminuer en l’absence de la possibilité d’établir le contact en personne avec la direction et le conseil.
  • Complications touchant la gestion de l’assemblée. Le président de l’assemblée virtuelle peut éprouver des difficultés à gérer efficacement les questions lorsqu’il traite un grand nombre de questions soumises en ligne. En outre, le sentiment d’anonymat créé par les communications virtuelles peut influer sur la façon dont les actionnaires agissent et réagissent, ce qui risque de diminuer la qualité des discussions et de favoriser les interventions non productives. Les assemblées virtuelles peuvent également réduire les interactions personnelles, ce qui peut compromettre la capacité des actionnaires d’évaluer pleinement le rendement de la direction.
  • Opposition des actionnaires. Certains actionnaires peuvent s’opposer à la tenue d’une assemblée uniquement virtuelle par un émetteur. Par exemple, le contrôleur de la Ville de New York et superviseur de la caisse de retraite de celle-ci, dont les actifs excèdent 170 G$, a demandé publiquement aux sociétés de cesser de tenir des assemblées uniquement virtuelles.
  • Augmentation de l’imprévisibilité des résultats. Dans le cadre des assemblées virtuelles, un plus grand nombre d’actionnaires sont en mesure de participer et de voter. Dans la mesure où les votes peuvent être effectués en temps réel, les actionnaires sont moins susceptibles de voter par procuration à l’avance, ce qui rend les résultats du vote moins prévisibles.
  • Problèmes reliés aux TI. En cas de problèmes techniques, les assemblées virtuelles peuvent être arrêtées ou retardées. 

Conseils aux investisseurs institutionnels

Puisque la participation aux assemblées d’actionnaires est un droit fondamental des actionnaires, plusieurs organisations conseillant les investisseurs institutionnels ont récemment publié des recommandations en matière de vote à ce sujet.

  • Glass Lewis. Depuis 2019, Glass Lewis fait part de certaines préoccupations dans ses lignes directrices en matière de vote par procuration (en anglais seulement) selon lesquelles les assemblées uniquement virtuelles pourraient restreindre la capacité des actionnaires à participer à l’assemblée. En conséquence, Glass Lewis pourrait recommander de voter contre les membres du comité de gouvernance d’un émetteur qui prévoit tenir une assemblée d’actionnaires uniquement virtuelle s’il ne fournit pas d’information adéquate sur la manière dont l’émetteur protégera les droits de participation des actionnaires.
  • SHARE. L’Association des actionnaires pour la recherche et l’éducation du Canada a inclus dans ses lignes directrices pour le vote par procuration modèles de 2020 (en anglais seulement) (destinées aux fonds de retraite canadiens les lignes directrices modèles suivantes :  
    • [traduction] [Le fonds] votera contre les propositions visant à tenir les assemblées d’actionnaires entièrement par voie électronique, à moins que ces assemblées fournissent aux actionnaires les mêmes possibilités de participer, notamment de poser des questions et de prendre part à un dialogue, que s’ils étaient présents en personne.
    • Si une société adopte des assemblées d’actionnaires virtuelles sans l’approbation des actionnaires, et si les assemblées virtuelles ne fournissent pas aux actionnaires les mêmes possibilités de participation que s’ils étaient présents en personnes, [le fonds] votera contre le conseil dans son ensemble.

Considérations juridiques

Les assemblées virtuelles sont autorisées en vertu de la législation sur les sociétés par actions à divers degrés et les règles diffèrent dans l’ensemble du Canada. En vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions fédérale et de la législation provinciale équivalente en Alberta et au Québec, i) les règlements administratifs de la société doivent expressément permettre que l’assemblée se tienne entièrement par téléphone ou par voie électronique et ii) la plateforme virtuelle doit permettre à tous les participants de « communiquer adéquatement » entre eux pendant l’assemblée. Soulignons que l’exigence québécoise veut que tous les participants soient capables de « communiquer immédiatement entre eux », ce qu’on pourrait qualifier de norme plus élevée. Les sociétés assujetties à la législation fédérale, albertaine ou québécoise portant sur les sociétés par actions devront passer en revue leurs règlements administratifs pour confirmer s’ils renferment les dispositions requises.

La législation sur les sociétés par actions de la Colombie-Britannique autorise la participation aux assemblées par téléphone ou par un autre mode de communication à moins que les statuts constitutifs ou l’acte ne prévoient le contraire, mais ne se prononce pas sur la question de savoir si l’assemblée peut se tenir entièrement par voie électronique. De plus, il est exigé en Colombie-Britannique que les participants à l’assemblée puisse « [traduction] communiquer entre eux ». La législation relative aux sociétés par actions de l’Ontario est la plus favorable, puisqu’elle permet que les assemblées se tiennent par téléphone ou par voie électronique à moins que les statuts constitutifs ou les règlements administratifs ne prévoient le contraire. De plus, il n’y a pas d’exigence particulière voulant que la plateforme permette une communication « adéquate » entre les participants.  

Étant donné que le sens de communication « adéquate » n’a pas été débattu devant les tribunaux, rien ne garantit qu’une assemblée virtuelle est véritablement autorisée aux termes de la législation canadienne relative aux sociétés par actions à l’extérieur de l’Ontario. Des quatre sociétés canadiennes qui ont tenu des assemblées uniquement virtuelles, deux étaient assujetties à la législation ontarienne relative aux sociétés par actions et deux à la législation britanno-colombienne. À ce jour, pour la saison des procurations en cours, une société (assujettie à la législation fédérale relative aux sociétés par actions) a annoncé qu’elle tiendra une assemblée uniquement virtuelle cette année en raison du coronavirus.

Considérations pratiques

  • Nombre limité de fournisseurs de technologie. Il y a actuellement seulement deux sociétés disposant de la technologie facilitant les assemblées virtuelles au Canada : Lumi (depuis 2017) et Broadridge (depuis 2019). Les émetteurs intéressés devraient communiquer avec elles le plus tôt possible s’ils envisagent ce type d’assemblée. 
  • Agent des transferts. L’agent des transferts et agent chargé de la tenue des registres de l’émetteur devra travailler étroitement avec le fournisseur de technologie et participer à la préparation de l’assemblée.
  • Aspect audiovisuel. Les émetteurs devront décider si l’événement sera un événement uniquement audio ou une diffusion vidéo. Les coûts sont plus élevés si on choisit l’option vidéo et la grande majorité des émetteurs aux États-Unis choisissent le format uniquement audio. (Selon Broadridge, 97 % des assemblées uniquement virtuelles tenues en 2019 étaient en format uniquement audio.)

Pratiques exemplaires

Nous recommandons aux émetteurs qui décident de tenir une assemblée virtuelle d’établir des lignes directrices qui comprennent les pratiques exemplaires établies pour protéger les droits de participation des actionnaires. 

  • Expliquer le changement aux investisseurs. Il est souhaitable de prendre contact avec les investisseurs afin d’assurer que les principaux actionnaires sont au courant du changement proposé en vue d’une assemblée virtuelle et des motifs le justifiant. (Par exemple, que l’émetteur considère qu’il s’agit d’une bonne pratique exemplaire que de limiter les rassemblements en grand nombre dans le contexte du coronavirus.)
  • Tenir compte de l’ordre du jour de l’assemblée. Si l’assemblée est susceptible d’être litigieuse ou comprend l’examen de propositions d’actionnaires ou de points extraordinaires, la décision de tenir une assemblée uniquement virtuelle pourrait être critiquée si elle est considérée comme une façon de contrôler de la participation des actionnaires.  
  • Choisir le bon outil. Sélectionnez une technologie qui permet une communication adéquate de la part des actionnaires. Idéalement, il faut permettre aux actionnaires d’interagir en temps réel entre eux et avec le président de l’assemblée. L’outil doit également identifier de manière sûre les participants et permettre et consigner le vote en temps réel.
  • Créer des règles de conduite officielles. Établissez des règles de conduite et rendez-les accessibles avant l’assemblée. Comme pour une assemblée en personne, les actionnaires devraient avoir une possibilité suffisante pour poser des questions et formuler des commentaires tout en étant respectueux du temps alloué à tous les participants. Établissez des lignes directrices et des règles raisonnables concernant les limites de temps à appliquer lorsque les questions sont jugées irrecevables. 
  • Encadrer la gestion de la foire aux questions. Décidez s’il faut recevoir les questions en ligne au moyen d’une boîte de texte, au moyen d’une ligne téléphonique ou les deux. Envisagez d’embaucher un modérateur indépendant pour superviser la file d’attente pour les questions. Envisagez d’afficher toutes les questions raisonnables traitées pendant l’assemblée ainsi que d’organiser et de traiter les questions selon leur objet ou l’ordre dans lequel elles ont été soumises.
  • Demander de recevoir les questions à l’avance. Envisagez d’offrir aux actionnaires la possibilité de soumettre des questions au conseil et à la direction en préparation à l’assemblée (tout en maintenant quand même le droit des actionnaires de poser des questions lors de l’assemblée). Ainsi, les questions pourront être abordées de manière plus exhaustive et la foire aux questions sera davantage ordonnée. 
  • Afficher les questions par la suite. Envisagez d’afficher les questions et les réponses dans la section du site Web de la société destinée aux investisseurs après l’assemblée. 
  • Établir la gouvernance en matière de vote. L’agent des transferts et agent chargé de la tenue des registres de la société, généralement nommé scrutateur de l’assemblée, devra travailler étroitement avec le fournisseur de technologie afin que tous les votes en ligne soient inclus avec les votes par procuration dans les résultats finaux.
  • Offrir une ligne de soutien technique. Envisagez d’avoir en place une ligne de soutien technique pour les actionnaires avant et pendant l’assemblée.

Un comité constitué d’investisseurs, de représentants de sociétés ouvertes et de fournisseurs de services en matière de procuration et de services juridiques aux États-Unis ont publié le document intitulé Principles and Best Practices for Virtual Annual Shareowner Meetings (en anglais seulement) en 2018, lequel document renferme des recommandations et des pratiques exemplaires additionnelles.

Les pours et les contres

Étant donné l’annulation de conférences et les restrictions relativement aux déplacements pour affaires, plusieurs émetteurs réfléchissent à la saison des assemblées d’actionnaires qui s’approche et envisagent des solutions de rechange à la tenue de l’assemblée en personne. Le délai pour étudier la question est court, les circulaires de sollicitation de procurations étant en voie de finalisation et les assemblées prévues approchant à grands pas. 

D’une part, il y a des antécédents et une culture très limités quant à la tenue d’assemblées virtuelles au Canada et seul un petit nombre de fournisseurs de technologie disponibles pour faciliter de telles assemblées. Des inquiétudes planent également quant à savoir si une assemblée virtuelle offre une tribune adéquate pour la discussion et le débat et une possibilité adéquate de participation aux actionnaires.

D’autre part, prendre les mesures nécessaires maintenant pour planifier une assemblée virtuelle réduit grandement le risque que l’assemblée ne puisse pas se dérouler comme prévu en raison d’une épidémie ou d’un autre enjeu important. Si une assemblée en personne ne peut se dérouler à la date prévue, les émetteurs sont généralement en mesure (sous réserve de leurs règlements administratifs) de reporter l’assemblée jusqu’à 30 jours plus tard en vertu de la législation relative aux sociétés par actions sans devoir fournir un avis additionnel. Mais si la raison du report est une épidémie très répandue, il est douteux qu’un report de 30 jours soit utile. Une assemblée virtuelle accroît également le potentiel de participation des actionnaires dans une période où les gens évitent les foules, tout en réduisant également les coûts pour l’émetteur.

Une assemblée hybride constitue la meilleure option en matière de gouvernance, puisqu’elle permet aux actionnaires de décider s’ils y assistent en personne ou en ligne et, dans chaque cas, de poser des questions et de voter en temps réel. Toutefois, cette façon de faire représente des coûts considérablement supérieurs pour l’émetteur, tout en exigeant que la direction et le conseil soient présents en personne alors qu’il pourrait ne pas être souhaitable de le faire. Il faut également souligner qu’en 2019, seulement 8 % des assemblées virtuelles menées par Broadridge aux États-Unis étaient hybrides.

Avec l’attention accrue portée au coronavirus et l’incertitude causée par celui-ci, il serait prudent pour les émetteurs qui n’offrent pas déjà un accès à une webdiffusion de l’assemblée en direct d’envisager de le faire. Peut-être que la menace d’une épidémie telle que celle causée par le coronavirus donnera naissance à une nouvelle ère de gouvernance en matière d’assemblées d’actionnaires.



Personnes-ressources

Associé principal, chef canadien, Gouvernance
Associée directrice, bureau de Québec
Associée
Associé principal

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