Dans une décision récente, la Cour d’appel fédérale (CAF) a précisé que l’article 104 de la Loi sur la concurrence (Loi) autorisait le Tribunal de la concurrence (tribunal) à bloquer de possibles fusionnements temporairement en attendant le résultat de la demande du commissaire de la concurrence (commissaire) visant à empêcher la clôture de l’opération avant l’issue du litige qui conteste le fusionnement au fond1. La décision a des répercussions importantes sur l’examen des fusionnements au Canada.


Contexte

En juin 2021, le commissaire a déposé deux demandes auprès du tribunal : la première, en vertu de l’article 92 de la Loi pour obtenir une ordonnance qui empêche le fusionnement prévu entre les intimés, et la deuxième, en vertu de l’article 104 de la Loi pour obtenir une ordonnance interlocutoire qui empêche la clôture du fusionnement pendant le traitement de la demande en vertu de l’article 92. Lorsque les intimés ont refusé de retarder volontairement leur fusionnement pendant le traitement de la demande en vertu de l’article 104, le commissaire a demandé une ordonnance en urgence auprès du tribunal.

Le commissaire a demandé au tribunal de rendre une ordonnance provisoire qui bloque temporairement le fusionnement, jusqu’à ce que sa demande présentée en vertu de l’article 104 puisse être tranchée par le tribunal. En dehors du contexte du droit de la concurrence, de telles ordonnances sont couramment demandées devant les cours supérieures provinciales du Canada en attendant la délivrance d’une ordonnance interlocutoire. Le tribunal a rejeté la demande du commissaire et a conclu que la compétence du tribunal en vertu de l’article 104 de la Loi se limitait à un ensemble restreint de circonstances, qui ne s’appliquaient pas en l’espèce.

Le commissaire a porté la décision du tribunal en appel devant la CAF et a présenté une requête d’urgence pour interrompre l’opération en attendant l’appel. La requête a été rejetée et l’opération a été conclue quelques minutes plus tard. 

Le commissaire continue sa demande de contestation du fusionnement pour des motifs de fond, le procès étant prévu pour mai et juin 2022. 

La décision 

L’appel du commissaire a été entendu en janvier 2022. Bien que la clôture de l’opération avait déjà eu lieu, ce qui a rendu caduque la question de la compétence, la CAF a décidé d’entendre l’appel afin de préciser la loi pour des opérations semblables dans l’avenir. 

La CAF a autorisé l’appel du commissaire et a annulé la décision, statuant que le tribunal avait erré en concluant que sa compétence ne s’appliquait pas pour autoriser la demande du commissaire. La CAF a précisé que la portée de l’injonction provisoire offerte en vertu de l’article 104 de la Loi comprend des ordonnances provisoires alors que les demandes en vertu de l’article 104 sont en cours (c.-à-d. des ordonnances « provisoires provisoires »). Selon la CAF, cette interprétation plus généreuse de l’article 104 est fondée sur le langage clair de la disposition et sur son objet général, qui consiste à permettre au commissaire d’examiner et, au besoin, de contester les fusionnements proposés avant leur clôture. 

Points à retenir 

Le pouvoir du tribunal de bloquer des fusionnements éventuels en vertu de l’article 104 de la Loi comprend l’émission d’injonctions « provisoires provisoires » en urgence. Cependant, la question de savoir si cette injonction devrait être accordée dans un cas en particulier dépendra des circonstances.

Cette affaire aura vraisemblablement une incidence sur la manière dont le Bureau effectue les examens de fusionnements complexes, plus particulièrement lorsqu’une demande relative à des gains en efficience est déposée. Dans ses observations d’octobre 2021, le commissaire a déclaré que, dans des cas complexes, le Bureau pourrait devoir « adopter une approche axée sur la contestation judiciaire qui serait coûteuse et moins prévisible pour les parties qui fusionnent », ce qui « se traduira nécessairement par un degré moindre de transparence et d’échange de la part des équipes juridiques [du Bureau] dans les affaires où elles n’obtiennent pas d’engagement sérieux ou raisonnable en matière de délai ».

Concrètement, cela signifie que le commissaire et les parties qui fusionnent devraient bien réfléchir avant de jouer le jeu très risqué dans le cadre duquel le commissaire présume que la possibilité d’un litige amènera les parties à prolonger volontairement l’examen de fusion (par exemple, en concluant un accord sur les délais) ou les parties présument que le commissaire ne pourra pas obtenir d’injonction pour bloquer une opération à la dernière minute.  


Notes



Personnes-ressources

Associé
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Associé, chef canadien, Droit antitrust et droit de la concurrence
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