Objet des croyances et obligation de consultation : la Cour suprême du Canada rend sa décision concernant la nation des Ktunaxa

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Mondial Publication Novembre 2017

Le 2 novembre, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’affaire Ktunaxa Nation c ColombieBritannique1, mettant en jeu l’opposition de la nation des Ktunaxa au projet de station de ski dans la vallée Jumbo au motif que le projet violait le droit à la liberté de religion des Ktunaxa découlant de l’alinéa 2a) de la Charte et que celui-ci avait été approuvé sans consultation ni mesures d’accommodement adéquates aux termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Le tribunal a reconnu à l’unanimité l’acquittement de l’obligation du Ministre provincial en matière de consultation et d’accommodement aux termes de l’article 35, mais les juges n’étaient pas tous d’avis que les croyances spirituelles des Ktunaxa relevaient de la protection prévue à l’alinéa 2a).

La majorité des juges de la Cour suprême a refusé d’élargir la portée de l’alinéa 2a) pour protéger l’« objet des croyances » ou le « point de mire spirituel du culte ». Elle a souligné qu’il incombe plutôt à l’État de protéger la liberté d’avoir de telles croyances et de les manifester.

La décision soulève deux remarques touchant le facteur temps : d’abord, elle laisse entendre que le moment de revendiquer un droit ancestral peut être pertinent pour déterminer l’authenticité de la revendication aux fins de l’évaluation du niveau requis de consultation; ensuite, elle souligne les défis constants auxquels les gouvernements et les promoteurs font face dans le cadre de processus de consultation prolongés.



Contexte

Glacier Resorts Ltd. avait reçu l’approbation de son projet d’aménagement d’une station de ski ouverte à l’année dans la vallée Jumbo en Colombie-Britannique (un secteur que la nation des Ktunaxa appelle « Qat’muk », le foyer de l’Esprit de l’Ours Grizzly, une figure centrale des croyances et pratiques religieuses des Ktunaxa) de la part du Minister of Forests, Lands and Natural Resource Operations (Ministre) de la Colombie-Britannique en 2012, après deux décennies de négociations et de consultations.

Les Ktunaxa ont soumis à la Cour suprême de la Colombie-Britannique une requête en contrôle judiciaire de l’approbation du Ministre au motif que celle-ci violait le droit à la liberté de religion des Ktunaxa découlant de l’alinéa 2a) de la Charte et que la Couronne ne s’était pas acquittée de son obligation de consultation et d’accommodement aux termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 19822. Le juge en chambre a rejeté la revendication en vertu de l’alinéa 2a) en soutenant qu’une perte subjective de sens découlant d’un aménagement ne pouvait contrevenir à cet alinéa en l’absence de la coercition ou de la contrainte associée à la conduite religieuse. Le juge en chambre a également conclu que le processus de consultation mené par le Ministre était suffisant et que les mesures d’accommodement proposées faisaient partie des réponses raisonnables pour respecter l’obligation de la Couronne en matière de consultation et d’accommodement aux termes de l’article 35.

En appel, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé la conclusion du juge en chambre selon laquelle le Ministre s’était acquitté des obligations de la Couronne aux termes de l’article 35, mais a estimé que l’opinion du juge en chambre était trop restrictive quant à la portée de la protection découlant de l’alinéa 2a)3. La Cour d’appel a néanmoins conclu que l’alinéa 2a) ne pouvait être invoqué pour exiger d’autres personnes ne partageant pas un système de croyances religieuses qu’elles modifient leur comportement.

Décision de la Cour suprême du Canada

À la Cour suprême du Canada, la juge en chef McLachlin et le juge Rowe, s’exprimant au nom de la majorité, ont rejeté la revendication aux termes de l’alinéa 2a) des Ktunaxa en concluant que ceux-ci n’étaient pas parvenus à « démontrer que la décision du Ministre d’approuver l’aménagement port[ait] atteinte soit à leur liberté de croire en l’Esprit de l’Ours Grizzly, soit à leur liberté de manifester cette croyance »4. La majorité a considéré que la revendication des Ktunaxa revenait à demander au tribunal d’élargir la portée de la protection découlant de l’alinéa 2a) pour « protéger l’objet des croyances » (c.-à-d. l’Esprit de l’Ours Grizzly) et « le point de mire spirituel du culte ». Un tel élargissement de la portée de l’alinéa 2a) obligerait les tribunaux à se prononcer sur le contenu, le mérite et la valeur de croyances religieuses subjectives.

Dans leur opinion dissidente, les juges Moldaver et Côté ont exprimé leur désaccord quant à la portée de la protection aux termes de l’alinéa 2a). Ils ont soutenu que la décision du Ministre violait les droits des Ktunaxa découlant de l’alinéa 2a), puisqu’elle avait pour effet de dénuer leurs « croyances et pratiques de [toute] leur signification spirituelle »5. Cependant, les juges Moldaver et Côté ont finalement conclu que la décision du Ministre d’approuver le projet était raisonnable, puisqu’elle reposait sur une mise en balance proportionnée des croyances religieuses des Ktunaxa et de l’objectif imposé au Ministre par la loi, à savoir « administrer les terres de la Couronne et les aliéner dans l’intérêt public »6.

Dans ses motifs, la majorité a résumé les processus de consultation auxquels les Ktunaxa avaient participé entre 1991 et 2012, lesquels appuyaient la position provinciale selon laquelle la consultation se dirigeait vers un compromis acceptable pour tous :

  • les Ktunaxa n’ont pas présenté de requête en contrôle judiciaire du certificat d’évaluation environnementale délivré en 2004;

  • le Ministre a offert de mener d’autres consultations, acceptées par les Ktunaxa et auxquelles ils ont participé, au cours de l’examen du plan directeur du projet de décembre 2005 à juillet 2007; et

  • les Ktunaxa n’ont pas affirmé, avant septembre 2009, que tout aménagement dans le Qat’muk détruirait la valeur spirituelle de la vallée.

La majorité a également souligné le fait que des modifications importantes avaient été apportées au plan directeur du projet pour tenir compte de la revendication des Ktunaxa quant à la valeur sprituelle du Qat’muk, ainsi que le refus de ceux-ci de participer aux consultations à partir de 2010.

Dans l’exposé de sa décision selon laquelle la Couronne s’était acquittée de son obligation de consultation et d’accommodement, la majorité a réitéré à plusieurs reprises que l’« article 35 garanti[ssait] un processus, et non un résultat précis. Le groupe autochtone [était] appelé à faciliter le processus de consultation et d’accommodement en énonçant ses revendications clairement […] et le plus tôt possible »7.

La majorité a reconnu que la consultation et l’accommodement, aussi imparfaits soient-ils, demeurent les meilleurs outils dont on dispose « lors de la difficile période allant de la présentation de la revendication à son règlement »8. La possibilité d’obtenir une injonction a été mentionnée, aussitôt suivie par l’affirmation que, tant que les revendications ne sont pas réglées, « suivre un processus équitable et respectueux et […] s’employer de bonne foi à parvenir à une réconciliation »9 est vraisemblablement le mieux que l’on puisse faire.

Importance de la décision

Bien que la majorité ait finalement conclu que le droit à la liberté de religion n’avait pas été enfreint en l’occurrence, il est permis de croire que la décision de la Cour suprême dans l’affaire Ktunaxa Nation (particulièrement le point de vue des juges Moldaver et Côté) pourrait faire en sorte que des revendications antérieurement fondées sur l’article 35 soient recaractérisées en violation de l’alinéa 2a) lorsque le droit ancestral en cause repose sur des croyances et pratiques spirituelles. Même si le jugement majoritaire pourrait indiquer que l’acquittement de l’obligation de consultation et d’accommodement s’appuie sur une mise en balance proportionnée des droits d’un groupe autochtone aux termes de l’alinéa 2a), les analyses sont demeurées distinctes dans les jugements majoritaires et minoritaires, de sorte qu’il est difficile de déterminer dans quelle mesure l’une englobe l’autre.

Cette décision constitue également une réitération puissante du principe voulant que l’obligation de consultation ne garantisse aucun résultat précis, ni aucun droit de veto aux groupes autochtones, mais bien l’exécution d’un processus. Cela dit, la décision de la majorité reposait, dans une certaine mesure, sur des concepts juridiques internationaux visant la protection des croyances religieuses. Le fait de s’appuyer sur des concepts internationaux, y compris ceux qui découlent de traités internationaux dont le Canada n’est pas signataire, peut indiquer une volonté judiciaire de regarder au-delà la constitution canadienne pour trancher les questions relatives à des droits, y compris les droits ancestraux. On pourrait soutenir qu’il peut en découler un élargissement du concept de « consentement préalable, éclairé et donné librement » énoncé dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, bien que celui-ci semble s’opposer strictement à l’affirmation claire du tribunal selon laquelle « s’il y a eu consultation adéquate, le projet peut aller de l’avant sans le consentement du groupe autochtone concerné »10.

Finalement, bien que cette décision ait confirmé que l’aménagement du projet pouvait maintenant aller de l’avant, il faut rappeler que le processus d’approbation réglementaire et le litige connexe portant sur le projet de station de ski dans la vallée Jumbo se sont déroulés sur plus de vingt ans, ce qui souligne la nécessité pour le gouvernement et l’industrie de réfléchir à l’approche fondée sur la consultation et d’éviter d’entreprendre des processus prolongés et incertains pouvant créer un climat difficile pour l’investissement économique.

Notes

1 2017 CSC 54 [Ktunaxa Nation].

2 2014 BCSC 568.

3 2015 BCCA 352.

4 Ktunaxa Nation, supra note 1, para 70.

5 Ibid, para 127.

6 Ibid, para 154.

7 Ibid, para 79.

8 Ibid, para 86.

9 Ibid.

10 Ibid, para 83.



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