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Infolettre trimestrielle en droit de l’emploi et du travail au Canada
La présente infolettre informera les employeurs des faits nouveaux et des pratiques exemplaires dans le domaine du droit de l’emploi et du travail au Canada.
Canada | Publication | 1 juin 2020 - 11 HE
La COVID-19 a eu, et continuera d’avoir, des répercussions sur presque toutes les entreprises au Canada et à travers le monde. Cette chaîne d’événements perturbateurs, conjuguée aux modifications récentes aux lois corporatives fédérales, pourrait soulever des questions quant à la portée de l’obligation fiduciaire des administrateurs. Si les récentes modifications législatives ont apporté certaines précisions à l’égard de l’obligation fiduciaire d’un administrateur envers la société, il y a eu peu d’occasions d’en prendre la pleine mesure. Or, la crise de santé publique pourrait maintenant permettre d’en prendre le pouls.
Comme il est expliqué ci-dessous, dans le cadre de l’acquittement de leur obligation fiduciaire, les administrateurs devront prendre en considération différents facteurs. Pour bénéficier de la protection de la règle de l’appréciation commerciale, les administrateurs devraient élaborer et suivre un protocole solide.
En vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA), les administrateurs d’une société ont un « devoir fiduciaire » envers cette dernière et doivent agir « avec intégrité, de bonne foi au mieux des intérêts de la société »1. Lorsqu’il y a violation alléguée de cette obligation, les tribunaux se tournent vers la « règle de l’appréciation commerciale » qui accorde un degré élevé de déférence aux administrateurs, dans la mesure où les administrateurs ont suivi un processus raisonnable dans le cadre de la prise de décisions.
Adopté à l’été 2019, le projet de loi C-972 a modifié la LCSA en y insérant une liste non exhaustive de facteurs pouvant être pris en considération pour déterminer ce qui sert au mieux les intérêts de la société, à savoir les intérêts des actionnaires, des employés, des retraités et pensionnés, des créanciers, des consommateurs et des gouvernements, ainsi que l’environnement et les intérêts à long terme de la société. Comme il en a été question dans une actualité juridique précédente, on pourrait aisément interpréter ces changements législatifs comme étant annonciateurs d’un virage général où le modèle de primauté des actionnaires serait délaissé au profit du modèle de primauté des parties prenantes, comme en font mention deux arrêts historiques3 de la Cour suprême du Canada.
Ce virage n’est pas propre au Canada. De nombreuses lois américaines sur les devoirs des administrateurs (constituency statutes) permettent désormais explicitement aux administrateurs de prendre en considération les intérêts de diverses parties prenantes dans les délibérations du conseil. À titre d’exemple, les lois sur les sociétés par actions de l’État de New York prévoient que dans le cadre de leur processus de prise de décisions, les administrateurs peuvent prendre en considération les intérêts des parties constitutives, comme les employés, les retraités, les clients, les créanciers et les collectivités, ainsi que les intérêts à court et à long terme de la société4. Aux États-Unis, plus de 30 états ont adopté des dispositions relatives aux devoirs des administrateurs. Bon nombre d’organisations et d’investisseurs institutionnels internationaux reconnaissent aussi l’importance de cette forme de gouvernance5, comme l’ont récemment confirmé des membres du Forum économique mondial6.
En temps de crise, les administrateurs pourraient trouver plus difficile de s’acquitter de leur devoir fiduciaire, puisque certaines décisions doivent être prises rapidement alors que les intérêts de plusieurs parties prenantes sont changeants et pourraient être conflictuels. Pour de nombreuses sociétés, la pandémie actuelle mettra à l’épreuve l’application du modèle de primauté des parties prenantes.
Même si la LCSA prévoit désormais que les intérêts de différentes parties prenantes peuvent être pris en compte pour déterminer ce qui sert au mieux les intérêts d’une société, cette loi ne fait pas état de l’importance relative de chacun des groupes de parties prenantes dans l’équation. Comment les administrateurs doivent-ils composer avec des groupes différents ayant des intérêts conflictuels?
Dans l’arrêt BCE, la Cour suprême souligne que même s’il y a lieu de tenir compte des intérêts des parties prenantes, les administrateurs doivent se rappeler qu’ils ont le devoir d’agir au mieux des intérêts de la société7. Elle fait valoir qu’aucune partie prenante ne revêt plus d’importance que les autres lorsqu’il s’agit de déterminer l’intérêt supérieur de la société, et que l’évaluation des intérêts concurrents est tributaire de la situation factuelle8.
Plusieurs groupes peuvent avoir des attentes, des préoccupations et des demandes concurrentes, ce qui peut inévitablement amener les administrateurs à devoir composer avec des tensions dans l'exercice de leur devoir fiduciaire. Puisque les administrateurs sont élus par les actionnaires, ils pourraient être naturellement enclins à favoriser ce groupe afin d’accroître leurs chances d’être réélus. Les exemples suivants illustrent des cas où les intérêts des parties prenantes peuvent s’opposer à ceux des actionnaires en temps de pandémie :
La prise en compte adéquate de tous les intérêts pertinents dans ces circonstances exige un doigté de la part du conseil d’administration. Les administrateurs doivent s’assurer que la direction agit rapidement lorsqu’il le faut, tout en demeurant concentrée sur l’objectif qui est de servir au mieux les intérêts de l’entreprise et sur le fait qu’il y aura un retour à la « normale » après la COVID-19. Les administrateurs doivent garder en tête que dans l’arrêt BCE, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’en cas de divergence entre les intérêts des parties prenantes, les administrateurs doivent « agir au mieux des intérêts de la société en tant qu’entreprise socialement responsable »10.
Le rôle principal des administrateurs consiste à superviser les efforts de gestion. Lorsqu’ils sont confrontés à une crise, les administrateurs devraient d’abord mettre en place une structure de supervision qui veille à ce que le processus de prise de décisions soit adéquat et qu’il respecte les paramètres de la règle de l’appréciation commerciale. Par exemple, certains conseils d’administration pourraient envisager de créer un « comité de crise » distinct auquel ils pourraient déléguer des responsabilités spécifiques pour centraliser et rationaliser la prise de décisions. D’autres conseils d’administration augmenteront la fréquence de leurs réunions et demanderont que de nouvelles grilles soient incluses dans le tableau de bord de gestion des risques qui leur est présenté. Ces mesures aideront les administrateurs à démontrer qu’ils s’acquittent de façon adéquate de leur devoir fiduciaire.
Cependant, un protocole devrait également être mis en place pour aider les administrateurs à invoquer la protection de la règle d’appréciation commerciale à l’égard de leur devoir fiduciaire 11. Il est important qu’un tel protocole soit mis en place, puisque les administrateurs seront jugés à l’aune du processus qu’ils ont suivi :
La crise mondiale créée par la COVID-19 servira probablement de test pour le modèle de primauté des parties prenantes au Canada et ailleurs, et elle pourrait, à terme, donner des réponses en ce qui concerne la hiérarchie des demandes concurrentes et leurs répercussions sur ce qui constitue « servir au mieux les intérêts » de la société.
Dans ce contexte, les administrateurs qui font face à des choix difficiles découlant de la pandémie doivent suivre un protocole!
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