Le 17 mars 2020, nous avons publié un bulletin d’actualité juridique portant sur l’application des clauses de force majeure et de la doctrine de « frustration » en common law dans le contexte de la pandémie liée à la COVID-19.

Le présent bulletin aborde également la force majeure, mais en vertu du droit civil québécois. Nous vous présentons ci-dessous les réponses à quatre questions fréquemment posées par nos clients dans le contexte actuel.

Qu’est-ce que la force majeure et dans quelles circonstances peut-elle être invoquée?

Réponse courte : La notion générale de force majeure en vertu du droit civil permet, lorsqu’elle n’a pas été modifiée contractuellement, de se libérer de l’exécution d’une obligation lorsqu’un événement imprévisible et irrésistible (c’est-à-dire qu’on ne peut empêcher) rend impossible l’exécution de cette obligation. 

  • Afin de déterminer si la force majeure peut être invoquée pour vous libérer de vos obligations, vérifiez d’abord si votre contrat contient une clause de force majeure qui modifie ou écarte la notion générale de droit civil. Si tel est le cas, cette clause a préséance sur le droit civil à moins que, selon les circonstances (par ex., une clause abusive dans un contrat d’adhésion), elle ne soit invalide. Si votre contrat ne contient pas de clause de force majeure, c’est la notion générale de droit civil qui s’applique par défaut.
  • En vertu de la notion générale de droit civil, il est probable que les tribunaux du Québec acceptent que la pandémie actuelle constitue une situation imprévisible. Mais pour que la pandémie constitue un cas de force majeure vous permettant de vous libérer d’une obligation, celle-ci doit rendre l’exécution de votre obligation impossible, et non simplement plus difficile ou plus onéreuse.
  • Chaque cas est un cas d’espèce et la possibilité d’invoquer la notion de force majeure dépend des circonstances. À titre d’exemple, bien qu’il soit impossible d’envisager tous les cas possibles, on peut raisonnablement concevoir qu’une entreprise dont les activités ont été interdites par le gouvernement ou dont certains employés indispensables sont en quarantaine, pourrait être dans l’impossibilité d’exécuter certaines obligations.

Pouvez-vous invoquer la pandémie pour vous libérer de l’exécution d’une obligation devenue trop onéreuse?

Réponse courte : Dans la majorité des circonstances, non, mais il est nécessaire de vérifier les clauses incluses à votre contrat et de déterminer si votre co-contractant est en mesure d’exécuter ses propres obligations.

  • En vertu du droit québécois, la survenance d’événements imprévus ou imprévisibles rendant économiquement non viable l’exécution d’un contrat n’est généralement pas un motif justifiant une partie de ne pas honorer ses engagements contractuels1.
  • Il est toutefois possible que votre contrat comporte des modalités destinées à aménager les obligations des parties advenant une situation comme la pandémie actuelle. À titre d’exemple, une clause dite de hardship pourrait, selon les circonstances, vous donner le droit de renégocier le montant de vos paiements contractuels.
  • Quoi qu’il en soit, dans le contexte actuel, la clé pour plusieurs entreprises réside dans la négociation commerciale. Faites appel au sens des responsabilités de vos partenaires commerciaux. Même si vous êtes préoccupés par la situation à court terme, tentez de sécuriser vos relations à long terme en proposant des solutions viables à vos partenaires.
  • Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que si votre partenaire commercial n’est pas en mesure d’exécuter substantiellement ses propres obligations, vous pouvez refuser, dans une mesure correspondante, d’exécuter toute obligation corrélative.

Vous êtes locataire d’un immeuble commercial. Vous avez dû suspendre vos activités sur ordre du gouvernement. Votre locateur peut-il néanmoins exiger le paiement de votre loyer?

Réponse courte : Référez-vous d’abord et avant tout aux modalités de votre bail commercial.

  • Plusieurs baux commerciaux prévoient qu’aucun cas de force majeure ne peut libérer le locataire de son obligation de paiement du loyer. Lorsque tel est le cas, la suspension de vos activités commerciales, même si elle est imposée par le gouvernement en raison de la pandémie actuelle, ne vous libère pas de votre obligation de payer votre loyer. Dans certaines circonstances particulières, votre locateur pourrait même obtenir une ordonnance judiciaire pour forcer le paiement de votre loyer.
  • Votre bail commercial pourrait également comporter des clauses vous donnant le droit de renégocier le loyer, d’être libérés de certaines obligations ou même d’obtenir la résiliation de votre bail. Il a déjà été jugé qu’un bail commercial contenait une obligation implicite d’achalandage du locateur, laquelle pourrait, en fonction des modalités de votre bail, donner lieu à une obligation de renégocier ou à certains autres réaménagements (par exemple en ce qui concerne l’obligation d’occuper les lieux).
  • Par ailleurs, nous vous suggérons de réviser vos polices d’assurance pour voir dans quelle mesure vous bénéficiez d’une couverture pour pertes liées aux interruptions d’affaires. 

L’injonction provisoire constitue-t-elle un recours approprié pour forcer un cocontractant à respecter des obligations qu’il refuse d’exécuter en raison de la pandémie actuelle?

Réponse courte : Seulement dans des circonstances exceptionnelles, lorsque la situation est véritablement urgente, que le refus de votre cocontractant apparaît manifestement injustifié et que le préjudice que vous cherchez à éviter ne peut être adéquatement compensé en argent.

  • Une injonction provisoire est une ordonnance de faire ou de ne pas faire quelque chose émise par le tribunal dans une situation urgente sur la base d’une preuve sommaire. Elle ne peut excéder une durée de dix jours.
  • Seules les situations véritablement urgentes peuvent donner lieu à une injonction provisoire. Ce critère est d’autant plus strict que toute activité judiciaire non urgente est actuellement suspendue jusqu’à nouvel ordre. 
  • Si le refus de votre contractant d’exécuter ses obligations n’apparaît pas, à sa face même, manifestement injustifié, les tribunaux pourraient, compte tenu de la gravité de la situation planétaire, être réticents à émettre des injonctions provisoires sans le bénéfice d’une preuve plus complète quant aux effets de la pandémie sur la capacité de votre cocontractant à exécuter ses obligations.
  • Si la situation actuelle menace de vous causer un préjudice strictement monétaire, l’injonction n’est pas le recours approprié. Vous pourrez déposer un recours en dommages-intérêts en temps et lieu, lorsque l’activité judiciaire normale aura repris.
  • Dans les autres cas, soit lorsque la situation est véritablement urgente, que le refus de votre contractant d’exécuter ses obligations apparaît manifestement injustifié et que votre préjudice ne peut faire l’objet d’une réparation adéquate en argent, alors un recours en injonction (ou pour l’obtention d’une ordonnance de sauvegarde) pourrait être possible. Notez toutefois que l’injonction n’est généralement pas le recours approprié pour forcer le paiement d’une somme d’argent.
  • Par ailleurs, même si vous y avez droit, avant de recourir à l’injonction, demandez-vous si un tel recours aurait une réelle efficacité pratique. Dans plusieurs circonstances, ce ne sera pas nécessairement le cas, notamment si votre contrat s’inscrit dans un ensemble de relations contractuelles interdépendantes (par ex., une chaîne de contrats d’approvisionnement) où la capacité des uns à exécuter leurs obligations dépend de celle des autres à exécuter les leurs. 
  • Enfin, dans nombre de cas, la négociation commerciale pourrait être souhaitable avant de recourir à l’injonction. Une action précipitée vers les tribunaux pourrait nuire à vos intérêts, compte tenu, notamment, du devoir de chacun d’exercer ses droits d’une manière compatible avec les exigences de la bonne foi et de votre obligation de minimiser vos dommages. 
  • Dans le contexte actuel, le recours à l’injonction devrait donc être la solution de dernier recours.
 

Notes

1   Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, [2018] 3 R.C.S. 101.



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